Économie

 Les enjeux d’un taux de change instable pour le secteur textile

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Pendant plusieurs mois durant l’année 2020, la gourde a atteint un niveau record. Au 16 août 2020, le taux de change de référence de la gourde s’établissait à 120,7138 gourdes pour 1 dollar américain. Après cette décote, une remontée spectaculaire allait être enregistrée avec le taux qui est passé au 30 septembre à 67 gourdes à l’achat avant de retomber à 62 gourdes en octobre 2020.

Cette tendance baissière s’est prolongée pendant un temps moyennant des injections massives par la Banque centrale de plus de dollars que nécessaire sur le marché. En effet, la Banque de la République d’Haïti (BRH) a injecté sur la période 150 millions de dollars sur le marché après avoir mis en œuvre d’autres mesures notamment une surveillance plus stricte des maisons de transfert.

 À grands renforts de circulaires, la BRH est parvenue à créer une rareté du billet vert sur le marché formel tout en renforçant le circuit informel avec la pratique d’une kyrielle de taux dont le taux moyen d’acquisition de la BRH, le taux des banques commerciales, le taux des cambistes dans les rues, le taux pour de petits montants et un autre pour des montants plus importants, pour ne citer que ceux-là. Cette instabilité peut avoir de lourdes conséquences pour des secteurs fragiles comme le secteur de la sous-traitance par exemple, et de fait, elle est responsable de la perte de bon nombre d’emplois dans le secteur et plusieurs propriétaires d’usine ont fermé boutique.

Rappelons tout de même que le secteur de la sous-traitance constitue le deuxième plus grand employeur du pays, après l’administration publique, le premier employeur privé et compte pour 90% des exportations nationales tout en étant la deuxième source de rentrées de devises après les envois de fonds.

Au mois de septembre de l’année dernière, sans surprise aucune, les responsables dans le secteur textile se trouvaient dans une grande préoccupation face à la situation inédite d’appréciation de la gourde face au dollar américain.

 À juste titre, les perspectives pour le secteur à l’époque avec l’appréciation de la gourde face au dollar étaient pour le moins désastreuses, et faisaient craindre un éventuel scénario similaire à ce qui s’est produit en République Dominicaine en 2004-2005 où plus de 100,000 emplois ont disparu suite à la soudaine forte appréciation du peso dominicain.

Presqu’une année plus tard, les sentiments d’inquiétude et de préoccupation sont quasiment les mêmes chez Fernando Capellan, un investisseur dominicain installé à Ouanaminthe depuis mainte- nant 18 années, et pesant à lui seul 14 000 emplois dans le secteur textile.

Le patron du Grupo M, propriétaire de la Compagnie de développement industriel (CODEVI), de passage à Washington, au moment où nous l’avons contacté, pour sensibiliser des législateurs américains sur le renouvellement de la loi Hope/Help pour Haïti, a une nouvelle fois exprimé ses angoisses pour les emplois dans ses usines qui risquent de ne pas pouvoir résister à une brutale appréciation de la monnaie nationale.

Depuis lors, Capellan n’a cessé d’alerter les autorités haïtiennes sur le fait qu’une forte appréciation de la gourde face au dollar peut entraîner une perte de la compétitivité et la faillite généralisée de beaucoup d’entreprises avec à la clé la perte d’une quantité importante d’emplois dans le secteur.

Le président de CODEVI, Fernando A. Capellán, ne rate jamais une occasion de rappeler qu’en République Dominicaine, entre 2004 et 2005, environ 115,000 emplois formels ont été perdus, unique- ment dans le secteur du textile.

À l’époque, la devise a atteint environ 70 gourdes pour 1 dollar américain rendant ainsi insoutenable les coûts d’opération dans le secteur puisqu’aux dires de Capellan, par exemple, son entreprise tablait sur un budget et des prix fixés suivant un taux de change projeté de 98 gourdes pour 1 dollar américain pour l’année fiscal 2019-2020.

L’homme d’affaires dominicain souligne également l’effet boule de neige qu’une forte appréciation de la gourde entraîne dans son sillage avec les produits de première nécessité qui rarement n’ont connu de diminution proportionnelle à l’appréciation de la monnaie.

Pour un pays comme Haïti, où la génération de devises provient presqu’exclusivement des transferts de la diaspora et de l’exportation des usines textiles, un taux de change instable peut avoir des conséquences terribles et irréversibles au niveau économique, productif, politique et au niveau de la population en général.

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