La gouvernance des coopératives : le rôle du CNC

Débuté en 1844 en Angleterre avec la Société des Pionniers équitables de Rochdale, le mouvement coopératif moderne s’est développé jusqu’à devenir un levier de croissance économique ayant ses preuves partout à travers le monde. Il a été soutenu par le Mouvement des Caisses Desjardins, coopérative de caisses fondées en décembre 1900 au Québec, Canada, et l’Alliance coopérative internationale. En Haïti, les coopératives, surtout financières, ont largement contribué à l’éducation et à l’inclusion financière des masses paysannes que les services publics haïtiens n’ont pas su encadrer. Parti avec des moyens limités et une structure laissant à désirer au début, le mouvement s’est renforcé en se dotant d’une gouvernance plus consistante monitorée par la BRH que nous présentons dans cet article.
Après s’être fait connaître positivement en Europe et en Amérique vers la deuxième moitié du 19ᵉ siècle, le mouvement coopératif a connu ses balbutiements en Haïti au début du 20ᵉ siècle. Il s’est progressivement structuré sous l’impulsion de figures politiques et religieuses à travers des caisses d’entraide et des coopératives agricoles. Mais, c’est sous la présidence de Sténio Vincent (1930-1941) que ce mouvement a réellement connu un encadrement officiel, selon les informations recueillies dans le volume IV de la revue « Développement de connaissances et compétences financières » publiée récemment par la Banque de la République d’Haïti (BRH).
Les repères liés à l’expansion du mouvement coopératif en Haïti
À cet effet, ladite revue a mis en exergue les principaux repères liés à l’expansion du mouvement coopératif dans le pays de 1937 à 2014.
· 1937 a vu les premières actions en faveur du coopérativisme. En effet, la première loi sur les coopératives a été adoptée sous la présidence de Sténio Vincent. Objectif de cette loi : Autorisation officielle de création de coopératives en Haïti ;
· L’année 1947 marque la création des premières coopératives agricoles dans certaines communes rurales. Un signal du début des opérations du mouvement coopératif sur le terrain ;
· 1950-1970 a vu l’Extension des coopératives dans plusieurs secteurs (épargne et crédit, agriculture…). Ce qui montre la diversification des modèles coopératifs locaux ;
· 1981 est l’année de la promulgation d’un décret créant le Conseil national des Coopératives (CNC) comme instance officielle d’agrément, de contrôle et d’encadrement des coopératives.
· 2000 a vu la multiplication des coopératives d’épargne et de crédit (CEC) comme réponse à la faiblesse des services financiers traditionnels.
· 2002, une nouvelle loi sur les coopératives est créée en vue de soutenir le développement des caisses populaires haïtiennes, d’accroître l’accès aux services financiers pour tous et de promouvoir la création d’entreprises et de richesse.
· 2007 a vu la création de la première fédération des caisses populaires (Le Levier). Objectif : soutenir le développement des caisses populaires haïtiennes, d’accroître l’accès aux services financiers pour tous et de promouvoir la création d’entreprises et de richesse.
· 2014 a vu l’Extension du Département dédié des Caisses, la Direction de l’inspection générale des caisses populaires (DIGCP) aux Cayes et au Cap-Haitien, avec pour objectif de renforcer le cadre coopératif national en offrant des services de règlementation et de supervision de proximité au secteur.
Le Conseil national des coopératives (CNC) et sa mission
Le Conseil national des Coopératives (CNC) est l’entité chargée de la régulation et du contrôle du secteur coopératif conformément au décret du 31 mars 1981 portant création dudit organe. Ce décret du 31 mars 1981 stipule en son article que le CNC a pour mission de formuler la politique nationale dans le domaine de l’organisation et du développement des coopératives. Il agit en accord avec le ministère de la Planification et de la Coopération externe (MPCE).
Le CNC est l’autorité de tutelle des coopératives. Il est chargé de formuler et de promouvoir la politique du gouvernement en matière coopérative. Il a pour missions principales de surveiller, d’encadrer et de promouvoir le développement des coopératives dans le pays, tout en veillant au respect des lois et règlements en vigueur.
Le décret du 31 mars 1981 portant création du Conseil national des Coopératives (CNC) stipule en son article 2 que le CNC a pour mission de formuler la politique nationale dans le domaine de l’organisation et du développement des coopératives en accord avec le ministère de la Planification et de la Coopération externe (MPCE).
