La BRH à l’épreuve de la stabilité financière prisonnière des chocs externes de l’économie haïtienne
La stabilité financière est la situation dans laquelle le système financier, structuré autour des intermédiaires financiers, les marchés et les infrastructures de marché, est capable de résister aux chocs et de corriger les déséquilibres financiers.
«Depuis quelques temps, le système financier haïtien est prisonnier de grands monstres. Citons comme exemple l’installation des groupes armés dans les zones industrielles de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince et dans les autres départements géographiques du pays ainsi que l’accentuation du phénomène de kidnapping. Ces chocs deviennent de plus en plus structurels et constituent des barrages pour le système financier et le système bancaire et provoquent l’émigration massive des Haïtiens à l’étranger », a détaillé Pierre Mercier Joseph, cadre à Banque de la République d’Haïti (BRH), intervenant à la troisième édition du Sommet régional de la Finance dans le Grand Sud.
Le pays a connu quatre années consécutives de croissance économique négative de 2019 à 2022, a poursuivi M. Joseph, et la Banque mondiale prévoit une croissance négative de -1.1% en 2023 contre des prévisions gouvernementales de +0.3%. Selon lui, la contraction de l’activité économique devrait entrainer un ralentissement du rythme de croissance des dépôts et les banques devraient être plus réticentes à accorder du crédit. «On doit s’attendre à l’altération de la capacité de remboursement des débiteurs du système surtout les grands emprunteurs qui se sont établis dans les secteurs à risques, ce qui va entrainer encore une détérioration de la qualité du portefeuille des banques», a prévenu le cadre de la BRH.
Même si les dépôts totaux effectués dans le système bancaire sont passés de 500 à 529 milliards de gourdes entre septembre 2022 et juin 2023, les deux éléments qui les ont financés sont négatifs. D’un autre côté, la qualité du portefeuille de crédit des banques (taux de productivité et taux d’exposition) s’est considérablement dégradée surtout après le 30 septembre 2022.
Pour faire face à la situation, la BRH a accordé plusieurs périodes de moratoires pendant lesquelles les débiteurs voulant en bénéficier peuvent payer uniquement les intérêts courus sur leurs prêts, dont le dernier moratoire qui a été accordé à partir du 30 septembre 2023 et arrivera à échéance le 31 mars 2024 en référence du circulaire 115-4. Elle a autorisé des reprises de provisions aux banques en vertu de l’article 24/alinéa 16 de la loi fiscale du 29 septembre 2005. «Nous avons amélioré la surveillance des institutions financières et renforcé la réglementation prudentielle en vue de garantir la stabilité des fonds propres», a indiqué Pierre Mercier Joseph.
Par ailleurs, en dépit des divers chocs internes, le système bancaire reste résilient. Les fonds propres ont cependant augmenté sur la période, évoluant de 45.14 milliards de gourdes à 50.10 milliards de gourdes et renforçant la solvabilité des institutions bancaires. Le coussin de fonds propres additionnel est fixé à 2.5% des actifs risqués, prévu dans la circulaire 88-1, a bien aidé. Les liquidés sont en nette progression, soit de 329.64 milliards de gourdes en septembre 2023. «Le système continu de dégager des revenus à la fois de l’intermédiaire et d’autres sources secondaires», a constaté M. Joseph.
S’agissant des exportations du pays, elles ont été affectées par le problème de production engendré par la conjoncture délétère. «D’octobre 2022 à septembre 2023, il y a eu une baisse de 27% en glissement annuel à cause des troubles socio-économiques et un ralentissement de demande des Etats-Unis. Pour les importations qui sont en général supérieures aux exportations, il y a eu une baisse de 6.37% durant le dernier exercice fiscal. Etant donné qu’Haïti est un pays importateur net, la dégradation des activités économiques ont causé un déficit de numéraire puisque, entre autres, les flux commerciaux, les activités touristiques ont diminué. Notons également une baisse d’environ 4% au niveau des envois de fonds de la diaspora», a rapporté Rachelle Renaud César, également cadre à la BRH.
Pour sa part, Claude Jacques Divers a pointé du doigt un ralentissement des activités des entreprises privées, notamment au niveau de celles tournées vers l’exportation ; la baisse des investissements qui découle du comportement attentiste des agents économiques ; les aléas climatiques et l’insécurité qui affectent l’appareil productif agricole, diminuant l’offre alimentaire dans un contexte de prix encore élevé des produits importés, et la fuite des cerveaux.
À partir de 2021, la crise socio-politique aigüe s’est intensifiée et s’est répercutée sur toutes les sphères d’activités économiques. «Les entreprises opérant dans tous les secteurs de l’économie nationale sont affectées et les Coopératives d’Epargne et de Crédit (CEC), œuvrant dans l’intermédiaire financière, ne sont pas épargnées», a fait remarquer Jocelin Jean Baptiste, responsable de la DIGCP à la BRH, soulignant combien la diminution continue du rendement de l’actif (ROA) et de celui de l’avoir montre le poids de la crise sur la rentabilité des CEC.
«L’actif total a atteint 29.3 milliards de gourdes au 30 juin 2023, soit une croissance de 10.45% (+2.64 milliards de gourdes). Il est vrai que le taux 10.45% couvre une période de 9 mois (octobre 2022 à juin 2023), mais en seulement 3 mois, le secteur ne pourra pas inverser la donne et avoir une accélération», a noté M. Jean Baptiste.
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