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Quand l’économiste Enomy Germain décortique le Budget

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Le 16 mai 2022, le gouvernement haïtien a publié dans le journal officiel Le Moniteur, le Budget de l’exercice fiscal 2021-2022. Ce budget est évalué à 210,5 milliards de gourdes qui est un montant supérieur de 9,1 % du Budget rectifié de l’année 2020-2021, évoque l’économiste Enomy Germain qui a dressé dans le numéro du jeudi 9 juin 2022 de son émission Econo Plus, cinq remarques pour le moins pertinentes sur le Budget 2021-2022.

1-         Budget tardivement arrivé

L’exercice fiscal commence le 1er octobre 2021. «On devrait se réveiller le 1er octobre avec un nouveau Budget. Et voilà que c’est 8 mois après le début de l’exercice que ce Budget a été publié », critique l’économiste Enomy Germain rappelant que le Budget est l’outil de planification économique par excellence sur un exercice fiscal. La planification se veut être un outil ex ante, donc qui se fait avant la période. Pourtant, 2/3 de la période est passée, c’est à ce moment que le Budget qui est un outil de planification est publié. «Ce Budget ne saurait aider à aborder les défis économiques et sociaux de l’exercice», croit-il.

2-         Un budget douteusement réalisable

«Nous sommes pessimistes quant à la capacité de l’État de parvenir à mobiliser 210,5 milliards de gourdes pour l’exercice», affirme-t-il. Un budget est financé par les dons, les prêts et les ressources domestiques (la Direction générale des Impôts et la douane). Pourtant, dans le présent Budget, les prêts sont revus à la baisse par rapport au Budget de l’année précédente. Les dons n’y sont pas véritablement augmentés. En termes de mobilisation de ressources, le présent Budget ne compte que sur les recettes domestiques. L’État prévoit de faire augmenter de 26,4 % l’argent à tirer sur la douane et la DGI, révèle M. Germain dans son émission Econo Plus diffusé tous les jeudis sur les réseaux sociaux dont Facebook.

«Vu le contexte sociopolitique et notamment, considérant la situation d’insécurité qui apparemment a atteint son paroxysme, nous doutons que le gouvernement dispose de la capacité à faire augmenter les ressources domestiques de 24,6 %», juge-t-il. «Dans l’ensemble, nous doutons de la capacité de l’État à mobiliser les prévisions de 210,5 milliards de gourdes».

3-         La BRH, béquille de l’État

«La Banque de la République d’Haïti (BRH) constitue une véritable béquille financière pour l’État haïtien», dit-il. Car le montant prévu pour le financement monétaire de la Banque centrale au trésor public, c’est environ 46,4 milliards de gourdes. Soit plus de 22 % du budget. Un montant supérieur à ce que l’État prévoit de mobiliser au niveau de la douane et aussi des dons. Donc, l’État n’a pas la capacité de mobiliser les ressources, il s’appuie alors sur la béquille que lui représente la BRH. Sans oublier, les effets et impacts négatifs que traîne le financement monétaire sur l’économie, notamment à travers l’inflation et la question de change.

4-         La Dette publique, un fardeau

«Ce budget confirme clairement que les finances publiques portent un lourd fardeau. C’est le fardeau de la dette publique. Les intérêts sur les dettes de l’État et les amortissements représentent 15,9 % du budget. C’est le poste le plus important de tout le budget», assure l’économiste Enomy Germain.

Lorsqu’on a une dette publique aussi importante, cela limite la capacité actuelle de l’État de pouvoir financer le fonctionnement de l’économie. «C’est d’autant plus inquiétant quand on se rappelle que les dettes n’ont jamais aidé au renforcement de l’économie», scande-t-il.

5-         Le combat contre l’insécurité alimentaire négligé

Le budget du ministère des Affaires et du Travail (MAST) en hausse de 240 % veut dire que l’État entend mettre sur pied un ensemble de programmes sociaux, mais parler de sécurité alimentaire, c’est parler entre autres, de la disponibilité de produits et d’aliments. Et notamment, de produits locaux. Mais, il se trouve que dans le Budget actuel, le crédit consacré au ministère de l’Agriculture et des Ressources naturelles a baissé de 12,5 %. Autrement dit, il n’aura pas beaucoup plus d’initiatives que l’année derrière pour rendre disponible de l’aliment notamment de l’aliment local. «C’est un élément qui veut clairement dire que l’État n’est pas intéressé à combattre l’insécurité alimentaire en renforçant la capacité locale et notamment la capacité agricole», affirme l’économiste Enomy Germain.

Des recommandations pour l’avenir ?

Par rapport à cette situation, l’économiste Enomy Germain fait au moins deux recommandations. Il plaide en premier lieu pour le respect du cycle budgétaire. Celui-ci est prévu par la loi sur l’élaboration et l’exécution des lois de Finances (LEELF) qui prévoit quand est ce que les travaux du budget doivent commencer, quand le budget doit être publié et quand est ce que le budget doit entrer en application. «Il faut respecter la loi pour ne pas arriver à des budgets tardivement adoptés», encourage-t-il.

Selon lui, quand on analyse le Budget 2021-2022, on a l’impression qu’il ne poursuit aucun objectif. « C’est généralement, le cas en Haïti parce que les budgets sont des budgets de dépense. Un ensemble d’institutions ont des sommes mises à leur disposition pour des dépenses sans des objectifs claire- ment élaborés. « Il faut que le pays passe d’un budget-dépense à un budget-programme », recommande-t-il en second lieu.

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