Dans les méandres du secteur de fabrication pharmaceutique en Haïti
Les Nations unies, le 10 décembre 1948, définissaient les droits fondamentaux de l’homme, parmi lesquels les droits aux soins de santé. L’un des maillons essentiels de la chaine de santé est le médicament. En effet, la nécessité d’une performance économique et d’un bon fonctionnement des systèmes de santé pour le bien-être individuel devrait passer par la capacité de produire des médicaments de qualité. Tour d’horizon avec Ralph Edmond, P.D.G de la première compagnie du secteur pharmaceutique en termes de paiements de taxes à l’état haïtien, Les Laboratoires Farmatrix, sur ce secteur vital mais peu encadré et sous-financé par les autorités publiques compétentes de ce pays.
DevHaiti (DH): Présentez-vous et votre entreprise, Les Laboratoires Farmatrix, pour le lectorat DevHaiti.
Ralph Edmond (RE): La compagnie créée en 1989 dessert jusqu’à aujourd’hui exclusivement le marché domestique. Nos produits se retrouvent dans tous les points de distribution à l’intérieur du pays et certains comme le DOLEX chez les Haïtiens vivant à l’étranger.
En 1989 avec un investissement équivalent de USD 2,000.00, deux jeunes de 26 et 27 ans ont lancé sur le marché deux produits à usage externe: DOLEX et OGYNOL. Les membres fondateurs de la compagnie sont, Ralph Edmond et Alain Vincent, ont tous deux étudié la pharmacie à la Faculté de Médicine et de Pharmacie en Haïti. Ils ont reçu leur diplôme de pharmacien en août 1984. Ils ont ensuite poursuivi leurs études à New York ou M. Vincent a obtenu une licence de Pharmacien de l’école de Pharmacie Arnold et Marie Schwartz de la long Island University. M. Edmond a fait des études de gestion recevant une licence en gestion avec mention Magna Cum Laude de Baruch College avec spécialisation en Marketing Management et Finances. M. Vincent a laissé le pays en 2006 et a vendu ses actions. M. Edmond détient aussi une maitrise en gestion (MBA) obtenu de l’Université de Miami en 2018.
Un an après, ils ont ajouté à la ligne des produits la gamme de produits antiseptiques locales à base de Polyvidone Iodée : FARMADINE. Le local de production se trouvait à Carrefour et occupait un total de 1,000 pieds carrés. Le total des employés était de trois.
En 1992 voulant offrir à la clientèle des produits à usage interne, ils ont pu avec un prêt de la SOFI- HDES emménagé un nouveau local de 2,500 pieds carrés à la ruelle Jérémie. Les premiers produits à usage interne ont pu arriver sur le marché tels: GLOBUGEN; VITAMAX; GASTROGEL; VITARGON.
En 1994 voulant répondre à la demande croissante de leurs produits un nouvel investissement a été consenti et Farmatrix a emménagé dans un nouveau local de production de 18,000 pieds carrés à Delmas.
Aujourd’hui la compagnie, malgré les difficultés que nous traversons, a consenti à des investissements importants et se prépare à mettre en fonction une nouvelle usine moderne au mois de juin 2023. Son portefeuille offre au marché plus de 55 produits fabriqués suivant les prescrits des Bonnes Pratiques de Fabrication Internationales (BPF) de l’OMS. Les Laboratoires Farmatrix comptent 157 employés et sont la première compagnie du secteur pharmaceutique en termes de paiements de taxes à l’état haïtien avec des versements de 66 millions de gourdes en 2020-21
DH: Quels sont les différents produits fabriqués par Les Laboratoires Farmatrix?
RE: Nous fabriquons des produits en liquide, sirop et suspension et des pommades. Nos produits sont le plus souvent les leaders de leur segment respectif : Gastrogel; Dolex; Globugen; Farmadine etc.
DH: Pouvez-vous dresser un état des lieux sur la vente et la fabrication des médicaments en Haïti?
RE : La vente se fait au travers de dépôts et de pharmacies autorisés par la Direction de Pharmacie et du Médicament (DPM) de la santé publique. Cependant, la plupart des acteurs sont illégaux et ne détiennent aucune autorisation légale. Les pharmacies même autorisées n’ont pas un pharmacien à plein temps qui y travaille, comme l’exige la loi de 1952.
Au niveau de la fabrication nous comptons 3 laboratoires locaux: 4C, Pharval et Farmatrix. Par comparai- son, en république voisine, 33 laboratoires sont regroupés au sein de l’association INFADOMI (www.infadomi.org). De plus, les Dominicains jouissent d’une filière de production active totalisant autour de 560 acteurs avec les distributeurs d’intrants, les fournisseurs de service de qualité etc. En Haïti, nous fabriquons la forme solide (comprimés) et liquides (sirops, suspensions) mais pas les formes injectables et stériles comme en République dominicaine (sérums etc.). La filière dominicaine permet de garder au pays les experts du métier, ce qui favorise l’expansion dans ce domaine alors qu’en Haïti, nous avons très peu d’experts qualité par exemple.
DH: Existe-t-il des lois dans la législation haïtienne sur la manière dont les médicaments doivent-être produits et vendus en Haïti ?
RE: La législation en vigueur date de 1952 et ne prend pas en compte les avancées de la production pharmaceutique. Plusieurs textes, sur la santé en général et la fabrication des médicaments, sont en attente d’être soumis au parlement pour être votés.
DH: Quel point de vue avez-vous des Comptes nationaux de la santé en Haïti? Ont-ils répondu aux objectifs fixés par l’OMS?
RE: Nous avons l’un des budgets de santé publique le plus bas de la région avec 10.6 milliards de gourdes pour 12 millions d’habitants soit 883.00 gourdes per capita (USD 6.00). Nous sommes donc loin du compte des objectifs fixés par l’OMS. La santé mentale ne figure pas parmi les maladies dites de santé publique, malgré les ravages dues au tremblement de terre et à la violence. Le plus important est de noter l’absence d’assurance santé et plus de 96% des frais de santé individuels, au sein du secteur privé, sont payés « out of pocket » par les patients ce qui explique la carence des soins en Haïti.
DH: Que pensez-vous de la vente de médicaments ambulants (expirés ou non) qui se fait partout dans le pays? Quelles en sont les causes et les conséquences?
RE: La distribution des médicaments requiert la présence de professionnels du métier et des conditions sanitaires de température et d’humidité conformes. La vente dans les rues violent tous ces aspects et ne garantit en rien la protection du patient. Les risques sont énormes et nous pouvons citer : les médicaments expirés et mal conservés, les conseils santé non appropriés, la résistance aux antibiotiques, entre autres.
DH: Que pensez-vous de l’automédication? quelles sont les causes et les conséquences ?
RE: L’automédication si elle se fait avec l’aide d’un pharmacien et pour les produits appropriés (antiacide, grippe, douleur musculaire etc.) ne représente aucun problème. Cependant, dans les instances de cardiologie, de diabète, l’automédication peut se révéler extrêmement dangereux car les patients ne réagissent pas de la même façon aux différentes classes de médicaments.
DH: Pourquoi en Haïti le secteur de la santé n’est-il pas perçu comme un secteur d’affaires?
RE: Le secteur du médicament a des barrières d’entrée importantes avec le respect des normes telle la présence des pharmaciens, les conditions sanitaires, le contrôle de prix et autres. C’est un secteur d’affaires mais qui demande des investissements sur un horizon de moyen et long terme. De plus pour la santé, l’absence d’assurance santé universelle et la précarité des patients qui paient «out of pocket» rendent la rentabilité des investissements difficile.
DevHaiti

