À la rencontre de Xavier Michon, représentant résident du PNUD en Haïti
Pour sa première sortie médiatique, en marge de sa récente nomination en tant que représentant résident en Haïti pour le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), M. Xavier Michon était de passage, au début du mois de juin, à l’émission Investir, diffusée sur les ondes de Radio Métropole et en ligne sur la plateforme ProFin TV. Au cours de cette interview exclusive, M. Michon est revenu sur son parcours, les défis actuels de son pays d’accueil, la nécessité de changer le récit sur Haïti, le rôle du PNUD, ainsi que la communauté internationale dans le soutien aux efforts de développement d’Haïti. Nous publions in extenso la première partie de cette interview réalisée conjointement avec notre rédaction, l’équipe d’Investir et celle de ProFin TV.
DevHaiti (DH): En tant que nouveau représentant résident en Haïti, pourriez-vous nous en dire un peu sur vous-même et votre parcours ?
Xavier Michon (XM): J’ai connu Port-au-Prince il y a vingt ans en tant que membre de l’équipe du PNUD, mais avant ça j’étais basé à New York comme directeur adjoint d’une organisation onusienne qui a une vocation d’investissement impact, d’appuyer le développement économique dans les pays les moins avancés naturellement, dont Haïti.
J’ai travaillé en Afrique, en Amérique centrale, j’ai même travaillé comme directeur par intérim de la Chambre de commerce française en République dominicaine il y a très longtemps de cela. Mais initialement mon background c’était dans la banque d’investissement et donc tout ça me conduit à Haïti que j’ai connue en tant que responsable pour Haïti depuis New York quand j’étais au PNUD.
J’ai visité plusieurs fois Haïti. J’ai toujours été inspiré par Haïti. J’ai exprimé mon intérêt à la Direction de l’Amérique latine et Caraïbes du PNUD pour ce pays et un jour j’ai reçu un coup de fil me disant que le représentant partait, et si j’étais intéressé par un poste intérimaire. J’ai tout de suite quitté mon travail dans une mission partielle et, cela fait environ six mois depuis que je suis en poste en Haïti. Je suis certain qu’on pourra apporter notre petit grain de sel et notre contribution comme PNUD mais aussi comme membre d’une famille beaucoup plus ample qui est celle des Nations Unies.
DH: Quelles expériences ou perspectives apportez-vous à ce rôle, et qu’est-ce qui vous a motivé à relever le défi de travailler en Haïti à ce moment crucial ?
XM: Je viens avec une perspective. Dans la coopération de l’aide au développement, on regarde le verre toujours à moitié plein, pas à moitié vide. J’essaie de toujours voir quelles sont les opportunités, qu’elles sont les voies que l’on peut prendre pour aller de l’avant. Je pense que je viens avec cette conviction que malgré les défis auxquels Haïti a fait face et fait face aujourd’hui on peut en parler, mais ce qui m’intéresse ce sont justement les opportunités sur lesquelles le pays peut capitaliser. Je ne le dis pas simplement comme représentant du PNUD, mais c’est une conviction personnelle.
J’arrive dans un pays où je vois des opportunités partout, en commençant par la jeunesse. Un pays où plus de la moitié de la population a moins de 25 ans, c’est une jeunesse qui est dynamique, c’est une jeunesse qui est pleine d’idées. Et donc c’est un élément qu’il faut capitaliser, qu’il faut motiver, qu’il faut nourrir avec du savoir-faire, mais je le vois d’une façon beaucoup plus ample.
Je reviens du Cap-Haïtien, une ville où initialement on voit le bord de la mer dans une première perspective. Mais en commençant à regarder un peu sa situation, sa position, disons les voies du tourisme, son capital culturel, je ne parle même pas de la Citadelle, et ce potentiel qu’on y voit avec un peu d’effort, un peu de conviction et surtout la participation de tous les acteurs, en commençant par le privé, naturellement les institutions publiques, la société civile et les autres partenaires.
Je pense qu’il y a des choses à faire et j’ai même découvert en étant là-bas un document traitant d’une vision, c’était la vision de 2020/2022 pour le Cap-Haïtien ; je la trouve extrêmement intéressante. Dans mon travail j’essaie de voir quelles sont les opportunités et je pense que c’est à partir de là que j’essaie de construire et donc je vais dans cette logique: comment pouvoir construire ? Comment pouvoir m’aligner sur les visions, sur les ambitions des Haïtiens et des Haïtiennes et sur une approche qui se base sur l’écoute, sur le respect ? Je pense que nous, on peut apporter, contribuer, ne serait-ce que par nos expertises, nos quelques ressources et accompagner le pays dans son évolution et on espère qu’avec la situation qui est en train de se dérouler en ce moment qui nous donne plus d’oxygène, et on voit dans les rues des embouteillages, il y a des gens qui sortent, on espère qu’on pourra apporter notre contribution à cette phase de la sécurisation et tout ce qui va en découler en termes de développement.
