Dans les méandres du Fonds national de l’éducation…
Le géographe et universitaire Georges Anglade est connu et reconnu pour être celui qui a mis en avant le premier l’apport des Haïtiens vivant à l’étranger, tandis que des années plus tard, le président Michel Martelly reste celui qui en premier a essayé de taxer les transferts de la diaspora dans le but d’alimenter le controversé Fonds national de l’éducation (FNE).
Le Fonds national pour l’éducation a été lancé officiellement le 26 mai 2011 par l’ex président Michel Joseph Martelly avec pour objectif de collecter quelque 144 millions de dollars américains sur les 5 prochaines années en vue de scolariser 1,44 millions d’enfants de condition modeste sur tout le territoire national.
Un document remis à la presse par l’équipe du président Martelly à l’époque avait établi que: «la grande majorité des 4 millions d’enfants haïtiens en âge d’aller à l’école ne fréquentent aucun établissement d’enseignement, faute de moyens financiers. Seulement 4 % des enfants scolarisés atteignent le niveau secondaire. La grande majorité des enfants des zones rurales, soit environ 75 %, n’ont pas d’accès à l’éducation et le tremblement de terre a aggravé une situation déjà alarmante en détruisant beaucoup d’écoles».
Dans la foulée, un communiqué de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation la science et la culture (Unesco) a salué la création du FNE qui est financé par le prélèvement de 0,05 USD sur chaque minute entrante et 1,50 USD sur les transferts d’argent entrant ou sortant. Pour la directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, le « FNE constitue un exemple de financement innovant pouvant contribuer dans l’atteinte des objectifs de l’éducation pour tous, engageant entre autres l’Etat, le secteur privé, les entreprises privées».
Le calvaire de la légalité du FNE…
Au 30 mai 2014, il n’y avait toujours pas de loi votée par le Parlement en ce qui concerne le FNE. Pour l’utilisation du FNE, le gouvernement a eu recours à un artifice en le mettant dans le budget. « Toutefois, l’artifice trouvé n’est pas une bonne chose pour l’Etat et pour la République. […] le FNE deviendra permanent que lorsqu’ il sera voté au Parlement », avait alors reconnu Youri Latortue, conseiller du président Martelly à l’époque.
Le projet de loi portant organisation et fonctionnement du Fonds national pour l’éducation (FNE) allait finalement être voté par les sénateurs le 28 juin 2017. Déposée au Parlement depuis juin 2012, cette loi proposée par l’exécutif d’alors allait connaître le même sort, le 17 août 2017, à la Chambre des députés qui l’a votée en deuxième lecture.
Si elle a été officiellement lancée le 26 mai 2011, déposée au Parlement le 12 juin 2012, Il a pourtant fallu attendre le 28 juin 2017 pour que l’assemblée des sénateurs se penche sur cette loi portant création, organisation et fonctionnement du Fonds national de l’Éducation (FNE) qui se propose de réguler et de doter le FNE d’une personnalité juridique jouissant d’une autonomie financière et administrative.
Au regard de cette loi, le FNE, «organisme autonome d’une durée illimitée, jouissant de l’autonomie financière et administrative, placée sous la tutelle du MENFP», s’évertuera, entre autres, à identifier et à gérer des ressources financières permettant le développement et la poursuite du programme d’éducation des jeunes et des enfants et d’assurer l’accès à la scolarisation universelle.
Le FNE devrait être en mesure de remplir sa mission. Ses ressources financières, qu’il doit investir, entre autres, dans la construction de mobiliers scolaires et l’achat de matériels pédagogiques, proviendront des redevances et droits constitués par un pourcentage sur les gains des jeux de hasard, des droits et concessions sur les casinos, de la redevance prélevée sur chaque minute d’appel international entrant et sortant, par un pourcentage des revenus générés par les concessions de la loterie de l’État haïtien, du loto et autres.
Le FNE, comme l’indique le texte de loi portant sa création et son organisation, sera géré par un directeur général coiffé par un conseil d’administratif composé de sept membres. Ils seront choisis par sept entités différentes : les ministères de l’Économie, de l’Éducation nationale, de la Planification, des Haïtiens vivant à l’étranger, le secteur des syndicats d’enseignants, la Fédération nationale des maires et le secteur des droits humains. L’institution sera dirigée par un haut fonctionnaire de carrière ayant le titre de directeur général.
Vers un recadrage de la manne du FNE
Un an après l’entrée en vigueur de la loi du 17 août 2017 portant création, organisation et fonctionnement du FNE, la direction générale – l’un des organes centraux du FNE en plus du conseil d’administration a été mise sur pied dans le cadre «des efforts de restructuration du fonds» ayant servi davantage à financer la corruption organisée au nom de l’éducation. Son fonctionnement devait marquer un changement d’orientation dans la gestion de ce Fonds.
Selon le ministre de l’Éducation nationale d’alors, Pierre Josué Cadet, le vœu du MENFP était que cet organisme autonome d’une durée illimitée, jouissant de l’autonomie administrative et financière, doté de la personnalité juridique ait pu jouer un rôle majeur dans la mobilisation des ressources afin de « répondre aux grands besoins du secteur de l’éducation.»
En effet, depuis son lancement, plusieurs scandales de corruption et de malversations ont entaché le Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire (PSUGO) qui accordait l’équivalent de 90 dollars américains l’an pour chaque élève inscrit. Les six années ayant suivi le lancement du FNE ont été des années de gestion désastreuse orchestrée par des autorités, des élus et des directeurs d’école dans le cadre du PSUGO qui était financé exclusivement à partir de ce fonds. Avec des effectifs surévalués et des écoles fictives, ils se sont donnés à cœur joie des millions du FNE. Deux enquêtes instruites à la demande du ministère de l’Éducation nationale sur le PSUGO auprès de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) ont révélé des données accablantes sur des cas de détournement à grande échelle.
À côté des vastes opérations de détournement de fonds, l’une des particularités de cette manne, c’est l’opacité sur les montants collectés et les dépenses réelles. À l’exception des chiffres avancés en 2015 par le ministre Nesmy Manigat, qui a initié un assainissement du PSUGO notamment en impliquant la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSC/CA) dans la signature des nouveaux contrats avec les directeurs. Dans un article du Nouvelliste publié en date du 29 avril 2015, l’ex-ministre a fait savoir que pour les 100 millions de dollars prévus chaque année, seulement 36 millions de dollars sur les appels internationaux et les transferts et 20 millions de dollars de taxe ont été réunis.
Obligation de rigueur et de transparence
L’Initiative de la Société civile (ISC), lors d’une rencontre avec des acteurs du système éducatif haïtien et des experts, le 8 mai 2012, avait réclamé de la rigueur dans la gestion du FNE mis en place par le président Michel Martelly dans le cadre de son Programme de scolarisation universelle gratuite. Selon Rony Desroches, coordonnateur de l’ISC, le FNE est «une bonne chose» mais doit être géré «avec beaucoup plus de rigueur» et de «participation ». S’agissait-il d’une prémonition?
Il ne fait aucun doute, au vu du scandale qui secoue actuellement le FNE, que cette mise en garde vieille d’environ 8 ans est toujours d’actualité.

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