Gouvernance

Comptes nationaux de santé, les éclaircissements du Dr Jean Patrick Alfred

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 Suite à la publication récemment par le ministère de la Santé publique et de la population (MSPP) des Comptes nationaux de santé, le Dr Jean Patrick Alfred, directeur de l’Unité d’Études et de Programmation (UEP) au MSPP, apporte volontiers quelques éclaircissements sur la portée d’un tel document, les principaux enseignements à tirer ainsi que sur la méthodologie utilisée pour l’élaboration de ce rapport-phare. Nous publions ici, in extenso, la première partie de cette entrevue riche en informations.

DevHaiti (DH): Quelles sont les recommandations à retenir pour un meilleur fonctionnement du secteur de la santé en Haïti ?

Dr Jean Patrick Alfred (JPA): Le système de santé a un rôle vital à jouer en vue de progresser sur la voie de la couverture sanitaire universelle. Il leur faut renforcer le financement et la gouvernance du système de santé ainsi que l’organisation des personnels de santé, la prestation des services, les systèmes d’information sanitaire, les médicaments et la fourniture d’autres produits sanitaires.

La couverture sanitaire universelle, but poursuivi dans tout système de santé, passe, dans les pays à faible revenu, par l’augmentation des dépenses publiques de santé. Cette augmentation conduit à la réduction des dépenses des ménages et permet de combattre les inégalités d’accès aux soins et services de santé générées par les barrières financières. De plus, dans ces pays, la tendance est d’investir environ 50% des dépenses publiques de santé dans les soins de santé primaires. Ces tendances qui sont globalement observées à l’échelle mondiale ne sont pas révélées dans l’analyse des dépenses de santé des quatre années de ce rapport des CNS. Il est donc indispensable de revisiter le financement de la santé et l’utilisation des fonds qui y sont consacrés en Haïti.

Pour arriver à la réduction significative de la pauvreté, des inégalités de revenus et la promotion d’une croissance soutenue et équitable, les grandes orientations du secteur pour les prochaines années sont traduites à travers dans le Plan Directeur de Santé (PDS) 2021-2031 qui repose sur des choix et priorités explicites, qui traversent l’ensemble des interventions envisagées.

CHOIX STRATÉGIQUES

Sur le plan de la stratégie, le PDS affirme quatre choix

1)         L’option pour les soins de santé primaires, c’est-à-dire une approche globale de la santé, une offre de soins et services complets basée sur les normes du Paquet Essentiel de Services (PES), axée sur la proximité avec les communautés et qui articule la promotion, la prévention et le traitement;

2)         L’option pour une approche systémique, d’où un recentrage des interventions sur les piliers du fonctionnement des systèmes de santé, considérés seuls et aussi dans leurs interactions ;

3)         L’importance accordée aux stratégies transversales : Intersectorialité, Participation, Dialogue politique, dans leurs interrelations avec les piliers du système ;

4)         L’emphase sur le développement du niveau primaire du système de soins, avec le support du réseau hospitalier, dans une logique de complémentarité et d’intégration.

LES PRIORITÉS

Le PDS poursuit neuf priorités principales:

1)         La réorganisation et le renforcement de capacités du MSPP, à tous les niveaux et dans divers domaines

2)         La coordination et l’alignement des grands bailleurs et partenaires techniques

3)         La déconcentration de la gestion du système de soins

4)         Le renforcement de l’offre de soins et services essentiels, en santé maternelle et infantile, nutrition, prise en charge des maladies transmissibles, prise en charge des maladies chroniques et non-transmissibles et prise en charge des urgences médico-chirurgicales

5)         L’intégration des circuits d’approvisionnements en médicaments et produits de santé

6)         La gestion stratégique des RHS

7)         La mobilisation/allocation de personnel-clé, particulièrement au niveau primaire : Médecin de famille, Sage-femme, Agent de Santé Communautaire Polyvalent

8) La consolidation et utilisation de l’information stratégique

9) Le financement solidaire des soins et services de santé

Et la mise en œuvre des ENGAGEMENTS SUIVANTS:

1) Rétablir la santé au niveau des priorités nationales. Bien que des dépenses  totales de santé de 5 à 7% du PIB soient des niveaux que l’on retrouve dans beaucoup de pays à revenu faible et intermédiaire, Haïti se retrouve avant dernier dans le monde pour la part des dépenses publiques de santé dans le total des dépenses publiques. A date, la santé n’est pas une priorité dans le budget national de l’État haïtien malgré l’objectif de 15% de dépenses publiques en santé fixée en 2012.

2) Renforcer le cadre légal régissant le secteur de la santé

–           Projet de loi définissant l’Organisation et le Fonctionnement du ministère de la Santé Publique et de la Population.

–           Projet de loi réglementant la production, la distribution, les conditions d’importation et d’exportation, le stockage et la consommation des médicaments.

–           Projet de loi régissant l’exercice des professions de la santé

–           Projet de loi sur le fonds national pour la santé

–           Projet de loi portant sur la réforme de la gestion hospitalière

–           Projet de loi définissant le cadre légal de la surveillance épidémiologique

–           Projet de loi sur le fonctionnement des établissements et cliniques du secteur privé-lucratif de soins de santé

–           Projet de Code d’Hygiène Publique révisé.