DH: Haïti fait face à de nombreux défis, de la pauvreté à l’instabilité politique. Dans quelle mesure percevez-vous ces défis comme étant graves, et quels sont, selon vous, les priorités les plus urgentes pour y faire face ?
XM: Je pense qu’il est important de changer le narratif ; le narratif est toujours les aspects, les défis auxquels le pays fait face, et je pense qu’il faut en être conscient, mais aussi il faut ajouter dans ce narratif quelles sont les opportunités, quel est le capital, le capital humain, la position géostratégique du pays, pour en citer quelques-unes. Je parle des potentiels de l’économie digitale pour un pays qui aujourd’hui a une main-d’œuvre qui parle l’anglais qui pourrait aussi profiter des moyens de communication digitaux pour certains industries et services. Je peux en parler de multiples façons, mais on y arrivera. Peut-être que là il y a un élément à considérer mais peut-être dans le court terme, sachant qu’on est dans une réalité qui est celle qu’elle est et que ce qu’on a vécu au cours de ces derniers mois il est évident, c’est une condition sine qua non pour cette construction dans le court terme, dans le moyen et dans le long terme.
L’aspect sécurité est un thème fondamental et donc je reviens sur cet aspect qui est un élément de déclic; je pense que la question de sécurité permettra un retour à la normalité. Il faut penser à une dynamique de développement qui puisse en découler peut-être dans le court terme, appuyer les autorités de la socié civile avec tous les moyens pour qu’on puisse retourner à une situation sécuritaire avec une certaine normalité qui puisse ensuite canaliser d’autres initiatives en termes de développement économique, social, et naturellement d’autres dynamiques qui puissent en découler.
DH: Il existe un récit dominant sur Haïti souvent axé sur ses défis. À quel point est-il important de changer ce récit et de mettre en lumière le potentiel de croissance et de développement du pays ? Quelles mesures peuvent être prises pour changer les perceptions mondiales sur Haïti ?
XM: J’ai parlé quand même avec pas mal d’Haïtiens dans différents rôles, je vois des Haïtiens qui sont passionnés pour leur pays, qui voient dans ce pays des opportunités, qui voient des chemins qu’ils peuvent prendre pour mener le pays dans une évolution, dans son développement, que ce soit dans le domaine social, dans le domaine artistique, ou dans le domaine économique.
Nous on va travailler avec les différents acteurs et en commençant naturellement on voit beaucoup d’acteurs au sein du gouvernement et dans le domaine public, que ce soit au niveau central comme au niveau local. Cette conviction doit émaner des Haïtiens, ça c’est pour moi un thème fondamental.
Deuxième point, et c’est un peu la question que je pose en termes de vision. J’étais dans d’autres pays où il y avait une certaine clarté, où ils se projetaient en termes de développement économique, de développement social, où il y avait une compréhension de la population sur différents niveaux. Haïti fonctionne dans une économie mondiale, elle doit se spécialiser, capitaliser différents flux commerciaux des différentes perspectives de relations de voisinage, de traité économique, que ce soit régional ou non. Il faut voir où ce pays possèdent un avantage comparatif. Je pense qu’Haïti a énormément d’avantages comparatifs. Commençons par la position géostratégique d’Haïti avec sa frontière, un marché d’Amérique du Nord, la frontière de l’Afrique de l’Ouest, de l’Europe, les routes qui descendent sur le canal du Panama qui se connecte avec l’Asie du Sud-Est, je pense qu’il y a toute une série de réflexions qu’il peut y avoir, et vous avez, comme je vous l’ai dit une jeunesse qui estextrêmement, à mon avis, agile. On voit aujourd’hui qu’on a une jeunesse qui est connectée, qui au-delà de sa formation formelle, a accès à d’autres sources de formation, qui est totalement initiée dans la réalité digitale, qui comprend certaines dynamiques ; je vois la même chose en Haïti. Ça c’est pour moi un potentiel, un capital, et peut-être avec un certain appui, naturellement on se met à la disposition des autorités, du secteur privé.
