Économie

L’insécurité qui asphyxie les activités économiques

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Les vols à mains armées, la mise à sac, les enlèvements contre rançons, les assassinats sommaires, les incendies, les pillages et autres atrocités ou menaces sont le lot quotidien des Haïtiens, en parti- culier ceux qui fréquentent la zone métropolitaine de Port-au-Prince. La Police nationale d’Haïti (PNH), avec son effectif de plus de 15 000 policiers, et la justice n’arrivent toujours pas à neutraliser les malfrats qui continuent de terroriser la population. Si des entreprises diverses ont dû plier bagages ou réduire leur personnel pour amortir l’effet des dégâts, avec la dépression économique qui se dessine, l’économie nationale accuse déjà le coup.

Fabricant des huiles essentielles dans le sud d’Haïti, l’entrepreneur Pierre Léger, P.D.G. de Frager Essential Oil S.A, apprécie la matérialisation du projet de port international du sud. Il met l’Etat aussitôt en garde en faisant remarquer que le privé ne pourra pas construire toutes les infrastructures nécessaires à l’exploitation du port à Saint Louis du Sud. M. Léger fait appel à la responsabilité de l’Etat aussi bien pour endiguer l’insécurité que pour construire les infrastructures additionnelles qui vont avec le fonctionnement du port. La détérioration de la sécurité dans la zone de Martissant cause une rareté de produits pétroliers dans la péninsule du sud. Pierre Leger qui se montre très inquiet pour la sécurité en Haïti annonce que des démarches sont en cours pour la construction au plus vite d’un terminal pétrolier au port de Saint Louis du Sud.

La présidente du Syndicat des Notaires des Juridictions d’Haïti (SNJH), Marie Alice Bélisaire a soutenu la position du secteur privé haïtien qui a adressé une pétition au Premier ministre Ariel Henry afin d’exprimer le ras-le-bol de la société civile tout en proposant des mesures à adopter au plus vite avant qu’il ne soit trop tard. Cette note reçue le 28 mars à la primature a trouvé écho immédiatement auprès du Premier ministre qui a proposé la formation d’une commission. La société civile à travers Mme Bélisaire indexe des dépenses inutiles engagées saignant davantage les maigres ressources de l’État.

«Des fonds publics financent des voyages et des cérémonies futiles et des acquisitions qui ne soulagent en aucun cas la misère du peuple. Cette gabegie administrative est inacceptable.»

La pétition de la société civile- signée par un large éventail d’organisations- constate que le pays est en train de s’asphyxier économiquement. L’insécurité généralisée ne profite pas au pays et le plonge dans un chaos indescriptible. D’aucuns suggèrent même que l’équipe en place semble faire durer la jouissance illégitime du pouvoir sans contrôle, et ceci, au mépris des souffrances de la population.

L’économiste Kesner Pharel, P.D.G du Group Croissance affirme que l’Etat ne dispose pas de suffisamment de fonds pour financer les services publics, en particulier les investissements dans la sécurité publique. Au moment d’intervenir, le dimanche 3 avril 2022, dans un multiplex spécial organisé par l’Association nationale des médias haïtiens (ANMH) autour de l’insécurité titré «Leta kote w, sitwayen reveye w», Kesner Pharel invite les autorités à dépenser de façon efficiente en appliquant les meilleures pratiques de management. Le budget en exercice totalise 193 milliards de gourdes. Avec 1,2 policier pour 1000 haïtiens, même si des efforts ont été consentis, ce ratio demeure faible comparé à la norme internationale de 2,2 policiers pour 1 000 habitants.

Pour sa part, le sociologue Jacques Jean Vernet, retient quatre facteurs à la base de l’insécurité. La bourgeoisie dans tous les pays travaille pour l’idéal national et exerce un rôle de leadership en faveur de la nation. Or en Haïti, cette bourgeoisie n’est pas versée dans la production nationale qui permettrait de développer un rapport entre ceux qui ont l’argent pour investir et ceux qui ne disposent que de leur force de travail. «Les éléments de la bourgeoisie haïtienne ne sont motivés que par la rentabilité flibustière. Une économie où chaque secteur a son propre gang, où la stratégie flibustière peut amener un commerçant à éliminer, à liquider un concurrent sans autre forme de procès.»

