Développement durable

Autour de la désarticulation totale du secteur du logement en Haïti

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En Haïti, parler du secteur du logement revient à s’intéresser à une problématique qui concerne chaque personne habitant les 27,750 kilomètres carrés. Il doit consister globalement à faciliter tout citoyen et toute citoyenne à pouvoir vivre dans un abri décent, construit selon les normes respectant à la fois les principes standards de construction moderne et durable, ainsi que les exigences relatives à l’aménagement territorial. De ce postulat, il devient facile de se faire une idée très illustrative de la réalité haïtienne en la matière. Les enjeux sont multiples dans un secteur immobilier et nombreux doivent être les acteurs à y prendre part. Les enjeux sont d’ordre économique, existentiel et règlementaire impliquant respectivement les acteurs professionnels (promoteurs, agents immobiliers, firmes de construction, d’architectes, les institutions financières, etc.), les acheteurs, les vendeurs et les institutions publiques.

«Les problèmes auxquels fait face le marché immobilier haïtien presqu’inexistant ne sont pas des moindres», a déclaré l’architecte, urbaniste, spécialiste en politique publique, analyste de filières, Rose-May Guignard à la rédaction du magazine dans le cadre d’un échange convivial et très fructueux.

«Évoluant dans un système totalement désorganisé, le propriétaire d’immeuble se voit donner toutes les facilités depuis le choix des matériaux de construction, en passant par le type d’immeuble à construire jusqu’au choix du terrain en dehors de toute super- vision et de normes», poursuit l’urbaniste.

Comment expliquer la complexité du secteur en Haïti?

Etablir les éléments qui expliquent toute la complexité de ce secteur en Haïti exige en amont de comprendre son fonctionnement et sa constitution. Le marché immobilier est composé de propriétaires d’immeubles, de vendeurs, d’acheteurs potentiels, de locataires, d’institutions financières, ainsi que de professionnels intermédiaires pour faciliter les échanges des biens immobiliers suivant des normes et des lois régissant la matière. Les différents inter- venants jouent leur rôle spécifique avec un dénominateur commun qu’est la disponibilité de l’offre par rapport à demande dans le respect des droits des parties prenantes.

En Haïti, les propriétaires d’immeubles font ce qu’ils veulent, se soucient très peu des normes de construction et violent souvent les droits des locataires. Dans la majorité des pays de la Caraïbe, il existe un système de contrôle, les différents acteurs sont totalement impliqués et les promoteurs jouent leur rôle. Les normes sont bafouées dans tout le secteur. Certaines entreprises de matériaux de construction se lancent dans la commercialisation de matériaux de piètres qualités, notamment le fer qui ne respecte guère les dimensions correctes, martèle Madame Rose-May Guignard.

Au lendemain du séisme meurtrier du 12 janvier 2010, le gouvernement d’alors a créé l’Unité de Construction, de Logements et de Bâtiments Publics (UCLPB) avec pour mission de dynamiser le secteur immobilier en Haïti. 12 ans plus tard, aucune action concrète dans le secteur du logement en Haïti, si ce n’est un document d’orientation qui ne parle que du rôle de l’Etat sans préciser les interventions indispensables, les actions à entreprendre dans le cadre d’une politique publique pour promouvoir les constructions durables et corriger les dérives, déplore l’architecte.

Une loi promulguée en 1923, abrogée en 1982 régissant le secteur de l’immobilier en Haïti établissant les normes de construction, délimitant les espaces obligatoires pour les trottoirs, et par faute de dispositifs, n’a connu aucune application stricte ces dernières années, et renforce du coup la désorganisation du secteur. «Ces constats alarmants ne contribuent aucunement à des améliorations sur le marché de l’immobilier en Haïti», se désole la spécialiste en filières.

L’absentéisme des acteurs concernés

Faire fonctionner le secteur de l’immobilier en Haïti revient aux acteurs concernés de se sentir responsables en assumant pleinement leurs responsabilités. Les pouvoirs municipaux, en raison de leur proximité avec la population, sont les garants du respect des normes de construction, doivent tenir compte du plan d’aménagement territorial émanant du pouvoir central. Le rôle du pouvoir exécutif local dans ce domaine ne doit pas se résumer à une approche de lotissement, en présence de notaires, d’arpenteurs qui ne voient parfois que leurs propres intérêts financiers immédiats, Se plaint Rose-May Guignard. Ces comportements anormaux sont parfois à la base de certains conflits terriens.

Les institutions financières, les assurances sont des actrices d’une grande importance sur le marché immobilier. Il faut au marché immobilier une politique d’investissement sur une période d’au moins 15 ans, avec un fonds de garantie public pour susciter la demande. C’est un droit citoyen le fait de vivre dans une maison standard construite selon les normes, insiste la spécialiste en politique publique. Un vaste programmé de financement dans l’immobilier qui devrait normalement impliquer les autorités publiques et le secteur financier n’existe pas en Haïti. Un programme concerté s’avère indispensable pour l’avenir du secteur de l’immobilier avec la participation technique du Ministère des Travaux publics, Transport et Communication (MTPTC), de l’Unité de Construction, de Logements et de Bâtiments Publics (UCLPB), et de l’EPPLS comme bras social de l’Etat dans le secteur. La dynamique doit se construire dans la relance de l’économie du pour la dynamisation de l’économie pour créer le pouvoir d’achat des ménages, qui n’existe presque plus, pour qu’ils puissent faire face aux taux d’intérêt qui pourraient impacter le marché immobilier et mettre de côté un grand nombre d’acheteurs par manque d’apport personnel, tout en rendant possible l’intégration des promoteurs sur le marché.

Les interventions des bailleurs de fonds même au lendemain de séisme meurtrier du 12 Janvier 2010 consistaient uniquement à fournir de l’aide aux propriétaires sans tenir compte des locataires. Une approche erronée de la réalité qui n’a pas donné de résultats satisfaisants en raison d’une insuffisance d’informations sur le secteur du logement en Haïti, une véritable désorganisation qui ne pouvait en aucun cas donner de résultats probants, regrette madame Guignard.

La spécialiste conclut en insistant sur le fait que selon elle, le secteur du logement en Haïti nécessite:

•          Une importante enveloppe d’investissement public avec un fond de garantie sur au moins 15 ans, pour encourager la construction normalisée.

•          Une politique publique capable de faire émerger des opérateurs, des firmes de construction et d’architectes sur le marché de l’immobilier dans le pays.

•          Une entité publique qui se préoccupe de la qualité des matériaux de construction et des bâtis.

•          Des mécanismes de régularisation du secteur de manière équitable.

Il est urgent à ce que quelque chose soit faite pour respecter les droits des Haïtiens de vivre dans des maisons qui respectent les normes et la dignité humaine. Il revient aux acteurs de prendre la ferme décision de s’y impliquer pour contrecarrer cette catastrophe assez évidente dans le pays.

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