Économie

La relance de l’économie haïtienne passe par l’accès des MPMEs aux commandes

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L’accès des Micro, Petites et Moyennes Entreprises (MPME) aux commandes publiques est une stratégie  de  croissance  très  envisagée  dans plusieurs pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et en Afrique. En Haïti, selon Me Claudie Marsan, spécialiste en passation de marchés publics, plusieurs mesures restent à prendre pour mieux avancer dans cette logique. Pour accélérer la création d’emplois et la croissance économique, le pays doit privilégier de fait les MPME dans l’accès à la commande publique. Me Marsan, dans le cadre du 12e Sommet international de la Finance, via une présentation méthodique assortie de recommandations spécifiques, s’est adressé directement aux décideurs haïtiens.

Me Marsan a d’abord mis l’accent sur quatre principaux freins ou obstacles auxquels font face les MPME dans le processus de l’accès à la commande publique en Haïti. La commande publique, a précisé la spécialiste, est constituée des marchés publics et des conventions de concession d’ouvrages de services publics. Les quatre freins selon elle sont les suivants :

Frein 1: Seuil de passation de marchés publics trop élevés entretenant l’opacité des procédures;

Me Marsan a donc plaidé pour une réduction des seuils de marchés publics établis en Haïti à 5 millions de gourdes, depuis le 21 octobre 2012. En comparaison avec le seuil appliqué à la Jamaïque, celui d’Haïti est plus de 3 fois supérieur. Le seuil de marché public à la Jamaïque est de $ 13 560 US, soit l’équivalent en gourde de 1.5 millions. «Quand nous savons que les entreprises haïtiennes sont en moyenne plus petites que celles de la Jamaïque, ce seuil est pratiquement inaccessible aux MPME haïtiennes», a-t-elle argumenté.

Frein 2: Lourdeur des procédures et des conditions de participation aux appels à une commande publique;

Selon Claudie Marsan, la commande publique est synonyme de complexité et d’entraves pour les MPME qui souvent ne connaissent pas les rouages administratifs. Les MPME ne connaissent pas les procédures légales de passation de marché public. Cette complexité administrative et légale décourage les MPME à se candidater pour obtenir une commande publique.

Frein 3: Ineffectivité et inefficacité des recours dans les marchés publics;

S’agissant de cet aspect, Me Marsan a particulièrement pointé la faiblesse et les limites du champ d’intervention du Comité de Règlement de Différends (CRD). En effet, selon elle, le rôle du CRD est strictement limité à la médiation dans le cadre des contestations relatives à l’exécution de marchés publics. Si le CRD peut prendre une décision motivée susceptible de recours par devant la Cour des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA), il est difficile que cette décision soit assortie d’un jugement. Les décisions du CRD sont utiles et effectives uniquement dans le cas où les différentes parties veulent rencontrer des solutions à l’amiable, non pas des décisions de justice.

Frein 4: Non-respect de délai de paiement par les acheteurs publics.

Selon Me Marsan, la non-réglementation des modalités de paiements dans les documents de marché public est préjudiciable à toutes les entreprises particulièrement aux MPME. Les acheteurs publics ont souvent tendance à ne pas respecter les délais de début de paiement et n’arrivent pas à payer les entreprises à temps sans risquer des intérêts moratoires.

Des mesures urgentes, selon l’avocate au Barreau de Port-au-Prince, doivent être prises pour remédier à ces quatre principaux freins. Parmi les recommandations de Me Marsan pour faciliter l’accès aux MPME à la commande publique en Haïti:

•          Pour mitiger le frein 1, il faut:

→ Abaisser immédiatement le seuil de passation de marchés publics que l’on pourrait aligner au même niveau de celui de la Jamaïque;

→ Combattre l’opacité dans le processus de passation de marchés publics afin que la Commission Nationale des Marchés Publics (CNMP) puisse contraindre les commandeurs à être transparents à toutes les étapes;

→ Publication systématique des plans de passation de marchés publics;

→ Publication des avis généraux de marchés;

→ Publication des avis spécifiques des appels d’offre;

→ Publication des avis d’attribution définitive ou d’annulation de marchés.

→ Alimenter la liste noire (sur le site de la CNMP) des contrevenants qu’elle sanctionne c’est-à-dire des agents des autorités contractantes, des soumissionnaires, des titulaires de marché conformément aux dispositions des articles 91 à 94 de la loi du 10 juin 2009;

→ Mieux impliquer la société civile qui doit jouer

un véritable rôle de contre-pouvoir.

•          Pour mitiger le frein 2, il faut:

→ Former solidement les jeunes entrepreneurs en investissant dans la formation professionnelle. Me Marsan a souligné qu’une préférence peut être développée pour les entrepreneurs de 15 à 30 ans;

→ Apport du Centre de Facilitation des Investissements (CFI), de la CNMP et de l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC) dans la formation des jeunes entrepreneurs;

→ Développer un programme de renforcement d’accès au crédit pour les PME dans l’objectif de faciliter leur croissance et leur participation aux commandes publiques;

→ Alléger les formalités de participation aux appels d’offre en se concentrant sur la comparaison des offres;

→ Prendre des mesures pour appliquer les dispositions des articles 24 et 56 de la loi du 10 juin 2009 qui donnent une préférence aux MPME;

→ Exiger la sous-traitance pour faciliter aux petites entreprises de se positionner;

→ Exiger la concurrence;

→ Exiger le groupement ou la mutualisation des MPME pour qu’elles puissent développer plus de capacités techniques;

→ Recourir à d’autres outils comme le Small Business Act de l’administration des Etats-Unis sur l’aide aux MPME;

→ Exiger un quota d’au moins 30% des commandes publiques au bénéfice des MPME;

→ Soulager les MPME quant aux coûts d’investissement pour participer aux appels d’offre.

•          Pour mitiger le frein 3, il faut:

→ Reformer les procédures administratives de

marchés publics;

→ Introduire l’arbitrage dans les marchés publics pour une résolution définitive des contentieux;

•          Pour mitiger le frein 4, il faut:

→ Réglementer les procédures de paiement dans le cadre de la commande publique, en fixant le délai de paiement et le point de départ de ce délai;

→ Introduction de la facturation électronique dans la commande publique en Haïti. Cela permettrait de constater clairement la date à courir des délais de paiement;

→ Respecter les obligations faites aux acheteurs publics de payer les intérêts moratoires (art. 86 de la loi du 10 juin 2009);

→ Augmenter les taux des intérêts des moratoires à au moins 5% pour inciter les acheteurs publics à les respecter.

La spécialiste des activités de commande publique en Haïti a conclu que le développement du pays passera nécessairement par celui des MPME et, l’accès aux commandes publiques aux MPME, est d’une importance colossale. Il faut, selon elle, non seulement adopter des lois favorisant les MPME mais aussi prendre des mesures concrètes pour faire respecter et appliquer les lois tant au niveau des acheteurs publics qu’au niveau des bénéficiaires des commandes publiques. La transparence et la préférence pour des entreprises haïtiennes sont, selon elle, deux principes fondamentaux pour faciliter l’accès aux MPME aux commandes publiques afin qu’elles puissent aider davantage au développement du pays.

DevHaiti

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