La gourde s’envole, l’Etat chancelle

L’appréciation de la gourde par rapport au dollar est en train de défrayer la chronique, tant l’écart entre les deux monnaies se creuse depuis la mi-août. De 120 gourdes environ pour un dollar américain, le billet vert s’achète à environ 62 gourdes. Si les plus humbles saluent cette baisse du taux de change, des esprits avisés y voient une menace pour l’économie à moyen et à long terme. Des milliers d’emplois sont menacés si rien n’est fait. L’équipe au pouvoir enfonce le clou avec un budget ambitieux, mais pour le moins inadéquat face aux exigences du moment. Un analyste qui connait bien l’économie haïtienne et les couloirs du secteur bancaire jette un coup de projecteur sans complaisance sur la conjoncture.
Notre principal partenaire commercial demeure les États-Unis d’Amérique qui accusent un taux d’inflation de 2 %. Le taux de change aurait dû être dépréciés de 25 %. Un taux de change qui déprécierait à 93 gourdes aurait de l’être à 115 gourdes, mais le taux était à la hausse à 120 gourdes. Puis, la Banque centrale est intervenue pour le ramener à 115 gourdes. « Le taux de change aurait dû être 105 ou 110 gourdes. Mais quand la BRH intervient pour le mettre à 60 ou 62 gourdes, il est clair que ce n’est pas le taux de change qui répond aux fondamentaux de l’économie », a précisé notre expert du milieu bancaire qui est persuadé que les banques ont moins de capacité de spéculation sur le taux de change que le commun des mortels. A ses yeux, le secteur bancaire est le plus transparent de l’économie parce que les portefeuilles des banques sont régulièrement supervisés, audités. En plus, les banques sont lourdement sanctionnées si elles prennent de position de change.
Sur un autre tableau qui concoure au même résultat, le gouvernement doit collecter entre 70 et 75 % de ses recettes qui sont liées directement ou indirectement au taux de change. Deux postes, les revenus douaniers et la taxe sur le chiffre d’affaires (TCA), représentent 56% des revenus de l’Etat haïtien pour l’exercice 2019-2020. A partir des valeurs en douane calculées en dollar multipliées par le taux de change en baisse de moitié, l’Etat va faire face à une baisse considérable de ses recettes.
En effet, les recettes de l’Etat pour l’exercice fiscal précédent étaient de 87 milliards de gourdes. Pour le présent exercice, ces recettes ne devraient pas dépasser les 62 milliards de gourdes à la lumière des considérations liées à l’appréciation de la monnaie nationale. Les dépenses de l’Etat sont passées de 130 milliards à 198 milliards de gourdes en une année. Le déficit sera financé par la création de la monnaie.
Dans une économie comme celle d’Haïti, la croissance des prix va suivre la croissance de la masse monétaire. Et de fait, l’inflation de 27% est très proche des 28% de la croissance monétaire. Le stock de gourdes en circulation est passé de 160 milliards en début d’exercice à 205 milliards de gourdes à la fin. Si vous regardez la variation de 45, elle équivaut pratiquement au financement monétaire de 43 milliards de gourdes. En qui concerne les transactions en Haïti, elles sont de plus en plus indépendantes du PIB. La grande majorité des consommateurs dans le pays sont plus ou moins liés aux transferts directs étrangers que ce soit privés ou publics avec une prépondérance marquée définitivement par les transferts de la diaspora à cause de notre incapacité à attirer les investissements directs étrangers. Le gouvernement a pris arbitrairement, à partir de politiques très volontaristes de la BRH d’infléchir le taux de change. Pourtant, toutes les productions haïtiennes sont, de fait, en compétition avec l’étranger que ce soit dans la substitution n aux importations, dans les domaines de la culture, du tourisme ou dans l’agriculture, tous ces secteurs se retrouvent avec un prix de vente quasiment réduit de moitié.
Que ce soit une institution touristique qui vend ses services ou encore une entreprise qui vend ses produits agricoles, nous sommes en compétition avec l’étranger. Pour mieux illustrer cette situation : « Toute la production haïtienne va être envahie par des produis dominicains moins chers. Il faut vite comprendre que la République dominicaine n’a pas connu d’appréciation de sa monnaie. Elle était déjà plus compétitive qu’Haïti dans un très grand nombre de secteurs, de produits », a expliqué notre analyste qui a requis l’anonymat. Comme si les crises politiques n’étaient pas suffisamment aggravantes, l’Etat haïtien ne trouve pas de meilleures décisions à prendre que de faire baisser le taux de change. D’où une baisse des prix de l’importation qui s’ensuit également.
Le riz importé qui est un produit très consommé en Haïti peut être pris en exemple. Son prix a baissé de moitié. Il sera impossible de concurrencer un tel produit sur le marché local. « Les productions agricoles d’Haïti vont subir à coup sûr un choc concurrentiel très important. Que ce soit dans l’agriculture ou le tourisme déjà sapé par les effets ravageurs de (Peyi lòk), les manifestations violentes à répétition et de Covid-19 »,a fait remarquer notre interlocuteur. La Compagnie de développement industriel (Codevi),qui a créé 14 000 emplois, prévoit de fermer ses portes Caracol ou ailleurs sont désormais menacés. Comme le tourisme haïtien souffre du rachitisme, peut-être que cette nouvelle crise aura de moindres conséquences dans le secteur.
« Le budget de l’Etat haïtien est parfaitement insoutenable avec un taux de change entre 60 et 70 gourdes pour un dollar américain, comme c’est le cas actuellement (mi-octobre 2020) », a déclaré notre spécialiste qui connait aussi les soubresauts de l’administration publique. Pour lui, l’équation que tout le monde applique en ce qui a trait à la théorie quantitative de la monnaie ne change pas (MV= PT). Cela explique l’inflation et les mouvements de change à partir de la création monétaire.
DevHaiti