Gouvernance

Haïti, l’épouvantail des Caraïbes

4 minutes lecture

Nous publions in extenso ce billet paru sous la plume de notre collaborateur, Patrick Saint-Pré, dans les colonnes de Le Nouvelliste, en date au 4 mars 2016, au retour de l’un de ses voyages à Bridgetown, capitale de la Barbade, abritant le QG de la Banque de développement des Caraïbes. Le texte garde encore toute sa fraîcheur et n’a pas pris une ride malgré le poids des ans.

Comparée aux petites îles caribéennes, Haïti fait peur. Avec ses 27 750 km2 de superficie et ses 10.2 millions d’habitants, Haïti est un «géant». Un «géant de papier» certes, mais un géant tout de même. À titre de comparaison, la Barbade c’est 430 km2 de superficie. On dirait David et Goliath. Mais, pour peu qu’on aille au-delà de ces données géographiques, le «géant» perd vite de sa superbe.

En Haïti, nous faisons beaucoup d’agitation (instabilité politique, manifestations, violences électorales, etc.) mais très peu de chiffres. Avec 8 milliards de dollars de PIB et moins de 1 milliard de dollars d’exportation, nous n’impressionnons plus grand monde.

Sur certains points, on nous envie. Pour nos atouts: une population active majoritairement jeune, une proximité géostratégique avec le marché américain et la taille de notre population. Ailleurs, la taille de notre population serait considérée comme un vrai atout mais ici en Haïti, c’est notre talon d’Achille.

«La population d’Haïti c’est l’équivalent de la population de toutes les îles anglophones de la Caraïbe», estime le Dr William Warren Smith, président de la Banque de développement de la Caraïbe (CDB), rencontré à Barbade le 24 février 2016, lors de la conférence de presse annuelle de la CDB.

Nous ne produisons presque plus. Nous captons très peu d’investissements directs étrangers. Nous avons fait de l’importation notre planche de salut pour satisfaire notre demande de consommation. Nous importons à peu près tout. Nous avons renoncé depuis belle lurette à mettre en place une vraie politique de production axée sur la satisfaction de la consommation locale pour relancer la croissance. Nous naviguons à vue. Pas de feuille de route ni de plan de développement, encore moins de politiques publiques viables. Pire, nous sommes passés maîtres en mauvaise gouvernance, en mauvaise gestion et en dilapidation. Pas étonnant qu’avec cette réputation sulfureuse qu’Haïti, membre de la CDB depuis 2007, ne reçoive que des dons en lieu et place des prêts.

Contrairement aux autres membres emprunteurs. «Haïti ne remplit pas encore toutes les conditions pour que nous lui avancions des prêts», déclare le Dr Smith, plus banquier que diplomate, qui veut avoir le maximum de garanties avant de miser ses billes. «Nous n’avons pas les moyens de la BID ni ceux de la Banque mondiale», renchérit-il d’un ton flegmatique. Là encore, Haïti fait peur.

Au milieu de toute cette peur, au moins il nous reste notre histoire, qui suscite l’admiration, tel un lointain écho de notre glorieuse épopée. Sans plus ni moins. «Haïti a une histoire unique […] Aucune autre ancienne colonie ne peut se vanter d’avoir connu pareille révolution», affirme d’un ton admiratif Warren Smith. De l’admiration, voilà tout ce qu’Haïti inspire à ses voisins. Et c’est tout de même mieux, aux yeux d’un collègue pince-sans-rire, que cette pitié généralement perçue lorsqu’on parle d’Haïti comme étant le pays le plus pauvre de l’hémisphère.

DevHaiti

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *