Éditorial

Sortir des méandres du change en Haïti

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Ces dernières semaines, nous avons assisté à une envolée spectaculaire du taux de change en Haïti. L’exécutif a réagi en adoptant le décret du 5 juin 2020 modifiant certaines dispositions du décret du 6 juillet 1989 sur les maisons de transfert.

Ce nouveau texte contraint la Banque de la République d’Haïti (BRH) à s’autosaisir du dossier. La Banque centrale a vite emboîté le pas avec la circulaire 114-1 aux banques et maisons de transfert. Cette circulaire, prévoyant son entrée en vigueur le 24 juin 2020, définit les normes relatives aux opérations de transfert de fonds sans contrepartie et précise les modalités de transferts reçus ou expédiés, en mettant l’accent sur les conditions de réception des transferts en dollar américain.

À peine communiquée, ladite circulaire établissant des mesures visant également la régularisation du marché de change biaisé en grande partie par la concurrence déloyale du circuit informel de change monétaire, qui échappe à tout contrôle de la Banque centrale, fut systématiquement scrutée et passée au tamis.

Ils sont encore nombreux à s’interroger sur les retombées de cette circulaire quant aux intérêts économiques du consommateur final, bénéficiaire d’un transfert international, et au retour à l’ordre sur le marché haïtien, dans la perspective d’une éventuelle stabilisation du taux de change.

À cet égard, les opinions recueillies de plusieurs économistes convergent vers le scepticisme. Ils ont tous fait preuve de grande prudence en évoquant le problème du taux de change dont les corollaires, notamment la dépréciation de la gourde et la rareté du dollar américain, ne sont que les syndromes d’une infection sévère et incurable. À cette phase, nul décret, voire une simple circulaire, ne saurait arrêter la métastase, car le foyer primaire de la tumeur demeure malade.

Peu de temps après la publication de la circulaire 114-1, la BRH a décidé de repousser sa date d’entrée en vigueur. S’agit-il d’un simple report ou devons-nous nous attendre à une nouvelle lettre circulaire aux acteurs, tenant en compte les innombrables critiques et recommandations formulées par des représentants de divers secteurs de la société ? Nous serons édifiés le 3 août 2020 comme indiqué par la BRH.

En attendant, une coordination au plus haut niveau de l’État est nécessaire, voire indispensable, pour adresser certains problèmes structurels face auxquels la circulaire affiche ses limites. Prenons en exemple la structure de prix qui est, en Haïti, majoritairement libellée en dollars. Le bénéficiaire de transfert qui recevra ses fonds en gourdes sera pénalisé à coup sûr, car pour payer certains biens et services, il devra acheter des devises à un taux de change jouant en sa défaveur. Cette bataille, la BRH ne pourra certainement pas la gagner seule. Les banques et les maisons de transfert doivent aussi rentrer dans les rangs et œuvrer pour regagner la confiance de leur clientèle, qui est persuadée qu’elles engrangent leurs profits au détriment de la collectivité. Il y va de leur image.

À l’heure actuelle, les banques commerciales sont perçues comme des acteurs tout-puissants utilisant leur position pour influencer le marché des changes à leur avantage. Sentiment partagé en haut lieu à en juger d’après un tweet que le Premier ministre Joseph Jouthe a publié le 23 juin 2020 : « Je vais continuer les discussions et organiser des rencontres avec la BRH ainsi que la BNC sur l’application de la circulaire 114-1. La BRH devra publier, chaque jour, dès 8 h am, le taux de référence du marché monétaire. »

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