Économie

Les PME dans le Nord entre contraintes et opportunités

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«Financer les Petites et Moyennes Entreprises (PME) pour la reprise économique», tel était le sujet abordé par certains intervenants, y compris Katie Flore Fils-Aimé, lors de la deuxième journée de la troisième édition du Sommet Régional de la Finance qui s’est tenu à l’Hôtel Roi Christophe au Cap-Haïtien du 22 au 24 mai 2025.

Économiste formée en Planification au Centre technique de Planification et de technique appliquée CTPEA, Katie Fils-Aimé, dans son introduction, a mis en exergue l’importance prépondérante des PME dans l’économie haïtienne. Les PME représentent 90% des unités économiques actives dans les zones et semi-urbaines du Nord. La majeure partie de ces unités économiques sont des micro-entreprises que l’intervenante souhaite voir devenir des PME au bénéfice de l’économie et de la croissance régionale.

Ces MPME du Nord assurent un part significative dans la création d’emplois locaux notamment dans le commerce de gros et détail (assuré par modestes commerçants de l’alimentaire, de l’habillement, etc., se pourvoyant surtout en Républiques dominicaine), la construction (avec surtout la présence de plusieurs entreprises s’activant dans la vente de matériaux de construction et très peu d’entreprises de construction), l’agro-transformation (beurre d’arachides, confitures de fruits, cassave) et les services.

Entrepreneuriat de nécessité mais également d’opportunité.

Dans un contexte de chômage élevé et d’absence de grandes industries, beaucoup d’initiatives entrepreneuriales naissent de la volonté de générer des revenus familiaux. Dans le grand Nord, la seule entité employant une main d’œuvre nombreuse est le parc industriel de Caracol (PIC) inauguré en 2012, explique Katie Fils-Aimé qui intervenait sur le thème «Les PME dans le Nord: Enjeux et perspectives». De 2018 à 2021, le PIC employait de 12 000 à 14 000 personnes.

Cependant, la crise sociopolitique qui s’est amplifiée à partir de 2021 avec l’assassinat du président Jovenel Moise et l’insécurité générée par les gangs armés ont poussé de nombreuses entreprises étrangères qui s’activaient dans le parc à plier bagage. Actuellement, il ne reste plus que deux sociétés étrangères qui travaillent dans le parc, selon Katie Fils-Aimé du Groupe BIEN (Bureau d’ingénierie et d’expertise nationale). Elle explique qu’en plus de la dégradation de la situation sécuritaire, il existe également un déficit d’infrastructures qui fait cruellement défaut aux usines du PIC.

Une des plus cruciales difficultés auxquelles faisait face le PIC, insiste Mme Fils-Aimé était l’approvisionnement en carburant. Parce que depuis que les bandes armées de l’Ouest et de l’Artibonite ont décidé de bloquer plusieurs artères routières menant vers les régions du Grand Nord, l’approvisionnement en carburant devient un casse-tête indissoluble pour les responsables d’entreprises.

Soulignant encore l’importance des PME du Nord, l’intervenante ajoute qu’elles contribuent à la résilience économique. En effet, face aux crises politiques, aux catastrophes naturelles et à l’insécurité grandissante, les PME locales jouent un rôle stabilisateur en maintenant une activité économique minimale.

Les enjeux majeurs auxquels font face les PME.

Évoquant les enjeux auxquels sont confrontées les PME, l’entrepreneur Katie Fils-Aimé indique que dans un pays comme Haïti, il y a beaucoup de fil à retordre liés à la question de l’investissement des entreprises d’une manière générale. Parmi les enjeux majeurs auxquels font face les PME en Haïti et dans le grand Nord, elle cite :

-l’accès limité au financement qui est dû à plusieurs facteurs, notamment : la faible bancarisation des entrepreneurs ; l’absence de garantie, de plan d’affaires ou d’état financier fiable ; des produits bancaires inadaptés aux réalités des PME ; des sources informelles de financement. La nature a horreur du vide. L’investissement dont l’entrepreneur moyen a besoin pour développer son entreprise, s’il n’arrive pas à le trouver dans les institutions financières ayant pignon sur rue, il va se retrouver dans l’obligation de chercher ailleurs d’autres sources de financement (les sols). Cela explique le pullulement des sources informelles de financement sur le marché haïtien qui permettent aux micros et petites entreprises de trouver un financement qu’il n’aurait pas obtenue dans le secteur formel, soutient Katie Fils-Aimé.

faible structuration administrative et managériale. Le phénomène de la fuite des cerveaux qui s’est amplifié avec le fameux ‘’Programme Biden’’ est l’une causes de cette faiblesse qui rend le pays, principalement les régions Nord totalement dépourvues de ses cadres, de ses talents, a expliqué Mme Fils-Aime qui n’a pas caché son étonnement de constater qu’il n’existe aucune institution publique ou privée dans toute la région qui forment spécifiquement des personnes en comptabilité. En outre, les MPME se retrouvent à fonctionner sans organigrammes, ni structures managériales adéquates avec souvent une gestion artisanale n’utilisant aucun outil moderne. À ce sujet, l’entrepreneur Katie Fils-aimé a proposé aux responsables des PME l’Excel qui se révèle un outil capital et très abordable, puissant et performant dans la réalisation d’opérations basiques dans le domaine de la comptabilité, sans avoir besoin de recourir aux logiciels compliqués. Selon elle, l’Excel garantit une gestion efficace des stocks et des commandes au sein des PME.

