Budget, appréciation de la gourde, Croissance, perte d’emplois, Wayne Camard nous livre ses analyses

L’appréciation de la gourde par rapport au dollar américain, principale monnaie refuge en Haïti, n’en finit pas de semer l’inquiétude au sein du secteur productif et exportateur de l’économie qui agite le spectre de la perte d’emplois massifs, surtout dans la sous-traitance textile. C’est dans ce contexte inquiétant qu’un nouveau budget, celui de l’exercice 2020-2021, est entré en application le 1er octobre dernier, suscitant à la fois des doutes et des appréhensions. Ancien représentant du Fonds Monétaire International en Haïti, Wayne Camard, qui garde encore un œil rivé sur l’actualité socioéconomique du pays, s’est confié à l’équipe de DevHaiti.
Pensez-vous que la loi de finances publiée récemment par les autorités haïtiennes peut favoriser la croissance économique et aider à stabiliser le taux de change et par-dessus tout faire baisser les tensions sociopolitiques jusque-là préjudiciables à l’économie ?
La loi des finances 2021 n’est pas surprenante quand on prend en compte la conjoncture économique et sociale du pays. Néanmoins, il faut constater certains points faibles de cette loi. L’augmentation programmée des recettes de l’état, de 55% entre 2019-2020 et 2020-2021, n’est pas crédible. Et si les régies financières n’atteignent leurs objectifs pour les recettes, il faudra choisir entre une réduction de dépenses en année électorale ou, plus probablement, un financement monétaire plus grand que prévu, et puis un taux d’inflation supérieure aux 18% que sous-tend le budget. On ne peut jamais stabiliser grand-chose dans un environnement où la planche à billets tourne si rapidement.
En quoi des recommandations d’institutions comme la banque ou le FMI peuvent-elles aider dans la crise haïtienne avec une monnaie locale qui tend à s’apprécier chaque jour davantage ?
L’appréciation quotidienne n’est pas qu’un phénomène transitoire. L’utilité des conseils des organisations internationales est qu’ils ont presque tout vu, dans un pays ou dans un autre. La tâche difficile maintenant sera de trouver le taux de change qui freinera les importations et qui maintiendra la viabilité des industries haïtiennes sans une chute trop soudaine et trop néfaste. Mais là, les institutions n’ont pas tellement d’expérience dans la gestion quotidienne et je crains qu’un moment très difficile à cet égard ne soit pas très loin.
Dans les rues de Port-au-Prince et des villes de province on ne parle que des effets bénéfiques de l’appréciation de la gourde par rapport aux principales monnaies refuge, en particulier face au dollar américain, y aurait-il un danger en perspectives ?
D’abord, ce n’est pas ce qu’on dit dans toutes les rues. Ceux qui vivent des transferts de la diaspora, qui ont vu une baisse de 50% dans la valeur de ce qu’ils reçoivent, doivent parler autrement. Et bientôt tous ceux qui produisent quelque chose qui pourrait être concurrencé par un produit importé, vont se taire quand ils n’arrivent plus à vendre leurs produits à un prix juste.
Les autorités haïtiennes sont-elles, selon vous, assez respectueuses des normes internationales en matière d’application de politique monétaire, de politique fiscale et douanière et de développement du commerce ?
Nous sommes dans un moment très particulier avec la Covid-19, et les gouvernements et les banques centrales sont en train de faire beaucoup de chose que l’on n’a jamais vu auparavant. Donc j’hésite à parler de normes. Or, une des réussites de l’économie moderne est que la déflation, qui a fait beaucoup de mal pendant des siècles jusque dans les années 30, peux être évitée aujourd’hui (mais le cas du Japon illustre qu’il faut être vigilant). Quand un pays essaie de faire ce que tous les autres pays essayent d’éviter (la déflation), il faut qu’on s’interroge sur le bien-fondé de la politique. Certes, avec la discipline on peut faire baisser les prix, mais avec un coût de transition très élevé.
Plusieurs voix du secteur de la sous-traitance textile notamment sont récemment montées au créneau pour dénoncer les effets néfastes de l’appréciation soudaine de la gourde sur leurs activités ainsi que leurs coûts d’opérations. Le gouvernement promet de poursuivre les séances de travail pour parvenir à une solution pouvant aider le secteur à sauvegarder ses emplois. Quelles sont selon vous les solutions médianes pouvant satisfaire les deux parties qui pourraient être adoptées dans les plus brefs délais afin d’éviter le pire ? Ces voix se sont levées particulièrement du secteur de la sous-traitance parce que c’est un secteur qui peut, de manière crédible, menacer de fermer ses portes et aller ailleurs. Mais toutes les industries d’Haïti sont menacées par la politique de la gourde forte. Tous les produits importés sont aujourd’hui à moitié prix par rapport au mois d’août. Les producteurs, agricoles comme industriels, qui ne peuvent pas réduire leurs coûts de moitié, (et personne ne parle d’une réduction du prix de main d’œuvre, c’est à dire les salaires), sont à haut risque. Des solutions pourraient apparaître pour le secteur de la sous-traitance, mais ceci ne représente qu’une partie du danger. Le grand risque est qu’une affluence de produits importés agricoles et industriels à moitié prix met en faillite les secteurs productifs de l’économie haïtienne. Ce qu’il faut craindre.

DevHaiti