Économie

La rentrée des classes à l’impasse de l’inflation galopante

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L’inflation en Haïti ne cesse de grimper. Si les causes sont multiples, les secteurs qui sont touchés par la hausse des prix le sont encore plus, c’est le cas du secteur éducatif qui subit l’impact de l’accroisse- ment du coût de la vie.

Le soleil pèse si fort sur les rues de Port-au-Prince – la capitale d’Haïti – que le bitume renvoie illico la chaleur reçue de l’astre du jour. Ce vendredi 16 septembre 2022, mi-journée, il est quasiment impossible de parcourir 500 mètres sans traverser une barricade, il y en a dont tu dois payer pour les franchir, surtout si vous êtes à bord d’une motocyclette.

On est en plein «peyi lòk». Moins d’une dizaine de marchands de fournitures scolaires s’installent sous une galerie d’un gros bâtiment sis au Boulevard Jean Jacques Dessalines, plus connu sous l’appellation de «Grand Rue», qui logeait jadis une grande maison d’édition qui publie une bonne partie des ouvrages d’enseignement des classes fondamentales en Haïti. C’est là que nous avons rencontré Jimmy Bazile qui vend des livres scolaires depuis tantôt quatre ans, les uns photocopiés, les autres des originaux. Selon Jimmy, qui essaie de comparer les années passées dans le business à celle-ci, le commerce de fournitures classiques a connu des jours meilleurs dans le temps. «Je suis rentré [dans ce commerce] en 2018. Entre 2018 et maintenant, ce n’est pas la même chose. À quelques semaines de l’ouverture des classes, il n’y a pas vraiment d’activité, alors qu’il y aurait beaucoup d’acheteurs ici les années avant », déplore le jeune homme dans la vingtaine. Toutefois, il n’a pas nié l’effet du «peyi lòk» – [barricader les principaux axes et les voies routières pour protester contre la montée du prix de l’essence et réclamer le départ du Premier ministre Ariel Henry] – sur ses activités économiques. Cependant, avance-t-il, « les années avant étaient mieux». Jimmy nous indique des livres dont leurs prix ont augmenté de 50% ou plus en seule- ment quatre (4) années. «Le coût exorbitant des matériels scolaires est la raison principale qui me pousse à vendre de plus en plus de livres photocopiés», justifie Jimmy soulignant que les parents recherchent de plus en plus des ouvrages «bon marché».

Des écoliers haïtiens au temps où l’année scolaire n’était pas “lock”

Marie-Lourdes Bazile vend des cahiers, des plumes et des stylos-feutres sur un tréteau qui se trouve à côté de celui de Jimmy, son neveu qui a intégré le négoce grâce à elle et son frère, le père de Jimmy. Cette dame au teint foncé a passé trois (3) ans à vendre ces produits après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, elle a repris le commerce en 2019. Dans une tentative d’évaluation des prix, Marie-Lourdes nous confie que le cahier le moins cher est passé de 350 gourdes en 2019 à 450 et 500 gourdes cette année, soit une augmentation de 28,57%. «La semaine dernière n’était pas bien, mais elle n’était pas mal non plus. Je n’ai rien vendu depuis ce matin», se plaint la dame, l’air abattu. Marie-Lourdes est mère de plusieurs enfants dont deux (2) d’entre eux sont encore à l’école, [école privée]. «Je ne vois pas encore la rentrée pour mes enfants», se lamente-t-elle d’une voix à peine inaudible.

Si ces deux-là se plaignent du ralentissement de leurs activités, Fravien, un marchand de livres reproduits et originaux critiquent la décision des dirigeants d’augmenter les prix du carburant qui, d’après lui, font augmenter le coût de la vie. «Une seule chose que je voudrais dire à ces messieurs [les dirigeants haïtiens], le peuple ne leur a rien fait pour qu’ils le maltraitent ainsi», crie-t-il. «L’année dernière, si tu paies un livre à 500 gourdes, cette année tu le paies à 1000 gourdes», explose celui qui vit, selon ses dires, sans rien attendre de l’État. La hausse des prix n’est pas son seul problème. «Mon plus grand problème est le désordre qui règne dans le secteur du transport public.» «Quand le prix du carburant augmente, les chauffeurs élèvent le coût de la course et ne respectent pas l’itinéraire officiel. L’État doit fixer les prix et désigner les stations», recommande-t-il. Fravien qui est également père de plusieurs enfants n’entrevoit pas encore la rentrée des classes. «Pour nous, il n’y a pas de rentrée des classes», se désole Fravien.

Alors que le pays traverse une crise socio-économique et politique sans précédent, le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle a reporté la rentrée des classes de l’année académique 2022/2023 qui était prévue pour le 05 septembre au 04 octobre. Si la circulaire, datée de 2… août 2022, qui annonce cette décision n’a pas mentionné les raisons du report, il faut noter que cette nouvelle date a été désignée après plusieurs manifestations organisées contre la cherté de la vie dans diverses régions du pays durant le mois d’août.

L’augmentation du coût de la vie se fait sentir à l’Institut haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI) n’est pas d’avis contraire. Selon le bulletin, l’inflation «a accusé une forte variation mensuelle de 3.2 % et une hausse annualisée de 30.5 %» au cours du mois de juillet 2022 ; l’enseignement a crû de 7,9% sur un an. Selon l’économiste Thomas Lalime, une bonne analyse économique doit tenir compte de l’augmentation du prix du carburant, car «la hausse du prix de l’essence augmente le coût du transport». En effet, d’après l’IHSI, le transport accuse une hausse de 1,9% sur un mois et 34,3% sur un an. Tenant compte de l’élévation des prix des produits alimentaires et boissons non alcoolisés, le docteur en économie juge que l’alimentation est un facteur non négligeable pour évaluer l’impact de l’inflation sur le secteur éducatif. À noter que les produits alimentaires et boissons non alcoolisées ont crû de 3.9 % et 32.7 % sur un mois et une année respectivement. L’année 2021, pour le mois de juillet, l’inflation annuelle était de 12,3%, il connaît une baisse qui la ramène à 10,9% au mois d’août après la mort de Jovenel Moïse pour remonter à 13,1% durant le mois de septembre. Pour amortir l’impact de l’inflation sur le secteur éducatif, le professeur Lalime propose comme solution un nombre suffisant d’écoles publiques – de qualité et en quantité – et des autobus qui transportent les écoliers et écolières.

Woo-Jerry Mathurin

DevHaiti

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