Les incidences de l’instabilité politique sur le tourisme en Haïti

Le tourisme est un secteur majeur et un pilier important dans l’économie d’un pays, et représente près de 40% des revenus de la plupart des pays de la Caraïbe, dont plus de 80% du Produit intérieur brut (PIB) pour certains. Par contre, en Haïti, en 2015, le secteur touristique ne représentait que 3.5 % du PIB pour seulement 4 169 emplois directs créés, selon des statistiques communiquées par le Ministère du tourisme et des industries créatives (MTIC). En 2016, ledit secteur n’a rapporté que 504 millions de dollars US (Baromètre Organisation mondiale du tourisme (OMT), Vol 15, août 2017). Avec l’instabilité politique qui sévit dans le pays depuis ces 5 dernières années environ, l’apport du tourisme dans l’économie nationale n’a cessé de diminuer considérablement.
Survol historique de l’évolution du tourisme dans le monde
Le tourisme est l’un des premiers secteurs économiques représentant 12 % du Produit national brut (PNB) mondial et 6,5 % des exportations mondiales. En termes d’emplois, le World Tourism and Travel Council estime que 231 millions de personnes travaillent en relation avec le tourisme dans le monde.
Le tourisme international affiche chaque année des résultats record : l’année 2019 avoisinait le seuil des 1.5 milliard d’arrivées, alors que ce chiffre n’était que de 25 millions en 1950, 285 millions en 1980 et 700 millions en 2000.
A l’exception de quelques périodes creuses, comme lors de la crise de 2009, le marché du tourisme ne cesse de se développer depuis plus de soixante ans. Cependant, les arrivées internationales allaient chuter de 72 % au cours des dix premiers mois de 2020, en raison des restrictions sur les voyages liées à la pandémie de COVID-19. Pour l’OMT, 2020 est la pire année jamais enregistrée dans l’histoire du tourisme.
Le tourisme en Haïti, son évolution et son histoire
L’histoire du tourisme haïtien commence véritablement en 1949 avec l’exposition internationale de Port-au-Prince organisée sous la présidence de Dumarsais Estimé à l’occasion du bicentenaire de la ville de Port-au-Prince.
En provenance de l’Europe, du Canada, mais surtout des États-Unis, les visiteurs étaient sous le charme du folklore et de la culture créoles. Le littoral, à une époque où le tourisme balnéaire était en plein essor, a fait le reste pour consolider l’image touristique d’Haïti. Le pays était donc devenu la destination la plus prisée des Caraïbes après Porto Rico.
De 1951 à 1959, le nombre de touristes de séjour a augmenté de façon exponentielle soit 1300% en passant de 10 788 en 1951 à 145 000 en 1959 selon Jules et Al. Mais l’avènement de François Duvalier a fait chuter le nombre d’arrivées de touristes dans le pays, en particulier ceux et celles venant des États-Unis. En 1964, Haïti a reçu seulement 6090 touristes internationaux. Ce fut un déclin lié à la mauvaise gouvernance de l’époque.
Selon Séraphin, le secteur touristique en Haïti allait reprendre un élan avec l’arrivée au pouvoir de Jean Claude Duvalier en 1972. Pendant cette période, le nombre de touristes internationaux enregistré dans le pays était de 67 625. Ce nombre n’a cessé de croître par la suite pour atteindre plus de 300 000 visiteurs étrangers en 1979. Et jusqu’en 1987, Haïti recevait encore plus de 250 000 touristes internationaux.
Après le départ de Jean Claude Duvalier suite à la crise politique de 1986, le secteur touristique Haïtien était au point mort. Les touristes internationaux ne s’intéressaient plus au pays. Dans le même temps, les acteurs du secteur comme : les hôtels, les restaurants, le transport touristique, l’artisanat ont été durement touchés.
Il a fallu attendre l’arrivée au pouvoir du président René Préval en 1996 pour que les touristes commencent à retourner timidement au pays. Parallèlement, le Ministère du Tourisme, institution servant à définir les grandes lignes de la politique touristique du pays, a été mis en place. Des investissements majeurs ont été consentis dans le nord à Labadie pour renforcer l’accueil des croisiéristes.
Une fois de plus, la crise politique de 2000, aboutissant au départ du président Jean Bertrand Aristide en 2004, a fait chuter le nombre de touristes internationaux en visite en Haïti. En effet, Haïti a perdu sa place sur la carte touristique mondiale. Les grands tours opérateurs n’affichent plus le pays sur la liste des pays à visiter.
Ce n’est qu’en 2010 après le séisme dévastateur du 12 janvier que les touristes étrangers ont signé leur retour en Haïti. Ils/ elles ne venaient pas vraiment pour faire du tourisme de loisir. Le but de leur visite était plutôt humanitaire et/ou solidaire. Ils/elles faisaient partie des organisations qui apportaient de l’aide et de l’assistance aux Haïtiens/nes en difficulté. Sans coup férir, certains de ces visiteurs sont tombés amoureux d’Haïti et y sont retournés pour faire du tourisme de loisir. Et ce fut un moment de grâce pour les hôteliers.
D’après les données du ministère du Tourisme, en comptant les 537 778 croisiéristes de Labadie, le nombre de visiteurs en 2010 aurait atteint à peu près un million. Ce chiffre allait s’améliorer l’année suivante surtout avec l’arrivée des Haïtiens de la diaspora.
Cette embellie n’a pas fait long feu. Le nombre des visiteurs a chuté avec le début de la crise politique à la fin de la présidence de Michel Joseph Martelly. L’arrivée au pouvoir du président Jovenel Moïse va empirer la situation. Depuis environ 3 ans, les activités touristiques du pays sont quasiment bloquées. Car, le pays fait face à une crise politique sans nul autre pareil. Les axes menant aux zones hautement touristiques du pays sont contrôlés par des gangs armés.
Situation des entrepreneurs touristiques Haïtiens/nes à l’heure actuelle
Les investisseurs et les propriétaires des entreprises touristiques souffrent de l’instabilité chronique d’Haïti. Certaines villes du pays ont vu les portes de leur hôtel fermées. C’est le cas dans les départements du Sud et du Sud-est à cause de la situation d’insécurité à Martissant. Le témoignage d’un propriétaire d’hôtel à Jacmel est assez éloquent: « si je vivais des retombés économiques de l’hôtel, je serais déjà mort de faim.»
Les tours opérateurs locaux ne sont pas non plus épargnés. Ils sont quasiment dans une situation de stagnation. Selon James Legenis, l’un des responsables de Passion Tours Evénements (Patourev), depuis environ 3 ans, aucun groupe organisé n’a visité le pays. Malgré les multiples contrats avec certaines écoles et universités américaines dans le cadre d’un programme d’immersion culturelle et touristique entre écoliers et universitaires haïtiens et américains, la crise politique les a forcés à surseoir à ces activités.
En somme, depuis environ 4 ans, rien ne marche dans le secteur touristique. Certaines chaines d’hôtel de renommée internationale, à l’instar de Best Western, ont été obligées de fermer leurs portes. Face à cette situation, le ministère du Tourisme demeure impuissant. Aucun projet de grande envergure n’est envisagé.
Comme tous les autres secteurs de la vie nationale, le secteur touristique est tributaire d’un ensemble de facteurs comme par exemple la stabilité politique et la sécurité. Une condition qui peine encore à devenir réalité en Haïti.
DevHaiti