Conséquemment, les attributions dévolues au CNC, au nombre d’une dizaine environ, sont consignées aux articles 14, 15, 16, 17 du décret du 31 mars 1981 et sont libellées comme suit :
· Inspecter et contrôler les Coopératives ;
· Étudier les dossiers soumis à l’agrément officiel ;
· Aider les groupements précoopératifs à planifier leurs activités ;
· Procéder à l’enregistrement des entreprises coopératives agréées ;
· Tenir à jour les statistiques du mouvement coopératif ;
· Procéder auprès des sociétés coopératives à toutes inspections et enquêtes jugées nécessaires, notamment pour leur fonctionnement, la tenue de leur comptabilité et leur situation ;
· Redresser la situation des groupements dont le fonctionnement n’est pas en conformité avec la loi ;
· Étudier et planifier les activités éducatives des groupements précoopératifs ;
· Assurer la formation coopérative des dirigeants et des membres des sociétés coopératives ;
· Organiser et assurer le fonctionnement satisfaisant des entreprises coopératives ;
· Analyser les rapports financiers des sociétés coopératives ;
· Étudier et rechercher les moyens susceptibles de fournir les ressources financières, nationales ou extérieures, nécessaires à l’essor du mouvement coopératif.
Conformément à sa loi organique, le CNC comprend un Conseil d’Administration, une Direction Générale, une Direction Technique, une Direction Administrative et des bureaux régionaux. Toutefois, le Conseil, suivant les besoins de l’institution, peut créer ou modifier tout organe jugé nécessaire à la bonne marche du CNC.
Le fonctionnement des CEC régi par la loi de 2002 et la création de la DIGCP
Au cours des années 1990-2000, les coopératives d’épargne et de crédit (CEC), appelées aussi Caisses populaires, ont assisté à la montée en flèche des institutions de microfinance non mutualistes. Cependant, la crise aux contours frauduleux survenue en 2002-2003 a entraîné des pertes énormes à de nombreux épargnants et a ébranlé la confiance dans le secteur.
Cette situation a également favorisé l’adoption d’une loi spécifique en 2002 au CEC et aux fédérations de CEC établissant un nouveau cadre légal visant à encadrer et sécuriser le fonctionnement de ces institutions. Guidée par la nécessité de renforcer la confiance dans les coopératives, la BRH a accordé une attention particulière à la supervision et à la règlementation de ce sous-secteur. Elle a pour cela mis en place une structure dédiée à la supervision des CEC, la Direction de l’inspection générale des Caisses populaires (DIGCP).
Brève présentation de la DIGCP
À travers la DIGCP, la Banque centrale est chargée de contrôler le respect par les CEC et les fédérations de CEC des dispositions législatives et réglementaires qui leur sont applicables et de sanctionner les manquements constatés. En ce qui a trait au rôle et à la mission de la DIGCP, cet organe de la BRH est chargé de superviser les caisses d’épargne et de crédit (CEC) et les fédérations de caisses d’épargne et de crédit (FCEC) régulièrement constituées aux termes de la loi du 10 juillet 2002 ; Émettre des normes devant être respectées par les caisses populaires ; Veiller au respect de la loi régissant le secteur haïtien des CEC.
Comme structure organisationnelle, la DIGCP comprend deux services : le service Inspection sur pièces et le service Inspection sur place.
Le service d’inspection sur pièces est affecté à l’analyse financière des Caisses populaires, il s’occupera préalablement : d’analyser les demandes d’autorisation de fonctionnement des CEC ; de compiler et d’analyser les rapports financiers et autres informations reçues des CEC ; de suivre l’évolution de la situation financière des CEC ; de détecter les situations de risque qui se développent entre les inspections sur place ; d’effectuer toute autre fonction qui facilite la réalisation d’inspections sur place.