Je pense qu’il y a un potentiel énorme, mais il y a tellement de dynamiques qu’on peut entreprendre ne serait-ce que par le digital pour mettre en avant le savoir-faire, connecter les jeunes Haïtiens, sans oublier le capital artistique, qui est unique, la peinture, l’art. Vous avez des intellectuels ; je pense qu’il y a tellement d’éléments qu’on peut mettre en avant et peut-être cela doit s’inscrire dans le cadre d’une vision. Haïti pourrait s’inspirer d’expériences d’autres pays. D’autres pays ont orienté leur modèle économique, comme le Costa Rica, ils ont orienté un peu leur modèle sur le respect de la nature, ils ont développé toute une industrie autour d’un tourisme de luxe, de visite, de forêt tropicale. Tout ce modèle, tout cet écosystème a été construit là-dessus.
Il y a peut-être certains éléments qu’on peut prendre mais tout a commencé par une vision, peut-être au-delà de la confiance mais aussi c’est savoir où est ce qu’on va et cette vision est un élément important parce que ça permet de justement dire que le pays va dans cette direction et on sait que par rapport aux opportunités qu’on a dans l’économie mondiale, ça, ce sont les éléments, les effets de levier sur lequel on peut construire. Et à partir de là je pense qu’il y a une construction intéressante et naturellement nous, du côté du PNUD, ne serait-ce qu’apporter des expériences d’autres pays qui ont vécu des choses similaires et qui veulent partager leur vécu, leur évolution, ce serait quelque chose intéressant d’offrir et d’apporter une réflexion conjointe et une perspective de construction conjointe.
DH: Une vision d’avenir est mise en avant comme étant essentielle dans vos discussions. Pourquoi est-il important d’avoir une vision claire pour le parcours de développement d’Haïti, et comment une telle vision peut-elle être articulée et adoptée par la société haïtienne ?
XM: Je pense que le premier élément c’est un élément d’appropriation, c’est un élément de sentir que c’est une vision qui nous appartient et qui vous appartient comme Haïtiens, qui reflète un peu vos aspirations. Et donc un élément de dialogue, d’avoir une compréhension de ce qu’on fait d’autres pays, quelles ont été leur propre modèle, que chaque modèle est différent, il y a peut-être quelque chose intéressant.
Mais je pense qu’il doit y avoir un processus de construction, de compréhension et de socialisation qui soit un modèle haïtien.
Mais ce à quoi je veux assister, c’est qu’Haïti se trouve aujourd’hui dans une économie globale et je pense que sa position lui permet de jouer son rôle et peut-être il faut justement commencer à en discuter et c’est peut-être dans cette logique qu’on peut mettre en avant certaines conversations, certaines expériences d’autres pays, mais ce qui est fondamental, c’est que c’est un terme basé sur une appropriation, une concertation entre différents acteurs et là on parle naturellement de multiples facettes de la société haïtienne, en commençant par les autorités gouvernementales, mais on doit parler d’une société civile, d’un secteur privé, du secteur académique, peut-être d’autres pour que justement même si on a une certaine différence sur certains éléments on est un esprit central, disons que ça, c’est le pays qu’on veut et on pense qu’aujourd’hui Haïti a une vision. On est quoi en 2024 ? Et dans les années qui suivent, est-ce qu’on veut se projeter dans cette direction? Et après on peut discuter sur certains éléments.
Mais le corps central doit être un élément débattu et accordé, et pour lequel on se sent, disons, haïtien. Pour cela on se met dans cet esprit, si naturellement ce sera quelque chose à considérer, à construire avec Haïti et ses représentants.
DH: La sécurité est soulignée comme étant une exigence fondamentale pour le progrès d’Haïti. Comment envisagez-vous que les initiatives en matière de sécurité contribuent à libérer le potentiel d’Haïti, notamment à la lumière d’événements récents, tels que la violence des gangs ?
XM: Alors on voit toujours le terme de leadership, c’est le leader au plus haut niveau et je pense que le leadership commence par les Haïtiens. Il commence par le citoyen, la citoyenne qui joue son rôle en tant que père et mère de famille, frère ou sœur, qui joue son rôle au sein de son petit commerce. Et je pense que cette construction doit être liée avec ces deux facettes, comment donner les éléments pour renforcer cette conviction, cette sûreté, avec les capacités des individus tels qu’ils se sentent partie d’un projet commun, d’un projet haïtien, en commençant par le secteur privé, par le secteur académique, ainsi que les autorités gouvernementales. Je pense qu’on doit travailler de l’amont à l’aval et de l’aval à l’amont et ça commence aussi par le citoyen et la citoyenne.
Je reviens aussi sur cette force qui est, à mon avis, fondamentale, un capital unique cette jeunesse que vous avez.
Seconde partie à suivre dans le prochain numéro.
DevHaiti

