Économie

Thomas Lalime : « Avec la dépression économique, la pauvreté s’amplifie… »

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À la lumière de cinq années de contraction économique, la lecture de l’économiste Thomas Lalime sur la conjoncture est cinglante. Plus les crises se succèdent, se greffent et s’empirent, plus les conditions socioéconomiques se détériorent, plus les entreprises tombent en faillite, moins le Trésor perçoit d’impôts et plus les ménages s’enlisent dans la pauvreté la plus abjecte. Plus le temps passe sans qu’aucune solution ne soit trouvée à ces crises multiples, plus la relance économique sera difficile.

Dr Thomas Lalime, qui avait annoncé avec un luxe de détails en novembre 2021 qu’Haïti tutoie la dépression économique, fournit aujourd’hui quelques outils. «Pour comprendre l’ampleur que peut avoir la dépression économique d’aujourd’hui, il faut se rappeler qu’il avait fallu 16 ans à l’économie haïtienne pour dépasser la valeur du produit intérieur brut (PIB) réel de 1991, celui d’avant le coup d’État militaire du 30 septembre 1991. Le taux de croissance des trois années qui l’ont suivi étaient respectivement : -5,3 ; -5,4 et -11,9 %.»

Pour l’année fiscale 1991/1992, le PIB réel était de 13 390 millions de gourdes alors qu’en 2006/2007, il était de 13 529 millions de gourdes. Cependant, si l’on tient compte du taux de change gourdes/dollar américain, le PIB réel en 2006/2007 (356 millions de dollars) demeure très inférieur à celui de 91/92 (1625 millions de dollars); puisque ce taux de change est passé de 8,24 en 1991 à un taux moyen de 38 gourdes pour un dollar américain au cours de l’année fiscale 2006/2007. On peut dire que l’économie haïtienne a pris plus de 16 ans pour se refaire une santé à la suite des méfaits du coup d’État, et de l’embargo qui s’en était suivi. Il va donc prendre des années à l’économie haïtienne pour qu’elle retrouve son niveau d’avant 2018.

Au moment de fournir des explication sur la dépression qu’il avait annoncée, fin 2021, Dr Lalime n’y est pas allé par quatre chemins. J’avais rappelé, dit-il, la différence qui existe entre une récession (ou contraction économique) et une dépression économique. En France par exemple, l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), qui publie le PIB chaque trimestre, considère qu’un pays entre en récession quand son produit intérieur brut (PIB) décroit pendant au moins deux trimestres consécutifs. Aux États-Unis d’Amérique, la récession est définie comme «une baisse significative répandue dans l’ensemble de l’économie qui dure plus que quelques mois et qui affecte à la fois le PIB, les revenus, la production industrielle, l’emploi et le commerce de gros et de détail». Ces statistiques américaines sont publiées mensuellement ou trimestriellement, contrairement à Haïti qui publie certaines d’entre elles chaque année.

Selon Lalime, pour une période de plus de quatre ans consécutifs de récession, on parle plutôt de dépression de l’économie haïtienne. Il ne s’agit plus d’une récession économique où l’activité économique est réduite momentanément avant de reprendre son niveau d’avant le ralentissement. La dépression représente de son côté une diminution considérable et durable de l’activité économique.

Par exemple, durant la Grande Dépression, la chute sévère de l’activité économique américaine avait duré de 1929 à 1933. Aujourd’hui, on peut donc parler de la grande dépression de l’économie haïtienne.

En ce qui concerne la politique monétaire des autorités, en particulier les injections de dollars sur le marché des changes, l’économiste Thomas Lalime estime que la Banque de la République d’Haïti (BRH) se retrouve dans une situation très compliquée. «Au contraire des autres banques centrales, elle se trouve quasiment privée de l’efficacité d’un instrument crucial de politique monétaire qui est le taux directeur», a-t-il expliqué ajoutant que les crises qui se succèdent, se greffent et s’empirent rendent les variables macroéconomiques presqu’insensibles au taux directeur de la BRH.

En outre, détaille-t-il, les taux directeurs représentent l’un des plus puissants outils de politique monétaire des autres banques centrales du monde. Dans un tel contexte, les injections sont perçues par le grand public comme le principal instrument de politique de la BRH. Celle-ci n’a pas non plus suffisamment de devises pour combler toute la demande et les lacunes du marché. Aujourd’hui, il y a très peu de devises qui rentrent au pays. Cette situation dépasse les compétences de la BRH, en dépit de tous les efforts qu’elle consent actuellement.

«En général, je ne fais pas de projections. Je laisse cette prérogative aux institutions compétentes: IHSI, BRH, MEF… Tout ce que je peux vous dire, c’est que la conjoncture socioéconomique est très préoccupante» s’est inquiété Dr Thomas Lalime. De plus, sur le plan international, on s’attend à une récession économique mondiale. Dans un récent rapport intitulé «Payer le prix de la guerre: Perspectives économiques de l’OCDE, Rapport intermédiaire, septembre 2022», l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a révisé à la baisse ses prévisions de croissance économique pour 2022 et 2023.

En définitive, voici les quatre principales conclusions du rapport: 1) Le ralentissement de l’économie mondiale est plus fort que prévu; 2) l’inflation s’est généralisée; 3) l’inflation va fléchir mais rester élevée; 4) une réduction de la demande et une diversification des approvisionnements sont indispensables pour éviter les pénuries d’énergie.

Au regard de la conjoncture locale et du contexte international, Thomas Lalime conclut qu’Haïti subira les conséquences des crises internes et externes. L’année 2023 s’annonce donc très difficile. Elle sera encore plus difficile si les crises nationales et inter- nationales perdurent.

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