Développement durable

« Konbit Plastik » à l’assaut de la pollution plastique en Haïti

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Nous publions in extenso ce reportage de la journaliste Kattia Jean François qui est sortie deuxième lauréate du Prix Jeune Journaliste 2021 organisé par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) en Haïti.

En Haïti, les déchets plastiques sont partout. A travers les rues, le long des canaux d’évacuation d’eau, dans les égouts, le lit des rivières et aux abords des plages. En réponse à cette omniprésence, l’institution haïtienne « Konbit Plastik », depuis août 2017, procède à la collecte et le recyclage de millions de bouteilles plastiques de la région de Port-au-Prince et de certaines villes de province.

Reportage

Rosita, 33 ans, mère de trois enfants, collecte depuis plus 10 ans les bouteilles en plastique à travers les rues  de  la  région  métropolitaine  de  la Port-au-Prince. Vêtue d’un t-shirt noir, d’une jupe bleu et d’un bonnet sur la tête, Rosita nous confie tout le bien-être que lui apporte cette activité dans un pays où pas moins de 70% de la population est au chômage. On l’a rencontrée à la rue Pavée au cœur du Centre-Ville, haut lieu du stockage des plastiques destinés à des tris.

« C’est ce qui me permet de prendre soin de mes 3 enfants, payer leur scolarité et le loyer. Par semaine, je peux livrer entre 500 à 1 000 livres de plastiques. Je gagne entre 3 à 6 mille gourdes. C’est un travail assez rentable pour moi. J’adore ce que je fais », raconte-t-elle fièrement, ajoutant qu’il serait difficile pour elle de laisser cette activité pour une autre.

A une cinquantaine de mètres environ de Rosita, on a rencontré Gabriel Fortuné, accoutré d’un maillot et d’un pantalon en tissu très usagé, d’une paire de botte noir en plastique le long de ses genoux et coiffé d’une casquette a carreaux. Il est 8 heures du matin. C’est l’heure pour l’homme de 45 ans de commencer son boulot.

Sur le sol, gît une quantité immense de déchets en plastique de différentes catégories: des bouteilles de boissons gazeuses, des gallons jaunes et des blancs, des cuvettes cassées et tant d’autres récipients en plastiques destinés à usage domestique. Le collecteur s’apprête à faire le tri par catégorie et par couleur pour les emballer. «Après avoir fini de les diviser par couleur et par catégorie, je les emballe tous dans de grands sacs appropriés pour les transporter vers des centres de collecte partenaires de ‘’Konbit Plastik’’, qui seront acheminés vers des centres de recyclage. On nous paie les livres entre 4 et 6 gourdes, affirme Gabriel Fortuné, en bombant le torse fièrement.

Vers des centres de recyclage…

Konbit Plastik est une institution spécialisée dans la collecte et le recyclage des matières plastiques en Haïti. Elle mobilise plus d’une centaine de collecteurs à travers une cinquantaine de points de collecte. Plus de 105 millions de bouteilles plastiques ont été collectés, traités et recyclés depuis son lancement officiel en 2017.

L’institution s’engage à lutter contre la pollution des fonds marins au moyen des collectes et du recyclage des déchets plastiques. Les usines spécialisées dans le traitement et la transformation des plastiques leur redonnent une vie avant de les remettre sous diverses formes sur le marché. Les centres de recyclage jouent un rôle indispensable dans le système mis en place par Konbit Plastik.

«Si aujourd’hui il n’existe pas de statistiques fiables sur le volume réel de plastiques écoulés sur le marché local, ce dont on est certain c’est que, la mauvaise gestion de ces matières transformées en déchets entraîne de graves conséquences sur l’environnement», assure le responsable de Communication de Konbit Plastik, Robenson Sanon.

Une approche « Eco-Eco »

L’ensemble des activités de Konbit plastik est misé sur une approche «Eco-Eco». Elle contribue à la protection de l’environnement et permet aux bénéficiaires de générer des revenus dans leurs communautés, dont plus de 110 familles.

« Nous achetons également des déchets plastiques venant des autres collecteurs ne faisant pas partie de l’équipe. Nous pouvons acheter jusqu’à 10 mille gourdes qui peuvent nous générer un bénéfice de plus de 3 mille gourdes après les avoir vendus dans les centres de collectes de Konbit Plastik. Ainsi, dans la chaîne tout le monde gagne de l’argent », fait savoir Gabriel Fortuné, avant de souligner que ce travail constitue sa principale source de revenus lui permettant de prendre soin de sa famille. « S’il faut laisser ce gagne-pain, je retourne à la campagne», assure-t-il.

Par ailleurs, Konbit Plastik encourage les efforts des collecteurs en mettant à leur disposition un bonus de deux gourdes par livre de plastiques collectés qu’on appelle «premium», par-dessus de ce qu’ils gagnent à partir de la vente des plastiques aux centres de collectes et aux centres de recyclages.

« C’est le fruit d’un solide partenariat établi entre Konbit Plastique et 3 centres de recyclage dont Haiplast, Haïti Recycling et Tropical recycling », indique M. Sanon.

Des programmes favorisant de bonnes pratiques écologiques

Konbit Plastik, en plus d’encourager les opérations de collecte menées directement dans les espaces publics, implémente tout un ensemble de programmes qui n’ont qu’un objectif: assurer la protection de l’environnement, tout en récupérant les plastiques à la source et du coup sensibiliser le public  à  développer  des  comportements éco-responsables.

Parmi ces programmes, on compte «Eco-Ecole» visant à aider les établissements scolaires à mieux gérer leurs déchets plastiques. Éduquer et sensibiliser les écoliers à développer des comportements harmonieux avec leur environnement, tel est son principal objectif, indique le responsable de communication. Les écoles ciblées reçoivent une poubelle dédiée à la collecte des déchets plastiques. Cette poubelle, une fois remplie, est vidée régulièrement par Konbit Plastik qui achemine leurs contenus vers des centres de collecte.

Par ailleurs, grâce au programme «Eco-Alpha» une personne peut apprendre à lire et à écrire. Pour prendre part au programme, il lui suffit de participer à la collecte des déchets en suivant les mêmes directives que tous les collecteurs. «Avant, pour récupérer mon argent dans les centres de collecte, j’ai dû faire une croix en guise de signature, aujourd’hui grâce à ce programme je peux signer mon nom», raconte Rosita, l’une des bénéficiaires.

Dans la foulée, Robenson Sanon mentionne également «Eco-entreprise» qui encourage les entreprises privées à s’impliquer dans la protection de l’environnement. Elles facilitent la collecte des déchets plastiques à la source.

Le programme «Éco-quartier» s’adresse aux quartiers en les aidant à mieux gérer leurs déchets plastiques. Les opérations de collecte et de tri se font à partir des ménages qui alimentent le point de collecte qui se trouve dans les communautés.

L’urgence d’agir

« La durée de dégradation des matières plastiques est entre 100 à 1 000 ans dans la nature », selon l’ingénieur/agronome Pierre Michard Beaujour, doctorant en écologie et entomologie. Il soutient que « les matières plastiques en pleine nature, outre la pollution visuelle qu’elles représentent, constituent un véritable danger pour l’environnement. Elles peuvent libérer dans le sol et dans les eaux, des molécules dangereuses, tant pour l’homme que pour la nature ».

« Si rien n’est fait, nous sommes tous appelés à disparaître », renchérit Robenson Sanon, responsable de communication de Konbit Plastik. En effet, Si la majorité des gens qui vivent en Haïti ne voient pas l’urgence d’agir ou de poser des gestes rapidement, Konbit Plastik emboîte le pas.

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