Développement durable

Le miracle agricole haïtien est encore possible!

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Malgré l’hémorragie dont souffre l’agriculture haïtienne causée notamment par des problèmes structurels datés de la libéralisation à outrance de l’économie dans les années 1980 et l’estocade portée par les années d’embargo jusqu’au retour à l’ordre constitutionnel en 1994, deux passionnés du secteur agricole, Gaël Pressoir et Carl André Déjoie, sont tous deux persuadés que tout n’est pas perdu. Chacun avec ses méthodes, croit que le miracle haïtien est encore possible. Ils proposent des pistes de solutions en dressant un état des lieux sans concession.

En dépit des faiblesses du secteur agricole haïtien – budget et financement insuffisants, mauvaise allocation des maigres ressources disponibles, paquets technologiques classiques disponibles difficilement applicables, manque de formation et d’encadrement des acteurs du secteur ou la dévalorisation des métiers de l’agriculture sans oublier l’invasion des produits agricoles importés, l’ingénieur-agronome Carl André Déjoie n’en démord pas. Il croit que le miracle haïtien est encore possible. Aussi, propose-t-il d’inventer une agriculture haïtienne moderne dans une logique de compétitivité et d’autosuffisance partielle, en tenant compte des avantages comparatifs du pays. L’agro-entrepreneur Carl Déjoie dénonce sans langue de bois le taux de déperdition de près de 80% dans la formation agronomique. Autrement dit, sur chaque 100 agronomes diplômés, environ 80 abandonnent la profession au bout de cinq ans. Cette déperdition est imputable au salaire et à un manque criant de débouchés aux yeux de Carl Déjoie qui précise par ailleurs, que le salaire moyen d’un jeune agronome diplômé varie mensuellement entre 25 000 gourdes dans la fonction publique, 50 000 dans le secteur privé et 75 000 dans le rang des ONG. Avec un taux proche de 100 gourdes pour un dollar américain en avril 2021 de tels salaires vaudraient respectivement près de 250, 500 et 750 dollars.

Le secteur agricole qui représente 20% du PIB d’Haïti est aujourd’hui incapable de se développer et de satisfaire les besoins de la population en produits agricoles, alors qu’il compte environ un million d’exploitations et emploie 60% de la main d’œuvre active.  Carl Déjoie considère le verre à moitié plein. Il y voit en particulier des opportunités d’un marché de  plus  de 10 millions  de consommateurs  potentiels, la proximité du marché de l’Amérique du Nord, la production à contre saison et la diversité de cultures, la disponibilité importante en matières organiques et l’accès à la technologie de l’information et de communication en milieu rural à la portée de la jeune main d’œuvre.

Déjoie propose une réorganisation de la structure de la production agricole par la dynamisation de l’approche par filière et une structure pyramidale à trois niveaux pour sortir d’une agriculture de subsistance peu productive pour arriver à une agriculture rentable structurée par filière et travaillant en réseau. La priorité dans un premier temps doit être accordée aux produits de grande consommation et la spécialisation des acteurs dans toute la chaîne de production d’une filière quelconque.

Pour sa part, Gaël Pressoir n’y est pas allé de mains mortes pour dénoncer le laxisme des autorités et les bénéficiaires d’une économie de rente qui n’ont aucun intérêt dans la production nationale agricole. Le biologiste et doyen de la Faculté des Sciences de l’Agriculture et de l’Environnement de l’Université Quisqueya recommande de doubler la productivité de la terre et du travail avec un nombre limité d’innovations – la densité par exemple – la mécanisation adaptée (agriculture de conservation) et en mettant en œuvre une politique qui favoriserait le financement de la recherche et du développement tout en régulant le secteur agricole et agro-industriel et en prenant des mesures incitatives.

Dans un plaidoyer en faveur de la politique agricole que Gaël Pressoir avait publié dans Le Nouvelliste du 23 mai 2019, et qu’il a recommandé lors d’une intervention le mercredi 31 mars 2021, dans un atelier virtuel de la Banque interaméricaine de Développement (BID) en Haïti, le scientifique haïtien constate que l’agro-alimentaire représente déjà la moitié de notre industrie.

 «Nous avons, dit-il, un marché d’un milliard de dollars à conquérir. Augmenter de 50 % la production agricole, avec le développement d’un marché protégé et captif pour absorber cette hausse de production» et le doublement voire le triplement de la capacité de transformation peuvent ensemble ajouter annuellement plus d’un milliard de dollars à notre PIB. Ce n’est pas rien, c’est un programme réalisable en nous mettant tous ensemble au travail. «Ceci peut être fait en huit années», prévoit-il.

Ainsi, conclut Gaël Pressoir, en 15 ans nous pouvons doubler la production agricole et quintupler nos industries agro-alimentaires. À ce moment, nous serons prêts à jouer dans la cour des grands et nous serons prêts à affronter la République Dominicaine et la Jamaïque en égal. À ce moment, nous serons prêts à rouvrir nos frontières et à parler de libre-échange et à partir à la conquête du monde.

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