Développement durable

Le secteur agricole sévèrement touché par le séisme

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À la suite du séisme, AYITIKA – une entreprise «citoyenne» de production et de services, engagée dans le développement de la chaine de valeur cacao d’Haïti – a très rapidement réagi pour recenser les victimes et évaluer le plus précisément possible les dégâts et pertes au sein des communautés rurales dans les départements du Sud, du Sud-est et des Nippes avec lesquelles travaillent l’entreprise.

Une quarantaine de personnes composée de techniciens de l’entreprise et des jeunes volontaires des communautés ont été mobilisés durant les deux semaines ayant suivi le tremblement de terre par l’entreprise qui intervient sur l’intégralité de la filière allant de la recherche sur les systèmes cacaoyers jusqu’à la commercialisation du cacao fermenté et du chocolat.

Des parcelles détruites ou affectées

Au niveau des parcelles agricoles, les dégâts s’observent essentiellement dans les parcelles situées en haute altitude. Cela concerne prioritairement les zones les plus reculées de la 4ème section de Torbeck (Gracia, Lamarre, Laurant, Gros morne). Au niveau de la 3e section de Torbeck, les dégâts sont également très impressionnants par certains endroits dus à des glissements de terrain (localités de Deronsray, Terre rouge, Vivien, Toro). La 2e section de Camp-Perrin, bien qu’en moindre altitude mais marquée par un relief très accidenté, est également très fortement impactée, et ce de manière quasi uniforme.

Ces dégâts ont détruit des jardins entiers ou en partie et ont causé des pertes très importantes au niveau des cultures, notamment des tubercules (igname, manioc, patate douce, mazonbelle) et des cultures maraichères (poireaux, carottes, persil, choux). Dans une moindre mesure, les cultures de pois Congo ont également été impactées.

Dans plusieurs localités de Camp-Perrin (Nazaire, Picot, Saut-Mathurine) plusieurs parcelles agroforestières à base de cacao appartenant à des producteurs partenaires de AYITIKA ont subi quelques dommages, avec la chute d’arbres de couverture. On constate aussi des aménagements ou des structures de protection antiérosive détruites.

AYITIKA collabore aujourd’hui avec environ 1500 producteurs- productrices partenaires, exploitant 400 ha de jardins créoles de cacao rigoureusement et écologiquement valorisés. Ces producteurs sont regroupés au sein d’une association locale RASIN, avec laquelle l’entreprise détient un partenariat stratégique pour une rétribution équitable des richesses créées au niveau de la chaine de valeur cacao et aussi contribuer au renforcement de la résilience des communautés.

Dans le cadre de cette évaluation, 59% des personnes enquêtées ont déclaré des pertes au niveau de leurs parcelles agricoles (d’une nature quelconque). Au-delà des pertes dues à la destruction des cultures, la perte en termes de capital foncier est également très préjudiciable. Si on considère la superficie moyenne par parcelle exploitée par les producteurs de ces localités, on peut estimer qu’au moins 10001 ha de cultures ont été détruits ou affectés par le séisme. En termes de valeur monétaire, ces pertes pour ces familles sont estimées à plus de 400 000 USD si on considère la productivité moyenne/an d’un hectare de terre au niveau de ces zones de montagnes.

Les prochains mois (septembre à décembre) constituent habituellement des mois stratégiques en termes de récolte, notamment pour l’igname (à partir d’octobre), la patate (en septembre) et le Pois Congo (à partir de novembre/décembre). Les dégâts recensés au niveau de ces cultures agricoles représentent donc une perte économique majeure pour toutes ces familles et affecte l’offre alimentaire sur les marchés régionaux.

Les impacts sont déjà perceptibles sur les marchés en termes de disponibilité des denrées alimentaires. Deux semaines seulement après le séisme, on observe déjà une hausse en moyenne de 55% des prix des produits agricoles sur les marchés locaux. Les produits vivriers et les maraîchers sont les plus concernés par les fortes hausses de prix.

Des pertes significatives de bétails

Comme pour les pertes humaines, les pertes de bétail ont surtout été recensées dans les zones d’altitude et accidentées, dues aux glissements de terrain. 49% des personnes enquêtées ont déclaré avoir perdu au moins un animal. En additionnant toutes les espèces les pertes totales sont de 10 722 têtes de bétail. Les espèces les plus touchées sont par ordre décroissant les caprins, les bovins et les ovins.

Lorsqu’on considère les prix moyens des différentes espèces sur les marchés locaux, les pertes au niveau de l’élevage peuvent être estimées à plus de 1 300 000 USD.

La recapitalisation des exploitations agricoles

Les impacts du séisme sur les parcelles viennent de montrer davantage le degré de vulnérabilité des exploitations agricoles familiales entrées depuis longtemps dans un processus vicieux de décapitalisation. Ces familles déjà victimes de Matthew, cinq ans plus tôt, n’ont plus de ressources pour rebondir seules, comme c’est généralement le cas lors des différentes crises ayant secoué le pays. Comme souligné, les nombreuses pertes enregistrées au niveau des parcelles vont affecter la sécurité alimentaire des familles rurales et leurs économies déjà précaires. On est aujourd’hui en pleine préparation de la campagne d’automne. Certains agriculteurs ont même déjà commencé à semer le maïs. Parmi les principales mesures à prendre rapidement et dans le court terme:

a)         Favoriser aux agriculteurs l’accès aux semences à cycle court (maïs, haricot, riz, patate, légumes, sorgo, pois de souche, épinard, aubergine…) leur permettant de cultiver très rapidement et de mettre en valeur leurs parcelles. Une subvention directe en espèces leur permettra de couvrir une partie des coûts de la main d’œuvre nécessaire (la réhabilitation de certaines parcelles exigera une main d’œuvre importante). Ce qui permettra d’avoir une disponibilité alimentaire dans les 3 et 4 prochains mois. Un appui pour la réhabilitation des jardins créoles à base de cacao et autres parcelles agroforestières affectées serait aussi nécessaire.

b)         Fournir aux agriculteurs un appui à la reconstitution et au renforcement de leur cheptel. Des projets d’appui ont déjà été mis en place par le passé, notamment pour l’élevage bovin et caprin, il faudra donc capitaliser sur les facteurs de réussite. Aussi, vu le rôle moteur des femmes dans l’économie rurale, il faudra rapidement leur permettre d’obtenir du crédit à des conditions et modalités de remboursement particulières pour conduire des activités de petit commerce.

c)         Poursuivre et renforcer les différents programmes d’appui au développement de l’agroforesterie (fruitiers, cacao, café, bois d’œuvre) dans la région dans une perspective de contribution à la résilience des écosystèmes et des communautés. Ces systèmes durables, par leur apport à la protection et conservation des ressources naturelles, ont un effet limitant sur les risques d’éboulement et de perte de terres arables. Aussi, par leur diversité en termes de cultures associées (vivrières, fruitières, forestières), ils offrent l’avantage de pouvoir répondre assez rapidement aux objectifs de sécurité alimentaire et nutritionnelle à court et à long terme. Une intensification et une gestion technique et écologique adéquate des bois d’œuvre présents au niveau de ces systèmes augmenteront à terme l’offre locale de bois destinée à la construction.

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