Migration et transferts privés sans contrepartie : une courbe ascendante constante sur ces 35 dernières années en Haïti
Sur les trois dernières décennies, Haïti a connu une forte progression des transferts sans contrepartie de sa diaspora répartie un peu partout à travers le monde. Au fil des années, l’on a assisté au rôle prépondérant des transferts dans la création d’emplois dans le commerce, les services, dans la consommation, le financement de l’importation et la fourniture de crédit dans l’économie haïtienne avec la partie qui reste dans le système bancaire. Retour sur l’évolution des transferts au cours des 35 dernières années.
Dans son rapport sur les comptes économiques en 2023, l’Institut haïtien de statistique et d’informatique (IHSI) estime que les transferts des travailleurs haïtiens à l’étranger ont totalisé un montant de 3,8 milliards de dollars américains en 2023, en légère baisse de 1,2% par rapport à 2022. En ce qui concerne la consommation finale, cette source de devises, selon l’IHSI, représente «une bouffée d’oxygène pour les ménages».
Pour l’économiste Etzer Emile, cité par le journal Le Nouvelliste, Haïti fait partie des pays du monde les plus dépendants des transferts de la diaspora, et ce n’est pas un compliment, car cela est signe d’une économie moribonde, non dynamique, non diversifiée qui est incapable de générer par elle-même de la richesse et des revenus pour les citoyens. «Les transferts tels qu’ils sont ne font que financer les importations et assurer la survie des familles bénéficiaires sans grande retombée sur la croissance et l’emploi», a-t-il indiqué.
Les 3.8 milliards de dollars américains représentent environ 20% du PIB considéré aux prix courants. Les transferts privés sans contrepartie en provenance de la diaspora sont une mesure généralement considérée pour effectivement apprécier l’importance des transferts au niveau macroéconomique.
Le ratio explique la dépendance d’un pays aux transferts. En 2022, les données de la Banque mondiale ont indiqué qu’Haïti était le troisième pays en Amérique latine et la Caraïbe le plus dépendant des transferts de la diaspora après le Salvador et les Honduras. Au niveau mondial, Haïti est parmi les pays où le ratio transferts sur PIB est le plus élevé.
Progression des transferts sans contrepartie de la diaspora haïtienne
En 1984, les transferts de la diaspora représentaient 85 millions de dollars, dont 45 millions restaient dans l’économie. En 2023, plus de trois milliards de dollars provenant des transferts de la diaspora (3,2 comptabilisés par les maisons de transfert) ont fait tourner l’économie haïtienne et ont alimenté les importations en 2023, a rapporté l’économiste Pierre-Marie Boisson, lors d’interviews accordées à plusieurs médias de la capitale.
Entre 2010 et 2019, la diaspora haïtienne, selon les calculs de la Banque mondiale, a transféré vers Haïti la somme de 19,75 milliards de dollars américains. À titre de comparaison, les envois de fonds de la diaspora sur cette décennie ont quintuplé par rapport à la précédente (2000-2009) où ils n’avaient atteint que 4,6 milliards de dollars.
En effet, entre 2007 et 2016, Haïti est le pays où les flux de transferts d’argent ont le plus augmenté à un rythme exponentiel de 85.6%, d’après le rapport «Travailleurs migrants et transferts d’argent : vers la réalisation des Objectifs de développement durable, une famille à la fois» publié par le Fonds international de développement agricole (FIDA).
Haïti arrive en tête dans le top 5 des pays de la région Amérique latine et Caraïbes, avec des envois de fonds représentant 21% de son PIB en 2007 et 25% en 2015. Des chiffres sur les transferts de la diaspora mis en ligne par la Banque centrale (BRH) sur son site web rapportent que sur l’exercice 2017-2018 (octobre à septembre), le montant des transferts de la diaspora a atteint le total de 2,35 milliards de dollars, avec 1,6 milliard de dollars (68,71%) de cette somme provenant des États-Unis.
Rétrospective sur l’évolution des envois de fonds en Haïti
En marge de la Semaine de la diaspora en 1999, Fritz Jean, gouverneur de la Banque centrale d’alors, a fait savoir que les transferts des Haïtiens vivant à l’étranger étaient estimés à 292 millions de dollars américains d’après les chiffres disponibles au niveau des bureaux de transferts enregistrés à la BRH en 1998. Ce montant représentait 8.4% du PIB, avait calculé Fritz Jean.
En outre, des estimations de la BRH ont révélé que, de 1993 à 2007, les transferts de la diaspora sont passés de 64.2 millions de dollars à près de 1.3 milliard, soit une progression de 84.01% avec une croissance moyenne annuelle de 28%. Le regain accéléré de ces transferts représentaient plus de 50% de l’offre de devises dans l’économie haïtienne.
