Gouvernance

État des lieux de la protection sociale et du secteur des assurances en Haïti

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La protection sociale, la panacée indispensable à toutes les sociétés humaines, riches ou pauvres, est aussi indispensable en Haïti qui, mis à part sa situation de crise économique aiguë, est aussi soumise aux aléas naturels très préjudiciables aux individus et aux ménages. Même après plus de 200 ans d’indépendance, le système de protection sociale haïtien tarde à trouver ses repères et à se mettre à la hauteur des défis. Notre travail aujourd’hui consiste à essayer de faire un état des lieux des services de protection sociale disponibles en Haïti à la fois à travers le secteur public et surtout le secteur privé avec les assurances.

On entend par protection sociale, cette responsabilité ou obligation faite aux responsables politiques, aux gouvernements et acteurs du secteur privé des pays du Nord comme ceux du Sud de mettre au service des individus ou des ménages des mécanismes de prévoyance qui permettent à ces derniers de faire face aux risques sociaux. On entend par là les chocs naturels ou humains pouvant provoquer une  baisse  de  leur  pouvoir  de  consommation accompagnée d’une hausse de leurs dépenses, comme la maladie, la vieillesse, l’invalidité, le chômage, les charges familiales, les incendies, les tempêtes, tremblements de terre, etc.

Dans le cas de cet état des lieux de la protection sociale et des compagnies d’assurances qui nous préoccupe, il nous a été permis de consulter principalement un travail du Dr Suze Mathieu réalisé pour le compte du Bureau international du travail (BIT) et intitulé «Rapport sur l’état des lieux de la protection sociale en Haïti ». Dans ce rapport, l’auteur a énuméré les trois types d’institutions impliquées dans le domaine de la protection sociale en Haïti, à savoir:

•           Les institutions étatiques qui sont le ministère des Affaires sociales et du Travail, la Caisse d’Assistance Sociale (CAS), l’Institut de Bien-Être Social et de Recherches (IBESR), l’Office d’Assurance Accident du travail, Maladie et Maternité (OFATMA), l’Office National d’Assurance-Vieillesse (ONA) ;

•           Les Institutions privées qui sont des compagnies d’assurances comme l’International Assurance

S.A (INASSA), les Assurances Léger S.A (ALSA), la Compagnie d’Assurance d’Haïti (CAH), la Capital Insurance Company Ltd.

•           Les organisations internationales ;

•           Les organisations à but non lucratif.

D’une manière générale, le Rapport sur l’état des lieux de la protection sociale en Haïti de Mme Suze Mathieu a permis d’aboutir aux constats suivants :

•           Il y a quatre secteurs impliqués dans la protection sociale en Haïti: le secteur public, le secteur privé, les organisations internationales et les institutions à but non lucratif. Parmi ces quatre secteurs seulement deux sont impliqués directement en offrant des services à la population haïtienne ; le secteur public, à travers le ministère des Affaires sociales et du Travail (MAST) et le secteur privé, à travers les compagnies d’assurances.

•           Au niveau étatique, il y a cinq institutions qui offrent des services directement à la population, en l’occurrence, le bureau central du MAST et ses quatre organes autonomes: le CAS, le BienÊtre Social, l’OFATMA et l’ONA). En additionnant tous les chiffres recueillis de ces institutions, et sans tenir compte de la possibilité de compter certaines personnes plus d’une fois, le nombre total de citoyens couverts serait de 261.874, ce qui représente 3.3% de la population haïtienne, estimée à ce moment-là à environ 8 000 000 d’habitants.

•           La grande majorité de ceux qui bénéficient des services sociaux de l’État habitent Port-au-Prince et ses environs.

•           Dans le secteur privé, moins de dix compagnies d’assurances offrent des polices d’assurances vie – santé et/ou vieillesse. En excluant les 48 000 fonctionnaires de l’État, le nombre de personnes couvertes est approximativement 37 000 au niveau national, et comme c’est le cas pour le secteur public, la grande majorité habite Port-au-Prince.

•           Seuls les travailleurs du secteur formel sont inclus dans la liste des bénéficiaires des services d’assurance. Malheureusement un grand nombre ne connaît pas les avantages auxquels ils ont droit. Il faut mentionner aussi que pas mal de ceux qui travaillent dans le secteur formel ne sont pas couverts à cause de leur manque d’information et le manque d’effort au niveau étatique pour les renseigner, voire les inclure.

Que ce soit dans les pays riches ou dans les pays pauvres, la protection sociale est essentiellement liée à l’emploi formel. Ce sont les travailleurs des entreprises soit publiques ou privées qui bénéficient des services liés à la santé, aux conditions de travail, au chômage, à la retraite, etc. Ceux qui, cependant, travaillent en milieu rural ou dans le secteur informel n’ont aucune couverture sociale. La famille est leur seul recours lorsqu’un problème survient, lit-on dans le rapport du BIT.

«Dans le cas d’Haïti, la majorité de la population, environ 60%, est paysanne et travaille en milieu rural. La plupart des citadins, de nos jours, sont des migrants du milieu rural qui se sont installés en ville pendant les 15 à 20 dernières années. Arrivés en ville, ils se sont impliqués dans le secteur informel, le seul dans lequel ils ont pu s’insérer, compte tenu de leur manque de formation formelle, étant pour la plupart des illettrés. La crise multiforme que traverse le pays depuis 1985 explique aussi la croissance vertigineuse du secteur informel à Port-au-Prince. Par conséquent, étant donné que la grande majorité des Haïtiens travaille soit dans le secteur agricole ou le secteur informel, ils ne sont pris en compte par aucune structure formelle de protection sociale. C’est pourquoi, dans le cas d’Haïti, il est plus juste de considérer les inclus au lieu de chercher à identifier les exclus. C’est dans ce sens-là que cette enquête a été menée, et que ce rapport en fait état», soutient le Dr Suze Mathieu.

