L’alimentation scolaire victime de la crise humanitaire en cours, alerte le PAM
Plus de 362 000 personnes sont déplacées en Haïti, et plus de 35 000 ont fui leurs foyers depuis le début de l’année 2024 à cause des combats qui font rage dans la capitale. «Ceux qui courent pour sauver leur vie se réfugient dans les écoles, les cours d’églises et les chantiers de construction, luttant pour nourrir leurs familles», informe un communiqué en date du 12 mars 2024 du Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM) sur la crise alimentaire dévastatrice sévissant en Haïti.
Cette situation chaotique a un impact direct sur l’alimentation scolaire en Haïti qui est en train de payer le prix fort alors que le pays est au bord du gouffre, nous a confié le PAM lors d’une interview exclusive accordée à notre rédaction. «À cause de la violence et des troubles de ces dernières semaines conduisant à la fermeture d’un grand nombre d’écoles, 300 000 écoliers ont été privés des repas quotidiens fournis par le PAM et ses partenaires, qui constituent, pour beaucoup d’enfants, le seul repas complet de la journée.»
À travers cette interview sur la cantine scolaire, le PAM fait le point sur la conjoncture difficile affectant et perturbant le bon déroulement des activités scolaires et dresse un tableau macabre sur comment cette crise pénalise les enfants incapables d’aller en classe et dans l’impossibilité donc de bénéficier d’un plat chaud, le seul de la journée dans bien des cas.
DevHaiti (DH): Pour commencer, pouvez-vous retracer pour notre lectorat l’historique de l’intervention du PAM dans la cantine scolaire en Haïti?
À quand remontent les premières interventions du PAM et quels ont été les facteurs à l’origine de cette décision ?
PAM: Le programme des cantines scolaires a débuté dans le département des Nippes en 2016. En cette année, le PAM a commencé à soutenir les efforts du ministère de l’Éducation dans l’implémentation de sa Politique d’Alimentation Scolaire via la fourniture d’ingrédients tels que du riz, sorgho, maïs, pois, racines et légumes pour la préparation de repas chauds à 23 écoles, soit 3 500 élèves.
À titre de comparaison, en 2024, un total de 420 000 élèves, dont la moitié bénéficie de repas préparés avec des produits 100% cultivés et achetés localement.
Cette décision a été prise à la suite de l’évolution du modèle d’aide humanitaire proposée par le Programme Alimentaire Mondial au cours des années. Nous proposons une approche holistique qui se base sur le renforcement des ressources locales. Dans le cas précis du programme de cantines scolaires, le PAM met en place un modèle qui s’efforce non seulement de lutter contre la faim et la malnutrition, mais aussi de soutenir l’éducation, tout en favorisant les investissements locaux et la création d’emplois.
DH: Est-ce que vous pouvez dresser pour nous un état des lieux de la situation de la cantine scolaire en Haïti ? Quelle quantité d’écoles et d’écoliers sont touchés par les interventions du PAM ?
PAM : En 2024, un total de 420 000 élèves dans tout le pays, dont la moitié bénéficie de repas préparés avec des produits 100% cultivés et achetés localement.
DH: Quels sont les défis et obstacles posés par la conjoncture actuelle et qui constituent des freins aux interventions du PAM ? Quelles sont les retombées pour les écoles et la cantine scolaire ?
PAM: À cause de la violence et des troubles de ces dernières semaines conduisant à la fermeture d’un grand nombre d’écoles, 300 000 écoliers ont été privés des repas quotidiens fournis par le PAM et ses partenaires, qui constituent, pour beaucoup d’enfants, le seul repas complet de la journée.
DH: Pouvez-vous nous en dire plus sur cette stratégie visant à connecter la production agricole locale à la cantine scolaire ? Quels sont les résultats attendus?
PAM: En effet, le programme de cantines scolaires a radicalement évolué au cours des années dans le but de favoriser la production locale. Pour l’année scolaire 2022/2023, le Programme Alimentaire Mondial a injecté plus de huit millions de dollars américains dans l’économie locale, soit une moyenne d’un million de dollars chaque mois à travers le support technique aux petits producteurs et l’achat de leur production à un prix juste.
De plus, la délocalisation des achats réduit les déplacements des produits, ce qui diminue considérablement la dépendance au flux de marchandises de la capitale vers les autres départements. Ce dernier élément constitue un facteur crucial en Haïti où actuellement l’approvisionnement des marchés par les agriculteurs est très perturbé par la violence et les troubles.
Le soutien aux achats locaux contribue également à réduire la dépendance du pays à l’égard des importations de denrées alimentaires.
Les résultats sont déjà concrets: le PAM a considérablement étendu sa collaboration avec les producteurs locaux, en passant de l’achat auprès d’approximativement 300 producteurs en 2019 à plus de 4 000 producteurs en 2023. L’expansion de cette nouvelle modalité a eu un impact très significatif sur le nombre d’emplois secondaires crées: de 64 jobs en 2019, à plus de 970 jobs crées en 2023 uniquement pour la transformation alimentaire
La sécurité et la souveraineté alimentaires étant des priorités du Gouvernement, le modèle mis en place par le PAM a été qualifié «d’exemplaire» par le Ministre haïtien de l’éducation, Nesmy Manigat.
«Non seulement l’alimentation scolaire s’appuie sur la production locale, mais la méthodologie utilisée pour mobiliser les communautés est une source d’inspiration pour tout le monde», a déclaré le Ministre.
En 2023, le PAM a doublé le nombre d’enfants recevant des repas scolaires préparés avec des ingrédients locaux, passant de 90 000 à plus de 210 000. En 2023, le PAM a soutenu, dans une action conjointe les ministères de l’Éducation, de l’Agriculture et de la Santé, la rédaction de la nouvelle Politique Nationale d’Alimentation Scolaire ; cela étant un signal fort de confiance et d’une coopération réussie.
D’ici 2030, le PAM vise à ce que 100% des repas scolaires en Haïti soient préparés exclusivement avec des produits cultivés et transformés localement, bénéficiant ainsi de milliers d’étudiants, les communautés et des producteurs locaux.
DH: Selon vous, existe-t-il un lien entre alimentation scolaire, croissance économique et développement durable ?
PAM: Oui, le programme de cantines scolaires du PAM se base sur ce lien. Les repas scolaires permettent de soutenir les efforts du Gouvernement dans le combat contre la faim et la malnutrition tout en promouvant un développement durable qui repose sur deux facteurs indispensables: l’éducation des futures générations et le renforcement de l’agriculture et de l’économie locales.

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