 Selon Jacques Jean Vernet, l’insécurité qui asphyxie le pays résulterait aussi d’une absence de planification urbaine. Les quartiers populeux pullulent. Un autre facteur cité par le sociologue concerne l’instabilité socio-politique dégradante née des régimes militaires qui se sont succédé à la tête du pays après le départ de Jean-Claude Duvalier. Entre 1989 et 1994, ces régimes ont institué la violence pour squattériser des terrains dans la zone du bicentenaire (boulevard Harry Truman) à Port-au-Prince. Cette époque a connu le démantèlement de l’armée sans désarmement et surtout la commercialisation ou privatisation des services de sécurité. Le quatrième facteur met à l’index la corruption généralisée, l’instrumentalisation de la justice, la manipulation du système électoral.

L’économiste Kesner Pharel fait ressortir les faiblesses du budget de la Police nationale, environ 20 millions de dollars américains, qui alloue la majeure partie au paiement des salaires sans consentir des investissements qui pourraient servir l’institution sur le long terme. Lorsque l’Etat ne dispose pas suffisamment de fonds pour ses services publics, en particulier pour l’investissement dans la sécurité publique, il faut dépenser de manière efficiente en tenant compte du manage- ment et de la logistique.

Selon Pharel, il nous faut une politique de sécurité et l’adapter à l’institution policière qui doit l’exécuter, une question de gouvernance. Même s’il faut avoir beaucoup plus de fonds affectés à la politique sécuritaire, la direction générale de la PNH doit s’occuper des questions stratégiques et de projets à exécuter pour le compte de l’institution. Selon un rapport du Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) la police dispose d’un effectif de 15 197 agents au 5 janvier 2022, soit 1,2 policier pour 1000 habitants.

L’agent exécutif intérimaire de Carrefour, Jude Edouard Pierre estime que les actes d’insécurité devenus monnaie courante dans la troisième circonscription de Port-au-Prince, limitrophe à la commune qu’il administre, paralysent la vie économique à Carrefour. Selon lui, les recettes dans sa commune ont diminué de 63%. Beaucoup d’entre- prises ont déjà fermé leurs portes, d’autres renvoient une partie de leur personnel. La mairie de Carrefour doit honorer plus de 10 mois d’arriérés de salaires à ses employés. Faute de fonds, la mairie n’a pas les moyens de faire réparer les matériels de voirie qui sont tombés en panne.

La détérioration de la sécurité à Martissant a poussé près de 1500 personnes à élire domicile au Centre sportif de Carrefour empêchant toute activité sportive depuis juin 2021. Jude Edouard Pierre informe que ces victimes de l’insécurité seront relogées grâce aux efforts de l’Organisation Internationale pour la migration (OIM) et l’Organisation Nationale pour la migration (ONM) et le gouvernement. 50 000 gourdes sont mises à la disposition de chaque famille. D’ici fin avril 2022, le centre sportif devrait être totalement vidé de ses occupants.

Cette émission animée par les journalistes Marie Raphaëlle Pierre, Roberson Alphonse, Wendell Théodore et Jean Monard Métellus constitue, à elle seule, un cri d’alarme contre l’insécurité. Comme l’a révélé une enquête réalisée par l’Observatoire citoyen pour l’institutionnalisation de la démocratie (OCID), 62% de la population perçoit l’insécurité comme le plus grave problème du pays.

L’Association nationale des médias haïtiens (ANMH) a organisé le 3 avril 2022 une émission spéciale sur l’insécurité sur le thème «Leta kote w, sitwayen reveye w». Cette émission a été diffusée en direct par tous les médias membres de l’ANMH.

DevHaiti

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