Prepoc : les considérations de l’économiste Enomy Germain

L’Association haïtienne de journalistes économiques pour le développement durable (AHJEDD) a organisé, le 18 janvier 2021, une conférence-débat autour du Plan de relance économique post-Covid-19 (Prepoc). L’idée était de présenter au grand public les points forts et faibles de ce document. Une activité à laquelle a pris part l’économiste Enomy Germain, comme paneliste qui nous livre ses impressions .
POINTS FORTS
1.- L’idée d’avoir élaboré un Plan de relance pour essayer de contrer les effets de la Covid-19 sur l’économie est en soi un point positif. Un autre élément important est lié au fait que ce plan, contrairement à beaucoup d’autres, résulte d’un effort des institutions haïtiennes selon ce qui est indiqué dans le document. Le cadre institutionnel montre en effet qu’il ne s’agit pas d’une dictée de l’international; c’est plutôt une synthèse d’idées provenant d’institutions haïtiennes. Je pense que c’est une bonne chose. Nous sommes les seuls à connaitre nos vrais besoins.
2.- Les objectifs, qui sont ceux de politique économique, sont assez bien définis dans la forme –quoi que j’aie des réserves sur le réalisme de certains d’entre eux. L’économiste américain Nicolas Kaldor a élaboré les quatre éléments nécessaires à une politique économique (la croissance, la stabilité des prix, l’équilibre extérieur et la question de l’emploi). Le PREPOC tient compte de ces quatre éléments de Kaldor.
3.- Le PREPOC fait un clin d’œil à d’autres plans élaborés par le passé en Haïti et ailleurs (le PSDH, le Plan national de promotion et de protection sociale, le Plan décennal de l’éducation, le Plan de gestion de risques et désastres, etc.). Il essaie de tirer des leçons de leur échec. C’est une bonne chose d’apprendre afin d’éviter de commettre les erreurs du passé. Il faut peut-être arriver à une démarche de capitalisation des leçons apprises.
4.- Le Plan contient des dispositifs de Suivi et Évaluation, ce qui est fondamental dans la mise en place de politique économique. Les interventions doivent être constamment évaluées, notamment pour des besoins d’efficacité et de « redevabilité ».
DÉFIS ET POINTS FAIBLES
1.- Je doute du réalisme du plan. D’abord, j’ai des réserves sur les prévisions de croissance pour la période 2020–2023. En effet, le plan prévoit une croissance moyenne de 3% sur la période : 2,4% en 2020–2021; 3% en 2021–2022 et 3.5% en 2022–2023.
Comme la banque mondiale, je pense que 2,4% de croissance en 2020–2021 n’est pas possible ; ce qui nuira à l’atteinte des 3% pour la période. L’institution prévoit une croissance moins optimiste de 1.4% pour Haïti pour 2020–2021, soit 1% de moins que les prévisions du Prepoc. D’ailleurs, 2021 sera une année d’incertitudes socio-politiques dans le pays. Or, en présence d’incertitudes, l’économie ne croit pas suffisamment. Le Prepoc ne tient pas compte du risque sociopolitique. Si l’objectif de croissance n’est pas au rendez-vous, il sera difficile d’atteindre les autres objectifs fixés, tout étant lié en économie.
2.- Le premier pilier du Plan concerne la diversification et la transformation structurelle de l’économie en renforçant notamment les secteurs agroalimentaire, construction, manufacture, etc. C’est bien faux de penser qu’il est possible de transformer structurellement l’économie haïtienne en trois ans compte tenu de la complexité de la tâche. C’est même aberrant. Une économie nécessite au moins une décennie pour se transformer structurellement.
3.- Le financement du Prepoc est hypothétique. En effet, le Plan coûtera au pays 347,9 milliards de gourdes. Comme le plan est dans la pratique déjà en exécution (puisque des dépenses déjà effectuées, notamment dans le domaine de l’énergie, y sont prises en compte), le besoin de financement est de 157.9 milliards de gourdes. De cette somme, le être constamment évaluées, notamment pour des besoins d’efficacité et de « redevabilité ». gouvernement espère 139.6 milliards (soit plus de 88% des besoins de financement) des partenaires techniques et financiers: hypothétique. Les bailleurs exigent un ensemble de conditions d’Haïti pour les décaissements. Il est difficile de croire que le pays est prêt à remplir les conditions les plus élémentaires en ce temps de mauvaise gouvernance politique et économique. Et si le financement est absent, les résultats seront probablement plus faibles.
4.- L’agenda politique est en déphasage avec le Prepoc. C’est comme expliqué précédemment, le risque politique est élevé, au moins pour les deux prochaines années. Or pour atteindre des objectifs économiques, il faut un environnement politique favorable. De plus, un changement de personnel politique en Haïti s’accompagne en général d’un changement de priorités : un problème de continuité dans les actions de l’État. La prochaine administration, qui s’installera au plus tard en 2022, peut ne pas avoir le Prepoc comme priorité. C’était d’ailleurs le cas avec le PSDH.
5.- Le Plan prévoit des dispositifs de Suivi et Évaluation, c’est bien. Mais il ne prévoit pas d’évaluations externes systématiques. C’est une faiblesse. Les évaluations prévues se feront par les exécutants eux-mêmes. Dans ce cas, il peut y avoir une tendance à montrer des améliorations de résultats. Certaines ONGs qui opèrent en Haïti ont cette tendance. Si les autorités procèdent de cette manière dans l’exécution du Prepoc, il sera difficile d’apprécier objectivement l’efficacité des interventions.
DevHaiti