Électricité 24/24 : les coûts risquent d’être plus élevés que les bénéfices

Sur les neuf millions de Caribéens n’ayant pas accès à l’électricité au niveau de la sous-région, sept millions se trouvent être des Haïtiens. On estime que seulement 30% d’Haïtiens ont accès au courant électrique avec seulement 10% dans le monde rural. Cet accès insignifiant à un facteur si fondamental pour faciliter la croissance économique et le développement d’un pays explique en partie les niveaux persistants de pauvreté et d’extrême pauvreté sévissant en Haïti. L’absence d’une véritable politique énergétique alignée à une solide politique économique constitue l’un des principaux freins au développement du secteur industriel ainsi que des Technologies de l’information de la communication (TIC).
Analysant la situation des pays les plus vulnérables et les moins résilients au cours de la pandémie Covid-19, les experts du Forum économique mondial ont reconnu dans le rapport 2020 sur la compétitivité mondiale que l’économie numérique représentait un élément crucial pour faire face aux chocs causés par la crise sanitaire mondiale. En effet, les pays disposant de solides infrastructures énergétiques et technologiques ont permis à leurs citoyens de s’ajuster par rapport aux contraintes créées par le confinement adopté dans la grande majorité de pays à travers le monde. Ceci a permis à certains secteurs comme l’économie, l’éducation, la santé,… de fonctionner à distance à travers le télétravail, l’école virtuelle et l’« e-health ». Les rédacteurs du rapport ont indiqué que les pays dotés d’un solide écosystème technologique seront beaucoup plus compétitifs dans la période post-COVID. Un tel écosystème dépend d’une offre électrique garantie.
Ainsi, on pourrait bien comprendre l’obstination de M. Jovenel Moïse de marquer son mandat avec un plus grand accès à l’énergie électrique. Mais la grande question est à quel coût? Dans le décret budgétaire adopté par l’administration Moïse Jouthe, il est prévu un financement de plus de 16 milliards de gourdes pour le projet électrique phare du Président. Un financement qui sera fourni par des banques commerciales garanti par la Banque centrale. Des analystes pensent que ceci représente le talon d’Achille du projet vu que sans de profondes réformes structurelles dans le secteur électrique on voit difficilement comment la compagnie électrique publique, l’Ed’h, pourrait faire face à ses nouveaux engagements financiers. Dans le décret budgétaire pour l’exercice en cours, il est prévu plus de 15 milliards de gourdes de subventions au secteur électrique. En plus de sérieux problèmes financiers confrontés par la compagnie électrique, cette dernière fait face aussi à d’importantes pertes techniques au niveau du réseau.
Les problèmes financiers et techniques de l’Ed’H et la culture de non paiement d’un groupe considérable d’abonnés de l’entreprise ne laissent présager une grande probabilité de réussite financière de l’ambitieux projet du Président. En effet, au cas où le remboursement de la dette commerciale devrait rencontrer des difficultés de paiement, il faudrait s’attendre à des pressions sur les autorités financières et monétaires pour payer la facture. Ceci accroîtra le déficit budgétaire qui ne cesse de battre des records au cours des trois dernières années. La monétisation de ce déficit par la Banque centrale causera des pressions sur le marché local des changes et alimentera les pressions inflationnistes au niveau de l’économie nationale. A rappeler que le taux d’inflation est supérieur à 20% et a eu un impact très négatif sur le faible pouvoir d’achat d’un nombre considérable d’Haïtiens.
Il faut vraiment craindre que la concrétisation de la promesse du Président d’électrifier 24 heures sur 24 le pays avant la fin de son mandat ne coûte trop chère à la population si d’importantes mesures de gouvernance ne sont pas adoptées par les responsables de l’Ed’H. La sauce pourrait se révéler, en fait, plus chère que le poisson.
DevHaiti