Gouvernance

Vers l’amélioration de la qualité de vie des femmes par la planification familiale

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Nous publions in extenso ce reportage de Kattia Jean François produit dans le cadre d’un stage d’un mois au Burkina Faso offert par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) aux lauréats de son concours du Prix du jeune journaliste 2021. Kattia est sortie deuxième lauréate dans la catégorie presse écrite.

La planification familiale est gratuite sur toute l’étendue du territoire burkinabè depuis le 1er juillet 2020. Cette mesure qui vise à améliorer les indicateurs de santé au Burkina Faso n’est pas effective au sein des ménages de déplacés internes de Pazani. Si certains saluent ces mesures, d’autres manifestent encore des réticences estimant contraire à la religion.

Reportage

Le soleil est au zénith ce mardi 8 février 2022 au quartier Pazani de Ouagadougou. Dans ce secteur situé à l’extrême nord de la capitale burkinabè vivent plus de 230 ménages de déplacés internes qui ont fui leurs localités d’origine du fait de la menace terroriste. Pour contacter les responsables des déplacés, une poignée de minutes suffisent pour rallier la route principale au Quartier général (QG) de ces déplacés. De petits commerces installés aux abords des ruelles attendent de potentiels clients pendant que des passagers à pied ou à motocyclette vaquent à leur occupation.

Dans un espace vide, une vingtaine d’enfants issus de familles des déplacés internes âgés entre 4 à 8 ans, à moitié nu et sans chaussures pour la plupart, jouent sous un soleil de plomb, sur un terrain poussiéreux tandis que leurs camarades sont sur le chemin de l’école.

A proximité sous un hangar, des femmes assises sur des morceaux de tissus étalés au sol et d’autres sur des bancs bavardent. L’ambiance n’est pas celle des beaux jours. Fatiguées de s’asseoir, certaines d’entre elles présentant des mines teintées de chagrin s’allongent pour mieux allaiter leurs bambins pleurnichards. Ces enfants accrochés aux mamelles de leurs mères, sont pour la plupart des fillettes coiffées grossièrement avec des vêtements dont la propreté laisse à désirer.

A quelques jets de pierre du QG, une jeune dame répondant au nom de Rabi Diallo (nom d’emprunt), le bébé accroché au dos s’apprête à regagner son lieu de refuge pour les travaux ménagers. Âgée de 25 ans et déjà mère de trois enfants, elle est originaire de Silgadji dans la commune de Tongomayel dans la province de Soum.

Des déplacés favorables à la planification

«Nous avons quitté notre village à cause des attaques terroristes en 2019», explique-t-elle. Concernant le sujet de préoccupation, la planification familiale, la jeune femme explique à cœur ouvert son vécu. A son avis, ces deux premiers enfants, un garçon de six ans et une fille de 3 ans, sont nés à Silgadji. La troisième fille âgée de deux mois est née à Pazani. Pour elle, la planification familiale (PF) est une bonne pratique. A ce propos, elle relève que des agents de santé lui ont expliqué l’importance des méthodes de contraception pour l’épanouissement de la famille. Cependant, madame Ouédraogo regrette que son mari s’y oppose malgré les séances de sensibilisations. Convaincu du bienfait de la PF, elle dit avoir pris le risque de pratiquer

une méthode contraceptive à l’insu de son époux.

«J’ai appliqué le norplant durant deux ans et demi. J’ai dû arrêter par la suite parce que j’ai voulu avoir un troisième enfant» raconte-t-elle. Le mari étant absent, Rabi compte encore reprendre en cachette la planification familiale. «Mon conjoint travaille à Boromo dans le secteur de l’orpaillage. Il revient toutes les trois semaines», confie-t-elle. Néanmoins, un obstacle se dresse devant elle, le manque d’argent. «La planification familiale était gratuite à Silgadji, mais ici à Ouagadougou mes amies m’ont dit qu’elle coûte 3 000 francs CFA, alors que je ne dispose pas de cette somme», avance-t-elle avec amertume.

A côté du domicile de Rabi se trouve celui de Ahdi Ouédraogo, 33 ans, mère de deux fillettes et de sa coépouse, Ayouba Tapsoba, 34 ans, mère de 5 enfants. Assise dans leur cour devant une maison- nette inachevée sans commodités, Ahdi Ouédraogo fait la couture. Comme, Rabi, le mari des deux dames travaille sur un site d’orpaillage loin de ses épouses. Venus de Silgadji depuis 2 ans du fait des attaques terroristes, les deux dames s’organisent tant bien que mal pour subvenir aux besoins de leur famille. «J’ai appris à coudre pour pouvoir participer aux dépenses familiales. L’apprentissage a duré deux ans, mais je n’arrive pas encore à être une fin couturière. De ce fait, le métier ne me rapporte pas grand-chose, mais je me débrouille pour gagner un peu d’argent», confie Ahdi. Concernant la planification familiale, elle dit avoir déjà appliqué la méthode des contraceptifs injectables pendant un an à raison de 1000 francs CFA tous les trois mois.

Une pratique contraire à la religion

Avec l’absence de son mari, le couple de façon concertée a décidé d’interrompre le processus. «Le mari n’étant pas à côté, je ne trouve plus la nécessité de pratiquer la planification», justifie-t-elle. Sa coépouse Ayouba à ses débuts ne pratiquait pas le planning familial jusqu’à son deuxième enfant lorsque le feu vert lui a été donné. «Mon mari a décidé qu’on le fasse maintenant car notre situation est devenue très précaire», relève-t-elle. Ahdi et Ayouba saluent la compréhension de leur conjoint dans l’utilisation des contraceptifs. Tout comme ce dernier, Abdoul Aziz, 52 ans est aussi favorable à la planification familiale et pense qu’il faut promouvoir la pratique. «J’ai une femme et 5 enfants. Le premier est âgé de 21 ans et le dernier n’a que quelques mois. Depuis 2001, je me suis arrangé avec ma femme pour espacer les naissances des enfants», relève-t-il. C’est maintenant avec notre situation difficile que je comprends mieux le bien-fondé de la planification, soutient-il.