Tandis que le Service d’Inspection sur place s’occupe : de comprendre ou d’actualiser sa connaissance des activités des CEC et des FCEC ; de s’assurer que le plan comptable soumis par la BRH est applicable à toutes les caisses et que ces caisses appliquent des principes de gestion appropriés, leur permettant ainsi de rapporter fidèlement et au temps prescrit le résultat des transactions effectuées; de s’assurer que les CEC ont mis à l’interne des systèmes de contrôle adéquats; de s’assurer du respect de la loi et des règlements des CEC et des FCEC ; de s’informer des violations d’autres dispositions d’ordre légal ou fiscal dans la mesure où celles-ci peuvent entraîner des conséquences défavorables sur la solvabilité des CEC et des FCEC; de rôder les méthodes et les procédures d’inspection.
De la représentativité de la BRH et de la DIGCP dans les régions
Par proximité et d’efficacité dans la supervision du sous-secteur des Caisses populaires, la BRH a instauré un dispositif de suivi territorialisé. Outre son bureau central à Port-au-Prince, elle a mis en place ses deux annexes dans les départements du Nord et du Sud afin d’assurer une présence permanente auprès des caisses d’épargne et de crédit agréées.
Ainsi, l’organigramme de la nouvelle structure de supervision des CEC présente la DIGCP comme la principale entité qui a sous ses ordres le service d’inspection sur pièces et celui d’inspection sur place au niveau des succursales de la représentation de la BRH dans le Sud et le Nord du pays.
Cette organisation décentralisée permet à la fois d’assurer un suivi rapproché et adapté aux réalités locales, et de réagir de manière proactive aux éventuels risques financiers et opérationnels dans le sous-secteur. Elle favorise également une meilleure collaboration entre les autorités de supervision et les coopératives, dans une dynamique de renforcement de la gouvernance et de la gestion des risques du secteur.
Grâce au cadre légal mis en place, au-delà des principes coopératifs, la BRH impose des normes prudentielles aux coopératives d’épargne et de crédit pour assurer la stabilité financière et renforcer la gouvernance dans le sous-secteur des Caisses Populaires. Ces règles encadrent notamment l’ouverture de succursales et la gestion des risques propres au secteur (BRH, 2007).
De la structure globale du mouvement des CEC
Plusieurs acteurs internationaux tels que la Banque mondiale, Affaires mondiales Canada, la BID, l’USAID, l’Agence canadienne pour le Développement, le Bureau international du Travail (BIT) et l’Agence française pour le Développement (AFD), entre autres, ont supporté le renforcement du cadre légal des coopératives dans le pays. Ils ont aussi aidé à la professionnalisation des structures, facilité l’accès au financement et encouragé l’adoption de mécanismes de gouvernance et de gestion plus efficaces en faveur du sous-secteur des CEC.
Longtemps perçues comme peu fiables et marginalisées, les coopératives haïtiennes ont amorcé leur transformation grâce au projet d’Appui aux coopératives d’épargne et de crédit haïtiennes (ACOOPECH) (2005-2013), financé par Affaires mondiales Canada et mis en œuvre par Développement international Desjardins (CA-3-A032462001). Ce programme a contribué à améliorer la gouvernance, à renforcer la gestion des risques, à accroître la transparence, ainsi qu’à valoriser l’image du secteur des coopératives d’épargne et de crédit dans le pays. Le schéma suivant présente les objectifs ambitieux de ce projet réalisé pendant dix ans.
De son côté, présent dans 110 pays, le WOCCU (World Council of Credit Unions), une organisation internationale qui promeut l’inclusion financière grâce au modèle des coopératives de crédit, s’est activement engagé en Haïti après le séisme de 2010. Il a contribué à la reconstruction de plusieurs points de service et a soutenu l’accompagnement humain du personnel de certaines caisses, en leur offrant un appui psychologique approprié. Par la suite, il a également joué un rôle clé comme promoteur du programme de transferts de fonds à travers RIA (une filiale d’Euronet Worldwide), lancé en partenariat avec l’une des fédérations des caisses populaires en Haïti, Le Levier. Il a réalisé l’implémentation du projet Haitian Mobile Money Initiative (HMMI), financé par l’USAID et la Fondation Bill et Melinda Gates, visant à promouvoir l’utilisation des services financiers mobiles en Haïti.
Si, à ses débuts, le secteur des CEC fonctionnait de manière informelle et dispersée, il a connu, au fil des années, un processus de formalisation. Celui-ci a été marqué par l’adoption d’un cadre légal, la mise en place de structures de supervision et l’appui de partenaires techniques et financiers (Banque mondiale, 2019).

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