Insécurité en Haïti, qui se soucie des victimes ?

Comme c’est souvent le cas, dans de pareilles conditions, on mettra encore longtemps avant de mesurer la portée réelle et le poids socio-économique de l’insécurité globalement, et du kidnapping en particulier, dans l’enlisement du pays dans le sous-développement.
Ces derniers temps, les cas de kidnapping sont tellement devenus monnaie courante qu’ils passent dans l’actualité comme de simples faits divers. On s’étonne, on s’émeut et on compatit à l’annonce d’un cas de kidnapping d’un proche, d’une connaissance ou d’un collègue de travail. On pousse un ouf de soulagement et on se réjouit avec la nouvelle de sa libération, dans la grande majorité des cas contre rançon.
Si en 2021, il était coutume d’obtenir la libération des otages contre le versement d’une seule rançon, depuis quelque temps, la donne a changé. Jusqu’à trois rançons sont désormais versées aux bandits qui ne libèrent plus les victimes aux premiers versements des rançons. Un signe non seulement de la complexification du phénomène de kidnapping et de la sérénité totale dans laquelle opère les bandes armées.
La passivité légendaire des autorités étatiques et la sinécure des forces de l’ordre n’indignent plus grand monde. On se tait, on se résigne et on envoie par message des vœux de prudence à ses contacts. Ceux qui le peuvent mettent les voiles et filent vers d’autres cieux. Dans les Antilles, en Amérique du Nord et du Sud, en Europe… La fuite des cerveaux, et la fuite des capitaux par ricochet, se poursuivent systématiquement… au grand dam de l’administration publique et du marché du travail local.
Comme tout le monde ne peut pas prendre ses jambes à son cou, ceux qui restent s’adaptent. On ne se bat plus. On a mis bas les armes. À quoi bon?
L’État est pointé du doigt pour complicité avec les bandits, dans un objectif macabre de conservation du pouvoir à n’importe quel prix. La justice est démissionnaire et peine à se tenir sur une seule jambe. Les bandits ne sont inquiétés outre mesure, et les avis de recherche émis à leur encontre pourrissent dans les tiroirs des chefs de poursuite.
Face à cette situation d’insécurité généralisée, orchestrée et sous contrôle, les citoyens constituent donc des proies faciles pour cette machine infernale de l’insécurité. Ils ne sont rien d’autre que des agents économiques alimentant la nouvelle économie du kidnapping ayant droit de cité dans l’aire métropolitaine.
Que dire du tronçon de Martissant qui paralyse quasiment tout trafic sur la route nationale #2 et coupe Port-au-Prince de cinq départements géographiques du pays? Les chefs de gang y font la loi et décident quand accorder le passage ou non. Gare à celles ou ceux qui s’y aventurent sans la permission préalablement obtenue des chefs tout-puissants de la zone. Les nombreux cas d’assassinats et de blessures par balle en sont l’amère preuve.
On déplore ce blocage, on se plaint, et des entrepreneurs s’inquiètent et vont jusqu’à parler de disparition du grand Sud à cause de cette insécurité généralisée qui s’abat sur certains endroits de la route nationale #2, notamment dans le quartier de Martissant.
Au-delà des conséquences économiques désastreuses derrière chaque cas de kidnapping avec libération contre rançon, il y a des traumas, des séquelles, des troubles psychos insoupçonnables. Les appels pour un appui psychothérapeutique se sont multipliés ces deux dernières années. Au total, plus de 5 200 appels en 2 ans.
La santé mentale des Haïtiens et Haïtiennes en résulte très affectée. Les personnes en Haïti nourrissent de plus en plus d’idées suicidaires et commencent à développer d’autres maladies mentales et/ou un sentiment de profond mal-être. Les risques sont multiples.
Qui se soucie du bien-être psychosocial ? Pas grand monde, à ce qu’il parait. Excepté un regroupement de jeunes professionnels qui, depuis deux ans, s’attèlent à offrir des services en santé mentale aux personnes faisant appel à leur expertise. Du mieux de leurs capacités, ces professionnels assistent les gens en difficulté dans l’indifférence totale de l’État.
L’État a vent de leur existence, mais ne se bouscule pas pour les accompagner. Sans doute, l’État pense qu’ils débrouilleront mieux sans son aide ou, au pire, il n’en a cure de la santé mentale de la population. Dans les deux cas, nous sommes assez mal barrés.
DevHaiti