Économie

Les éclairages du professeur Joseph Harold Pierre sur les récentes tensions diplomatiques entre Haïti et la République dominicaine

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Vers la fin du mois d’août dernier, le département d’Etat américain a émis un avis mettant en garde ses ressortissants souhaitant voyager en Haïti et en République dominicaine. En effet, le gouvernement américain a recommandé à ces ressortissants de ne pas voyager en Haïti pour des raisons de kidnapping, de crime, de troubles civils et de Covid-19 selon l’avis de voyage niveau 4 « Ne pas voyager » en date du 23 octobre 2021.

Concernant la République voisine, le département d’Etat américain a plutôt exhorté les citoyens américains à reconsidérer leurs décisions de se rendre dans la partie est de l’île. Les raisons évoquées dans l’avis de voyage niveau 3 en date du 25 octobre 2021 pour la République Dominicaine sont les suivantes: l’existence de crime violent incluant le vol, l’homicide, l’agression sexuelle et le risque de contagion au Covid-19.

Ces notes du département d’État américain sont à l’origine d’une tension diplomatique entre Haïti et la République dominicaine. Les autorités gouvernementales et politiques des deux pays se sont lancées dans une querelle diplomatique sur Twitter. «La communauté internationale, en particulier les États-Unis, le Canada, la France et l’Union Européenne, doit agir en Haïti et de toute urgence », a d’abord tweeté le président dominicain Luis Abinader. En guise de réponse, le Chancelier haïtien, Claude Joseph, a écrit sur son compte Twitter : «Suite à la mise en garde du 25/10/21 du Département d’État américain contre la montée de la criminalité en terre voisine, j’encourage le gouvernement dominicain et celui d’Haïti à travailler d’un commun accord pour enrayer le problème de l’insécurité sur l’Île».

La valse des tweets s’est poursuivie, créant une véritable tension diplomatique entre les deux pays qui a eu même des conséquences politiques. Le vice-ministre dominicain des affaires consulaires et migratoires, Jatzel Roman, a informé que le gouvernement dominicain a décidé de suspendre indéfiniment le programme spécial de visa pour les étudiants haïtiens. Le président Luis Abinader lui-même a clarifié que le renouvellement de ces visas ne se fera plus de manière automatique, mais sera sujet à un processus de contrôle pour des raisons de sécurité interne. D’autres actions contre des migrants haïtiens, particulièrement des femmes enceintes, ont été perpétrées par le gouvernement dominicain, et parfois dans une inhumanité visible. L’étau s’est resserré sur les migrants haïtiens en général qui font désormais face à plus de contrôle venant des autorités migratoires dominicaines.

Pour analyser cette situation, DevHaiti a recueilli des propos du professeur Joseph Harold Pierre, économiste et politologue, spécialiste de l’Amérique Latine particulièrement des relations entre Haïti et la République dominicaine. En intervenant dans plusieurs stations de radio de la Capitale haïtienne, le professeur Pierre a délivré une analyse minutieuse sur la présente situation de conflits diplomatiques entre les deux pays de l’Ile. En effet, M. Pierre a souligné le fait que la République dominicaine essaie, depuis quelques années, d’exercer une certaine influence dans la région. Dans cette perspective, les dirigeants dominicains saisissent toute occasion offerte par certains pays de la région, particulièrement Haïti. Le Venezuela a aussi offert cette opportunité en 2015 quand les autorités de ce pays avaient choisi la République dominicaine pour terrain de négociation en vue de résoudre la crise politique post-électorale.

Un point très important soulevé par le professeur Joseph Harold Pierre concerne les différentes causes des sanctions ou actions du gouvernement dominicain contre Haïti, particulièrement celles des migrants. Ces différentes causes peuvent être classifiées en politique et diplomatique. Les actions du gouvernement dominicain actuel ont pour objectif de changer l’opinion publique dominicaine sur le désir de l’administration de lutter contre le problème haïtien. Si le gouvernement de Luis Abinader a déjà posé des actions concrètes pour lutter contre les grands problèmes publics auxquels fait face le pays, à savoir la corruption, la délinquance et le chômage, il était attendu de la part du public dominicain des actions contre le problème haïtien. Dans le souci de ne pas laisser trop de marge à l’opposition politique sur un sujet aussi sérieux, le gouvernement actuel a utilisé cette tension diplomatique pour mieux légitimer ces mesures.

Mais les causes ne sont pas uniquement politiques, il y a, de fait, selon le professeur Joseph Harold Pierre, un problème sérieux d’insécurité, de crimes organisés et de migrations en Haïti auxquels la République dominicaine devrait se préoccuper.

Dans sa stratégie d’expansion économique, il est crucial pour la République voisine de se préoccuper sérieusement de la situation haïtienne qui se dégrade davantage chaque jour. Le problème de la migration haïtienne, en relation avec d’autres problèmes comme la sécurité intérieure, constitue un sujet politique majeur sur lequel l’administration actuelle en terre voisine ne peut pas faire l’impasse.

Un autre aspect important et fondamental dans la compréhension de la dynamique économique des deux pays, mentionné par le professeur Pierre, est la nature de l’insécurité/criminalité. La République dominicaine fait face à une situation de délinquances alors qu’Haïti fait face à un problème de crime organisé. Les deux sont problématiques mais pas au même niveau et n’ont pas la même conséquence sur l’image-pays, sur les indicateurs de compétitivité susceptible de faciliter la réception d’Investissements Directs Étrangers (IDE).

Le professeur Pierre a finalement mentionné que ce sont les autorités haïtiennes et la société civile en général qui ont la responsabilité de créer un autre sentier de gouvernance et de prospérité économique pour mitiger les problèmes tels que la migration et la criminalité. Il est tout à fait normal, selon le professeur, que la République dominicaine dans sa perspective de prospérité, soit inquiète de la situation haïtienne qui peut indirectement affecter la dynamique de l’Etat voisin.

DevHaiti