Par ailleurs, le montant connu des fonds envoyés en Haïti par la diaspora haïtienne n’a dépassé la barre d’un milliard de dollars américain qu’en 2004. Jusqu’en l’an 2000, selon le Dr Bénédique Paul, les Transferts financiers des migrants haïtiens (TFMH) n’ont présenté aucun intérêt particulier aux yeux des analystes. Cependant, la donne allait changer en 2005. À titre de comparaison, en 2004, les TFMH représentaient plus de 5 fois la somme de l’aide internationale et l’investissement direct étranger (BID, 2006).
Autre fait historique digne à être signalé: Haïti a franchi pour la première fois la barre des 2 milliards de dollars de transferts reçus en 2015. Depuis lors, selon la Banque mondiale, le pays n’a jamais enregistré de baisse dans ses réceptions: 2,1 milliards de dollars reçus en 2015 ; 2,3 milliards de dollars reçus en 2016 ; 2,7 milliards de dollars reçus en 2017 ; 2,9 milliards de dollars reçus en 2018.
Forte dépendance de l’économie haïtienne aux transferts
Les catastrophes naturelles et les crises politiques récurrentes qui se sont succédé périodiquement dans le pays de 1991 à 2020 ont pour conséquence majeure le renforcement de la dépendance d’Haïti par rapport aux transferts d’argent de la diaspora. Chaque fois qu’il y a une catastrophe naturelle ou une crise socio-politique dans le pays, cela provoque généralement une augmentation très marquée des transferts d’argent de la diaspora vers leurs familles en Haïti.
Avec plus de 3,8 milliards de dollars de transferts, Haïti reste en 2023 très dépendant des fonds de la diaspora.
«La diaspora constituait en 2023 la source la plus importante de devises pour le pays. Elle fournit au pays quatre fois plus de ressources que celles provenant des exportations (moins d’un milliard) et près de 100 fois plus de ressources que celles reçues par le pays à travers les investissements directs étrangers (39 millions en 2022)», a expliqué l’économiste Enomy Germain, toujours dans les colonnes de Le Nouvelliste.
Malheureusement, la plus grande partie de cet argent de la diaspora retourne à l’étranger puisque la faible capacité de production du pays ne compense pas assez les besoins de consommation des Haïtiens. Les transferts de la diaspora sont généralement utilisés pour satisfaire les besoins de consommation alimentaire des ménages en Haïti. En effet, dans une étude menée par la firme PROECO HAITI en 2023, il en ressort que près de 60% des montants reçus sont utilisés pour la fonction de consommation. Sans ces ressources, une part plus importante de la population serait donc dans la faim totale.
Selon les chiffres émanant des statistiques locales, 65% des produits de consommation en Haïti viennent de l’étranger. Les importations d’Haïti sont évaluées à plus de 4 milliards de dollars l’an, alors les exportations stagnent à moins d’un milliard. Ce sont en grande majorité, les transferts qui financent l’importation haïtienne. Ainsi, il devient difficile de voir l’impact réel des transferts sur l’économie, l’emploi et les conditions de vie.
En outre, les transferts de la diaspora aident à alimenter le marché en dollars américains. «En leur absence, le taux de change de la gourde par rapport au dollar américain serait sans doute plus élevé», a laissé entendre Enomy Germain, estimant que le pays doit diversifier ses sources de devises afin de réduire cette énorme dépendance aux envois de fonds de la diaspora.
Dans ces conditions, il s’avère urgent et nécessaire pour le pays de produire plus et d’œuvrer pour la stabilité. Car, selon l’économiste Etzer Emile, compte tenu des revenus des Haïtiens de la diaspora évaluée entre 50 et 60 milliards de dollars. Les transferts envoyés en Haïti comptent seulement entre 5 et 10% de leur revenu. Si le pays avait la stabilité qu’il faut, la diaspora pourrait investir de façon plus durable dans le pays.
Fortes vagues migratoires
Si l’on s’en tient à ces 35 dernières années, le pays a connu des vagues migratoires successives provoquées par la violence politique, les coups d’État, les catastrophes naturelles et la violence des bandes armées. Certains estiment autour de 10% le nombre d’Haïtiens vivant à l’étranger.
«Haïti connaît depuis longtemps une émigration importante, et le nombre d’Haïtiens qui vivent à l’étranger ne cesse d’augmenter: 1.2 million en 2015 d’après les estimations, principalement aux États-Unis. Par ses envois de fonds – qui constituent environ 25 % du produit intérieur brut (PIB) haïtien – la diaspora peut contribuer au développement du pays. L’un des principaux défis pour Haïti est de parvenir à mieux gérer les migrations de sa population et de les mettre davantage au service du développement, alors même que les données et les analyses empiriques consacrées à cette problématique sont encore peu nombreuses», peut-on lire dans le chapitre «Paysage de la migration en Haïti» d’un rapport de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE).
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