Le Parlement, grand absent du processus budgétaire

Dans son édition du 29 septembre 2023, le journal officiel de la République, Le Moniteur, a rendu public officiellement le décret établissant le Budget général de la République d’Haïti pour l’exercice 2023-2024. Ce budget d’un montant total de 320,6 milliards de gourdes est le quatrième du genre à être adopté en Conseil des ministres sans être sanctionné par un vote d’aucune des deux branches du Parlement haïtien.
En effet, depuis la caducité du Parlement haïtien, constatée par feu président Moïse en date du lundi 13 janvier 2020, aucun budget des quatre derniers exercices, à savoir 2020-21, 20201-22, 2022-23 et maintenant 2023-24, n’a pu être voté par la Chambre des députés et encore moins par le Sénat. Depuis lors, il est plutôt question de décret budgétaire en lieu et place de loi de finances pour faire référence au budget des exercices fiscaux susmentionnés, contrairement à ce qui est prévu par le cycle budgétaire.
En effet, depuis janvier 2020, le Parlement haïtien a perdu son monopole de voter les lois de finances ainsi que ses prérogatives pour en contrôler l’exécution. En absence du Parlement haïtien, le gouvernement actuel, au terme de l’exercice fiscal en cours, n’aura été soumis à aucun contrôle parlementaire en ce concerne l’exécution du budget et, de fait, n’a aucun compte à rendre au pouvoir législatif inexistant. Il s’agit-là d’un très mauvais signal pour la santé de la démocratie de notre pays, miné par la mauvaise gouvernance et la corruption. Sans surprise, Haïti va encore perdre des points dans l’indice de perception de la corruption.
Avec la caducité du Parlement, la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) reste la seule institution de contrôle des dépenses publiques. Or, dans les régimes démocratiques, les parlements nationaux et les cours des comptes représentent des institutions clés du contrôle budgétaire et fiscal. Ces organes de contrôle, quand ils jouent pleinement leurs rôles, favorisent la transparence de l’information fiscale et obligent les gouvernements à rendre compte de leur gestion et de l’usage des deniers publics.
Dans le cas contraire, la faiblesse des mécanismes de contrôle fiscal réduit l’impact des dépenses publiques et la reddition des comptes et constitue donc un frein au développement et à la réduction de la pauvreté dans les pays en développement, dont Haïti.
Sitôt le retour à l’ordre démocratique acté et les institutions démocratiques républicaines rétablies, Haïti devra faire face au principal défi de la gouvernance financière de toutes les économies émergentes, à savoir réconcilier la discipline fiscale et la responsabilité politique et parvenir à un équilibre délicat entre pouvoir exécutif et contrôle parlementaire. En d’autres termes, le défi de la gouvernance financière est de conserver les avantages d’un pouvoir exécutif haïtien traditionnellement volontariste, capable d’exécuter la politique fiscale, tout en permettant les contrepoids nécessaires pour garantir la responsabilité et prévenir la corruption.
Sans contre-pouvoir, sans garde-fou, le gouvernement actuel a la haute main sur le processus budgétaire qu’il conduit de bout en bout. Or, l’absence du contrôle budgétaire comporte des effets tout aussi néfastes que l’excessive discrétion du pouvoir exécutif en matière budgétaire. Il est maintenant communément admis que davantage de transparence et de responsabilité tendent à améliorer la qualité et la légitimité de la gouvernance fiscale
Par ailleurs, l’absence du Parlement, en aucun cas, ne saurait être l’arbre qui cache la forêt. Les dernières législatures ont fait face à un manque de personnel parlementaire spécialisé empêchant souvent un contrôle parlementaire efficace, en particulier en matière budgétaire compte tenu du degré de complexité du processus budgétaire.