-des infrastructures défaillantes. Le Nord, comme la totalité des régions du pays, confronte le problème d’un accès irrégulier voire inexistante à l’électricité. Selon l’intervenante, le courant électrique desservi par l’EDH est inexistant dans la métropole du Nord depuis qu’elle est retournée au Cap-Haitien en 2018 après ses études universitaires à Port-au-Prince. À cela, il faut encore ajouter le mauvais état des routes qui complique l’approvisionnement des produits. De plus, la connexion Internet limitée ou coûteuse pose des problèmes à la digitalisation, à la dématérialisation des opérations et à la réduction de ces coûts.

-faible accès à l’accompagnement et à l’information. Le responsable du Groupe BIEN a mentionné à cet effet le manque de programme de renforcement des capacités et l’absence de centres d’incubation en dehors de Port-au-Prince et l’isolement informationnel des PME.

-taux d’informalité élevé. En effet, selon les chiffres disponibles, plus de la moitié des PME ne sont pas enregistrées. Cela limite l’accès aux marchés publics, aux partenariats structurés et à la reconnaissance institutionnelle.

Opportunités et leviers d’action.

Dans la liste des opportunités offertes par les PME, Mme Fils-Aime a identifié:

– L’accès à de nouvelles marches, comme le Tourisme communautaire et écologique. Parce que la région du Nord regorge de sites patrimoniaux (Citadelle, Labadee, Plages) encore peu exploités par les PME locales (guides, restauration, Artisanat). Exportation de produits transformés à partir de développement d’unités artisanales ou semi-industrielles pour transformer mangues, cacao, gingembres, noix, etc.

-Digitalisation et Innovation technologique : nous vivons dans un monde numérisé qui donne la possibilité aux PME d’offrir des solutions numériques très demandées comme l’utilisation d’applications simples pour la comptabilité, les commandes ou la livraison (whatsapp business, MonCash, NatCash). E-Commerce et marketing digital : formation pour permettre aux PME de vendre sur les réseaux sociaux.

– Mobilisation stratégique de la diaspora : investissement affectif et solidaire. Les Haïtiens de l’étranger sont prêts à investir dans les PME locales s’il existe des mécanismes de confiance et de suivi. Apport de compétence et de mentorat: la diaspora comme catalyseur de transfert de savoir, d’outil de gestion et de lien avec l’international.

-Construction d’un véritable écosystème entrepreneurial, conformément aux objectifs visés à travers la réalisation de ce sommet, à savoir trouver le moyen de connecter tous les acteurs de de l’écosystème, pour permettre à chaque membre du système (Administration publique, les partenaires financiers, les banques, les institutions financières et les entrepreneurs eux-mêmes, etc) de jouer son rôle.

Incubateur et espace de coworking: manque criant à combler pour accompagner les projets en phase d’idées ou de structuration.

Fonds de démarrage régionaux : mécanismes publics ou privés d’octroi de micro-capital avec accompagnement.

Mise en Réseau des PME entre elles: clusters sectoriels (bâtiment, agro, commerce) pour mutualiser couts, partage d’expertise et accès à de nouveaux marchés.

Rôles attendus des institutions financières.

Les rôles attendus des institutions financières, c’est d’abord de:

-Créer des produits financiers mieux adaptés aux réalités des PME ;

-Développer des solutions de garanties des financements mixtes ;

-L’accompagnement technique et le mentoring sont très importants pour aider les PME, qui, en plus de leurs besoins d’investissement, doivent également renforcer leurs capacités à travers des séances de mentorat en gestion, comptabilité, vente et utilisation des réseaux sociaux.

Les co-investissements public-privés sont essentiels pour financer des secteurs tels que l’assainissement, qui ne pourra pas se développer sans l’apport du secteur public. Besoin de développer des partenariats publics-privés pour financer des secteurs tels que l’assainissement qui ne pourra pas évoluer sans l’apport du secteur public.

En termes de perspectives et de recommandations, l’économiste Katie Fils-Aimé a proposé quatre points clés, à savoir :

Encourager la formalisation progressive

Favoriser le regroupement des PME (Coopératives, clusters) pour renforcer leur capacité et avoir accès à de plus grands marchés

Stimuler les investissements locaux et étrangers

Créer un environnement plus favorable : infrastructures de base, routes, électricité, fiscalité, accompagnement et sécurité.

En guise de conclusion de son exposé, l’économiste Katie Flore Fils-Aimé soutient que les PME sont le pilier de l’économie locale et nationale. Le Nord a un potentiel entrepreneurial immense et encore sous exploité. Il y a la nécessité d’un engagement collectif de tous les acteurs de l’écosystème, institutions publiques, institutions privées, la société civile.

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