Enjeux des politiques de revenu de base universel dans les pays en développement
Les politiques de revenu de base universel (UBI, pour son sigle en anglais) sont devenues très populaires dans les débats publics à travers le monde. Les causes pour adopter l’UBI varient selon les catégories des pays. Dans les pays avancés, la peur que l’automation et l’intelligence artificielle ne prennent la place du facteur travail est l’argument principal. Dans les pays en développement, c’est plutôt l’objectif d’éradiquer la pauvreté, en essayant d’augmenter le revenu des gens.
Si de manière tautologique le revenu universel semble être une bonne idée en ce sens qu’il permet d’augmenter automatiquement le revenu des gens, son impact n’est pas aussi évident. Dans certains pays où les marchés pour les services sociaux ne sont pas développés ou n’existent pas tout simple ment, l’UBI peut ne pas être la meilleure option. Plusieurs recherches ont été menées par des académiciens pour évaluer les réels effets de l’UBI dans les pays en développement et les incitations microéconomiques qui vont avec. Il existe deux grands arguments contre l’adoption de l’UBI:
1 Il est probable que dans les pays où les marchés des services sociaux ne sont pas développés ou n’existent pas, les bénéficiaires dépensent l’argent davantage dans l’alcool, le cigarette etc.
2 L’argument de la dépendance (l’UBI peut décourager l’offre de travail ou la demande d’emploi).
Ces arguments font sens du point de vue de la logique. Premièrement, si les bénéficiaires n’ont pas accès à des marchés où ils peuvent se procurer de services médicaux, éducatifs etc. à un coût raisonnable, il se peut que l’argent ne soit pas dépensé dans ces services. Deuxièmement, si la différence entre l’UBI et le salaire minimum est faible, il se peut que les gens ne veuillent pas travailler, ce qui peut être un obstacle à la productivité et au développement.
Toutefois, comme le veut l’économie expérimentale aujourd’hui, tous les arguments logiques doivent être évalués avec des données réelles pour établir ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas dans les discussions de politiques publiques. Plusieurs travaux empiriques ont été réalisés durant la dernière décennie pour éclairer les lanternes des décideurs politiques sur les possibles impacts de l’UBI. Les économistes français et indien, respectivement Esther Duflot et Abhijit Banerjee, prix Nobel de l’économie en 2019, en sont les pionniers.
Les évaluations n’ont généralement pas révélé les impacts négatifs que beaucoup craignaient. En examinant les données sur les biens de tentation, Evans & Popova (2017) constatent que les transferts ont en moyenne réduit les dépenses en biens de tentation de 0,18 écart-type. En d’autres termes, loin de gaspiller leurs transferts en alcool et en tabac, les bénéficiaires semblent boire et fumer moins. Cette constatation ne diminue en rien la gravité du problème de l’abus de substances pour les pauvres, mais elle suggère que le manque d’argent peut être une cause de l’abus de substances plutôt qu’une contrainte à cet égard.
Banerjee et al. (2017a) passent en revue les études qui mesurent les effets des transferts sur l’offre de travail, peut-être la mesure la plus concrète des efforts déployés par les bénéficiaires pour améliorer leur propre vie. Du point de vue des bénéficiaires, bien sûr, le temps est précieux, et passer ce temps à gagner de l’argent a un coût réel ; il pourrait être très bon pour eux de pouvoir substituer une partie des revenus non gagnés aux revenus gagnés. Cela dit, Banerjee et al. (2017b) ne trouvent aucune preuve systématique que les transferts découragent le travail.
Un autre enjeu de l’UBI dans les pays en développement est la capacité réelle des gouvernements de l’adopter et de l’implémenter. Les pays en développement font particulièrement face à des problèmes de recettes fiscales et de capacités managériales suffisantes pour financer et conduire n’importe quelle politique publique. Adopter l’UBI requiert avant tout de pouvoir collecter l’argent du côté des contribuables. Il faut donc non seulement améliorer l’efficacité des gouvernements pour collecter les taxes mais aussi leur degré de transparence pour que cela puisse tenir à long-terme. La transparence est ici fondamentale en ce sens qu’elle améliorera la confiance entre les citoyens et les contribuables, facteur déterminant de revenu fiscal sur le long-terme.
Face aux problèmes de la pauvreté, des inégalités sociales, de la malnutrition, de la protection sociale etc… l’UBI peut être une réponse efficace des gouvernements. Les impacts de l’UBI sont loin d’être tautologiques comme le bon sens veut le faire croire. Si les revenus des gens augmentent de manière automatique, cela ne garantit pas que l’argent reçu sera dépensé dans les biens et services nécessaires au développement des familles. Il faut que l’UBI soit accompagné de marchés où les bénéficiaires peuvent se procurer les services sociaux. L’État dans les pays en développement doivent développer des capacités fiscales et managériales pour financer et implémenter les politiques publiques de l’UBI. Dans ces conditions l’UBI peut être un véritable outil politique pour garantir la dignité des citoyens dans les pays en développement.

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