Si certains déplacés internes sont ouverts aux méthodes contraceptives, d’autres par contre s’y opposent. Aminata Sawadogo fait partie de cette catégorie de personnes. Mère de trois enfants âgés respectivement de 5, 4 et 3 ans, la jeune femme de 25 ans dit avoir déjà entendu parler de la planification familiale dans les centres de santé.

«Dans mon village d’origine Botogui, des infirmières m’ont déjà proposé la planification familiale, mais je n’ai pas trouvé cela nécessaire», soutient-elle. Dans la foulée, Madame Sawadogo précise que son conjoint est également opposé à ces pratiques. Par conséquent, elle déclare ne pas se fixer de limite dans la procréation. Je suis prête, relève-t-elle, à recevoir autant d’enfants selon la volonté divine.

« Pourvue qu’il ait la nourriture nécessaire pour les nourrir », ajoute-elle sans complexe.

Oumarou Sawadogo, 59 ans polygame père de 18 enfants est aussi farouchement opposé à la pratique. « Notre religion interdit la limitation des naissances. Elles doivent se poursuivre jusqu’à ce que la ménopause survienne », justifie-t-il. Même si Aminata Sawadogo et Oumarou Sawadogo ne sont pas favorables à la PF, ils sont tous unanimes que le nombre élevé d’enfants devient de plus en plus un casse-tête chinois.

Des enfants déscolarisés

«Mon premier enfant de six ans est le seul inscrit à l’école. Le préscolaire le moins cher dans la zone coûte 26 000 FCFA. Mon mari ne dispose pas de cette somme. Ce qui fait que nos enfants attendent l’âge d’aller au primaire où le public est presque gratuit», martèle Rabi Diallo.

Abondant dans le même sens, Abdoul Aziz Ouédraogo né en 1970 raconte que ces 5 enfants n’ont pas pu terminer leurs études secondaires faute de moyens.

 «J’ai été obligé de les orienter dans l’apprentissage de métiers», renchérit-il tout en affirmant que même ses plus petits enfants encore à l’école sont accompagnés par des ONG.

Aminata nourrit l’espoir de voir ses enfants en salle de classe mais ses moyens sont largement insuffisants. «Je me débrouille avec la vente d’eau glacée. Je gagne entre 300 à 500 F CFA par jour et mon mari n’a pas de travail décent», regrette-t-elle. Puis de relever que leurs conditions de vie se sont davantage dégradées du fait des attaques terroristes. «A Silgadji, j’étais plus à l’aise, car je pratiquais l’agriculture, l’élevage et le petit commerce. Aujourd’hui je suis assise à ne rien faire», explique Rabi tout en exprimant son désir de retourner au village une fois la paix revenue. En attendant le retour au calme, certains déplacés internes invitent les autorités à poursuivre les efforts de sensibilisation sur la planification familiale.

Le responsable des PDI, Ali Tapsoba, 32 ans et père de deux enfants, est convaincu que l’espacement et la limitation des naissances sont nécessaires pour réduire la vulnérabilité des victimes des attaques terroristes. «Ma femme est infirmière et nous pratiquons le planning. Ma première fille à 7 ans et la deuxième à un an deux mois», justifie-t-il. Ce cri de cœur pourrait avoir un écho favorable avec les mesures gouvernementales en cours relatives à la gratuité des produits de la planification familiale et la mise en œuvre du partenariat de Ouagadougou qui vise à accélérer les progrès de l’utilisation des services de planification. Le Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de Pazani pourrait jouer un rôle dans la distribution de ces produits et à convaincre les plus sceptiques à les utiliser.

Les démarches entreprises auprès du ministère de la Santé pour recueillir leur contribution ont été vaines mais les PDI nourrissent l’espoir de se voir assister sur le plan de la gratuité de ces produits. «Notre souhait est que les produits contraceptifs soient gratuits», plaide Rabi Ouédraogo.

Contraception: 13 millions d’utilisatrices à atteindre d’ici 2030

Le Partenariat de Ouagadougou a été lancé lors de la Conférence régionale sur la population, le développement  et  la  planification  familiale  tenue  à Ouagadougou, Burkina Faso, en février 2011 par les neuf gouvernements des pays francophones de l’Afrique de l’Ouest, en collaboration avec des partenaires financiers et techniques.

L’objectif du partenariat est d’accélérer les progrès de l’utilisation des services de planification familiale au Bénin, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Mali, en Mauritanie, au Niger, au Séné- gal et au Togo. Il a pour vision, une Afrique de l’Ouest francophone avec un accès facile à une planification familiale de qualité et une amélioration de la vie des femmes et des jeunes. Le Partenariat de Ouagadougou sert de catalyseur pour un développement durable pour tous. Le Partenariat de Ouagadougou a atteint ses objectifs en enregistrant plus de 3,8 millions d’utilisatrices additionnelles de méthodes modernes de planification familiale dans les 9 pays membres, en 2020. Son objectif actuel est d’atteindre 13 millions d’utilisatrices de méthodes modernes d’ici 2030, doublant ainsi le chiffre actuel qui est de 6,5 millions.

DevHaiti

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