Économie haïtienne, un plongeon dans le vide

Il faudrait remonter au début des années 90 pour retrouver une situation socioéconomique similaire à celle que nous vivons actuellement en Haïti. Contraction du produit intérieur brut (PIB) sur une période de trois années consécutives, pertes substantielles d’emplois, affaiblissement du pouvoir d’achat des ménages, niveaux critiques de taux de pauvreté et d’extrême pauvreté. Bref, une nette détérioration des conditions de vie de la population. Accusant un taux moyen de croissance annuel négatif du PIB de plus de 2% durant la période 2019-2021, l’économie haïtienne pourrait battre le record de la décennie 90, celui de rester dans le rouge durant quatre années consécutives, si la crise politique persiste en 2022. En effet, malgré tous les accords mis en place par les différents protagonistes de la profonde crise politique, aucune entente n’est trouvée pour assurer une transition réussie et faciliter la tenue de prochaines élections devant replacer le pays sur la voie démocratique.
Le premier mois de l’exercice fiscal 2021-2022 a été marqué par des mouvements de grève générale décrétés par des syndicats de chauffeurs de transport public réclamant une plus grande protection pour leurs membres exposés à des actes d’insécurité ainsi que la disponibilité de produits pétroliers dans les pompes à essence. La situation s’est dégradée avec la hardiesse des chefs de gangs de la zone métropolitaine de Port-au-Prince bloquant totalement l’accès aux espaces de stockage des produits pétroliers et empêchant ainsi l’alimentation des stations de services. Ceci a impacté négativement toutes les chaînes d’approvisionnement au niveau des différents secteurs économiques dans l’ensemble du pays.
Le net ralentissement des activités économiques enregistré durant les deux premiers mois de l’exercice fiscal a limité considérablement la capacité de collecte des autorités fiscales et celle de l’Etat de respecter ses engagements financiers.
Utilisant un budget rectifié de près de 25% à la baisse au cours du premier trimestre de l’exercice fiscal, le gouvernement prévoit des recettes fiscales de moins de 100 milliards de gourdes pour l’ensemble de l’exercice. Avec une pression fiscale inférieure à 6%, un niveau insignifiant même pour un pays à faible revenu, il faudrait s’attendre à un niveau de financement monétaire assez élevé pour supporter le déficit budgétaire attendu. La dépréciation de la gourde haïtienne qui pourrait en résulter, donnera lieu à la détérioration continue du pouvoir d’achat de la population. Ce dernier se retrouve déjà sous la pression du phénomène d’inflation importée résultant de fortes pressions inflationnistes qui ont émergé au niveau des économies américaine et dominicaine, les deux principaux fournisseurs de l’économie haïtienne.
Quant à l’économie réelle, elle est victime de la nette détérioration de l’environnement des affaires décourageant les investissements privés, autant au niveau local qu’international, et provoquant des pertes d’emplois de façon continue. Les secteurs agricole et de services sont les plus affectés du fait que les producteurs agricoles rencontrent beaucoup de difficultés pour l’écoulement de leurs produits périssables au niveau des principaux marchés urbains et les entrepreneurs évoluant dans le secteur touristique, la restauration et les loisirs font face à une demande inexistante.
La perte continue d’emplois au cours des trois dernières années et le maintien de fortes pressions inflationnistes influençant négativement le pouvoir d’achat des familles ont causé une nette augmentation du nombre d’Haïtiens en situation d’urgence humanitaire sur l’ensemble du territoire national. Estimé à plus de 4 millions par un organisme de l’ONU, ce nombre pourrait franchir le seuil critique de 5 millions de personnes après le séisme du 14 août 2021 ayant provoqué d’importants dommages et pertes dans la Péninsule Sud du pays. Une telle situation ne devrait pas faciliter une reprise rapide de la croissance du PIB et placer le pays sur la voie du développement durable pour éliminer la pauvreté d’ici 2030, un engagement pris par les leaders politiques en 2015 dans le cadre de l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD).
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