Criante contradiction entre le budget 2020-2021 et le Plan stratégique de développement d’Haïti

Après le séisme de 2010, un plan stratégique a été élaboré en vue de faire d’Haïti un pays émergent en 2030. Le Plan stratégique de développement d’Haïti (PSDH) veut qu’Haïti soit une économie à forte croissance, créatrice de richesse et d’emplois et ouverte aux investissements nationaux et internationaux. Le Plan est bâti sur quatre grands axes : refondation territoriale, refondation économique, refondation sociale et refondation institutionnelle. Dans ma perspective théorique pour montrer l’incohérence entre ce présent budget et tous ceux élaborés après le séisme avec le Plan stratégique, je tiens compte seulement de la refondation sociale qui met l’accent sur les deux aspects qui importent à mon analyse : l’éducation et la santé.
En effet, la théorie économique de développement depuis les économistes classiques entend que le développement passe nécessairement par l’éducation, car on ne peut pas parler d’amélioration de la capacité productive sans une amélioration des compétences techniques de la force du travail. Deux grands économistes de développement contemporains, Robert Solow et Xavier Sala-i-Martin, mettent l’accent sur ce sujet. Le premier sur le progrès technique et le second sur le capital humain. Il s’agit, dans les deux cas, de modèles de développement axés sur l’éducation. La santé est tout aussi importante que l’éducation dans la construction du capital humain ; mais, pour des raisons d’espace, je vais me concentrer uniquement sur l’éducation.
Ces balises théoriques étant posées, j’analyserai le budget à la lumière des objectifs du chantier de la refondation sociale du plan stratégique, spécialement le renforcement de l’enseignement supérieur et de la formation technique et l’accès à l’école.
L’allocation du budget 2020-2021 à l’éducation est de 11%, soit moins de 2% du PIB projeté par le Fonds Monétaire International (FMI) pour l’année 2021. Depuis 2011, les ressources allouées à l’éducation n’ont jamais atteint 15% des dépenses totales. Or, en moyenne, les PMA comme Haïti allouent en moyenne 3% de leur budget à l’éducation. En Amérique latine, cette proportion avoisine les 4%. Dans ces conditions , n’est-ce pas l’idée de faire d’Haïti un pays émergent en 2030 par la mise en œuvre du Plan stratégique de 2012… ?
Comment peut-on changer un pays sans une mise en œuvre des plans stratégiques élaborés ? Dans le sous-programme du renforcement de l’enseignement supérieur et de la formation technique, il était question de mettre en place des réseaux de centres universitaires et de centres de formation professionnelle et technique dans les pôles régionaux de développement. Il était aussi envisagé la mise en place d’un fonds d’appui à la recherche et à l’innovation, tout comme le financement de bourses d’études spécialisées. Dans le budget de 2020-2021, seul 0.8% du budget, soit 1,98 milliard de gourdes, est alloué à l’Université d’État d’Haïti (UEH). Peut-on réaliser ces infrastructures et les faire fonctionner avec ce montant ? Or, il est clair que rien n’a été fait à ce sujet au cours des huit années qui ont suivi l’élaboration du Plan stratégique.
A titre d’information, le budget de l’Université autonome de Santo Domingo, équivalent de l’UEH est de 1% du budget national, mis à part les programmes de bourses et de fonds de recherche du Ministère de l’éducation nationale. Au passage, l’augmentation du budget du secteur éducatif en elle-même ne peut accroitre l’impact dudit secteur sur le développement du pays si les ressources ne sont pas bien utilisées. De plus, il était question de la mise en place d’une Conférence des Recteurs et des Présidents d’Université et d’un Conseil National de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (CONESRI) en vue de la création du Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche Scientifique et de l’Innovation. On ne sait pas s’il existe une relation entre la Conférence des Recteurs, Présidents d’Universités et Dirigeants d’institutions d’Enseignement Supérieur Haïtiennes (CORPUHA) et l’idée du CONESRI ; mais le projet d’étude de la CORPUHA sur la gouvernance universitaire en Haïti a été financé par l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) et non par des fonds provenant du budget national. La même incohérence s’observe dans le rapport entre les programmes d’éducation n scolaire du Plan stratégique et le budget de 2020-2021. Le Programme de Scolarisation Universelle Gratuite Obligatoire (PSUGO) était davantage une initiative du gouvernement de Martelly plutôt qu’un projet répondant à la mise en œuvre du Plan stratégique en vue de faire d’Haïti un pays émergent en 2030.
Pour ce qui est du volet de recherche, la Banque de la République d’Haïti (BRH) a créé un fond pour la recherche et le développement ; c’est une initiative qu’il faut encourager. Cependant, ce projet rentre-t-il dans le cadre du Plan stratégique de développement ou est-il un programme de la banque centrale comme institution autonome ? Dépendamment des provenances du financement du projet, les orientations et surtout la vision peuvent être bien différentes.
En résumé, cette analyse montre clairement la contradiction existante entre le budget de cet exercice fiscal et ceux des exercices antérieurs avec le Plan stratégique de développement d’Haïti pour en faire un pays émergent à l’horizon de 2030. On comprend aussi pourquoi il n’existe, suivant une étude que j’ai menée en 2018, aucun rapport entre l’éducation et le développement en Haïti à la différence des pays comme le Nicaragua et les tigres asiatiques. Haïti a atteint ce niveau de « sur-sous-développement » parce qu’on a refusé de faire ce que les autres ont fait en termes de politiques publiques ou de renforcement des institutions. Cette assertion se fonde non seulement sur ma compréhension des théories économiques, politiques et d’administration publique mais aussi pour avoir été témoin du développement de certains pays latino-américains dont le Paname et la République dominicaine. Actuellement, le nouveau gouvernement dominicain a un programme de développement tout comme Haïti après le séisme de 2010, à la seule différence que les Dominicains mettent en œuvre le leur.
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