Pour cette étude, le professeur Mathieu a défini la protection sociale ainsi: «Nous entendons par protection sociale toutes les structures sociales, en dehors de la famille, qui garantissent aux citoyen(ne)s le minimum nécessaire à la vie en cas de difficulté dû aux aléas socioéconomique, tel que le chômage, la retraite, la maladie, etc. ; et aux aléas de la vie tout court, tel qu’accident, maladie, mortalité, etc. Nous incluons dans cette définition les mesures préventives telles qu’un environnement sain dans le lieu du travail.»

Ainsi, à côté des institutions étatiques, il y a les institutions privées regroupées essentiellement au sein des compagnies d’assurances qui offrent des services de protection sociale à un secteur de la population haïtienne. Le rapport du professeur Suze Mathieu a répertorié une vingtaine de compagnies sur le marché. Malheureusement, elles sont peu nombreuses celles qui offrent des couvertures personnelles ; le plus souvent elles se spécialisent dans l’immobilier.

Mme Mathieu, pour son travail, a rencontré quatre représentants de compagnies d’assurances qui offrent des couvertures aux individus, ce sont: L’International Assurance, S.A. (INASSA) qui a vu le jour en 1993. Elle offre des polices d’assurances vie et santé aux groupes et aux individus. L’INASSA n’offre pas d’assurance-vieillesse, parce que les lois haïtiennes ne le permettent pas encore. Avec la Capital Life, l’INASSA sont les deux compagnies d’assurances qui assurent les 42 000 fonctionnaires de l’État depuis janvier 1999. A part cela, il doit y avoir environ 1000 personnes au niveau national qui détiennent une police d’assurance individuelle, et peut-être un autre millier couvert par le Pro-Care/Dash qui couvre approximativement 1000 ouvriers, d’après les données du rapport du BIT.

Selon le directeur de l’INASSA, Mérové Pierre, seulement quatre compagnies d’assurances offrent des services aux personnes : la CAH, la CAPITAL LIFE, l’EXCELSIOR, et la SOCOMA. Il n’y a pas de vraies mutuelles en Haïti, a révélé M. Pierre, expliquant qu’il doit y avoir environ 79 000 personnes ayant une couverture d’assurance, vie – santémaladies et/ou accidents dans tout le pays. Ce chiffre représente approximativement 1% de la population nationale qui est estimée à 8 000 000 de personnes environ. La grande majorité des 79 000, soit 75%, ont une couverture pour célibataires, n’incluant pas les membres de leurs familles, parce que la prime est moins chère.

Les Assurances Léger S.A

Gérard Léger, président de la compagnie, a révélé dans le rapport qu’il travaille dans le domaine des assurances en Haïti depuis 1962, mais que c’est seulement en 1994 qu’il a créé sa propre compagnie. Dans le domaine de l’assurance d’accident scolaire, la compagnie assure essentiellement les écoles contre les accidents survenus à l’école. En tout, elle assure trente  écoles privées à Port-au-Prince, pour un total de vingt-cinq mille élèves. La totalité de la prime est payée par les parents à travers les écoles. Mais M. Léger croit que certaines écoles augmentent le coût de l’assurance qu’ils font payer aux parents. D’après M. Léger, aucune des écoles de l’État n’est assurée contre les accidents. En général il n’est pas confronté à de problèmes dans l’offre de ce service.

La Compagnie d’Assurance d’Haïti (CAH)

La CAH existe en Haïti depuis 1973. Le Dr Philippe Armand, P.D.G de la compagnie, a informé que la CAH offre ses services à Port-au-Prince, ses environs et au Cap-Haïtien. La clientèle CAH inclut des groupes d’employés et des individus. La CAH espère offrir ses services à 100 000 personnes, mais au moment de la rencontre avec Mme Mathieu, elle n’en avait que 18 000. Les conditions de participation sont simples : souscription et paiement des primes régulièrement.

Le Dr Armand en a profité pour énumérer les principaux problèmes confrontés dans le secteur des assurances, lesquels sont : le manque de pouvoir d’achat de la population ; le manque de preuve d’identité vérifiable ou encore le grave problème de l’état civil du citoyen haïtien faute d’acte de naissance, et enfin la faiblesse du système judiciaire rendant difficiles les procédures juridiques.

Capital Life Insurance Company Ltd.

M. Fritz de Catalogne est l’agent général et le représentant légal de la Capital Life Insurrance Company, qui est sous la tutelle de la Compagnie Caribéenne, The Mutual Group. D’après M. de Catalogne, c’est la seule compagnie en Haïti qui offre tous types de couverture: «Whole life», fonds de pension, crédit épargne, santé collective et individuelle, etc. C’est la Capital Life qui couvre 60% des quarante-huit mille fonctionnaires de l’État, qui, pour la première fois, bénéficient d’une assurance santé et vie depuis janvier 1999. L’INASSA a la charge des autres 40%.

Pour le représentant légal de la Capital Life, la compagnie fait face à deux problèmes majeurs : le premier vient du fait que «75% de la population haïtienne n’existe pas légalement». Cette absence d’acte de naissance rend l’identification des personnes difficile; le deuxième problème majeur, selon M. De Catalogne, vient de la culture française que les Haïtiens ont héritée. Cela les pousse à associer tout évènement à la chance ou à la malchance. Pour soigner la malchance, ils recourent au mécanisme de la charité. Entre-temps, aucune mesure préventive n’est prévue puisque le facteur risque n’est pas pris en compte. Cette façon de concevoir la réalité rend la vente des polices d’assurance difficile aux populations qui partagent ces croyances.

Gary L. Cyprien

DevHaiti

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