–           Projet de loi règlementant le fonctionnement des assurances de santé

Etc…

3)         Maintenir et «potentialiser» l’engagement important des partenaires. Dans ces conditions, la population a besoin d’un financement externe important. L’extraordinaire générosité des partenaires en santé pourraient gagner en efficacité à moyen et long terme i) en basant le niveau d’engagement sur les besoins prioritaires (définis par le gouvernement) ; ii) en rendant les engagements plus prévisibles et plus durables pour faciliter l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie de financement de la santé et iii) en privilégiant le partenariat avec l’État afin de favoriser son engagement, son renforcement et sa responsabilisation dans le secteur santé;

4)         Urgence à développer une stratégie limitant le paiement au point des prestations de services de santé. Il est démontré que 20 à 30% de dépenses directes des ménages en santé dans les dépenses totales de santé signifient l’inaccessibilité des services de santé pour une partie importante de la population. Pour offrir à tous le droit à la santé sans risque de s’appauvrir, il est important de rendre obligatoire les contributions des personnes qui peuvent payer, par l’imposition et/ou les cotisations d’assurance et de trouver les moyens que l’État puisse payer les institutions prestataires de services pour les plus démunis. Cela nécessite l’introduction ou le renforcement du prépaiement et de mise en commun des ressources car rien ne sert d’avoir un bon système de protection contre les risques financiers si les services de santé sont inexistants et/ou de mauvaise qualité. Il est l’important que les institutions de santé reçoivent l’argent nécessaire à la couverture des coûts opérationnels qu’imposent des services de qualité profitables à tous.

5)         Organiser l’objectif de Couverture Sanitaire Universelle (CSU) à partir d’un panier de soins «adapté». L’OMS a estimé les coûts de prestations des services de santé essentielle à un peu plus 86 dollars par personne en 2015. L’analyse montre qu’il s’agit d’une référence possible pour Haïti avec l’aide de ses partenaires. L’objectif de CSU de la politique nationale de santé pourrait être rendu opérationnel en définissant et en rendant accessible pour tous un panier de soins de qualité centré sur les besoins prioritaires et en y concentrant, dans la durée, ces moyens potentiellement disponibles. Une telle approche, que l’on pourrait qualifier de «pacte CSU», est possible mais complexe. Elle implique aussi des réformes importantes sur plusieurs des composantes du système de santé (ressources humaines, intrants, prestations de services, etc.), la concentration de l’essentiel des ressources sur cet objectif exige du leadership, du courage et de la constance de la part des autorités tant les pressions de différents secteurs (professionnels, privés, externes, etc.) seraient fortes pour les faire dévier sur un autre chemin ;

6)         Rendre disponible les services de santé de qualité dans tout le pays particulièrement dans les 125 sections communales dépourvues d’infrastructures de santé, l’Augmentation et extension d’hôpitaux de référence dans les dix départements sanitaires particulièrement ceux non encore dotés de tels services et améliorer la Prestation des services et de soins de santé dans les institutions existantes ; et surtout continuer avec la mise en œuvre et l’extension du Centre Ambulancier National (CAN) et des programmes de lutte contre les violences et les accidents incluant les centres ambulanciers régionaux et ainsi arriver à garantir la prise en charge des URGENCES à tous les niveaux du système de santé.

7)         Ressources Humaines pour la mise en fonctionnement des nouvelles institutions de santé et renforcement des institutions existantes: employés toutes catégories confondues, médecins spécialistes, pharmaciens, dentistes etc., et la mise en œuvre des nouvelles mesures de rétention du personnel et la consécration d’un statut particulier pour les prestataires de services de santé avec des salaires correspondant aux diplômes de ce personnel.

8)         Renforcement et unification du système d’information pour la santé pour rationaliser et rendre plus efficace le processus de production de données et de disposer à temps d’une information sanitaire stratégique fiable sur les problèmes de santé (en termes de morbidité, mortalité), sur les facteurs associés, sur l’utilisation des services de santé par la population et sur l’impact de la politique sanitaire à partir des stratégies et interventions mises en œuvre.

9)         Poursuivre les efforts pour une meilleure gestion de la gouvernance du secteur santé tant au niveau programmatique que budgétaire avec une attention particulière sur les programmes d’investissement public financés par le trésor public; en utilisant le Financement Basé sur les résultats (FBR) qui est un outil au service de la Couverture de Santé universelle puisqu’il permet des services de meilleures qualités ce que souhaitent la population et qui nous amènera à la croissance économique. Le FBR bien mis en œuvre garantit la reddition de comptes

10)       Renforcer la modernisation structurelle et fonctionnelle des principales infrastructures de santé existantes ainsi que l’extension du réseau hospitalier avec pour objectif une couverture optimale du pays par des institutions de santé de qualité.

11)       Continuer à améliorer les services de santé pour assurer le développement du capital humain prenant comme cadre de référence les indicateurs du PSDH incluant le Millenium Challenge Corporation (MCC), les indicateurs de l’OPS/OMS et les ODD ;

12)       Prendre des dispositifs pour mettre en œuvre la politique nationale de Pharmacie et des médicaments et permettre la disponibilité et la distribution optimale des médicaments essentiels à travers le pays et engager une lutte contre les médicaments contrefaits en se basant sur la mise en place du SNADI (système national d’approvisionnement et de distribution des intrants).

13)       Reformer la gestion hospitalière en conférant aux institutions de santé un statut particulier ce qui permettra de considérer les prestations hospitalières comme des services en termes économiques. La réforme vise à assurer aux hôpitaux une autonomie de gestion avec un statut d’Etablissement Public de Santé. Ceci permettra une gestion plus souple des hôpitaux qui devront assurer l’équilibre de leurs comptes et une qualité des soins pour répondre à leurs obligations de performance.

14)       Diminuer l’exposition de la population aux risques qui ont un lien avec la santé, le commerce et l’industrie en éliminant l’importation d’aliments et de produits malsains, en améliorant la gestion des ordures ménagères, en renforçant les programmes de sensibilisation liés au tabagisme, à l’alcool et à la sécurité routière. De nombreux facteurs de risque intermédiaire pour les maladies chroniques non transmissibles (MNT) représentent un fardeau de plus en plus lourd pour le pays ; ces facteurs sont directement liés à l’alcool, au tabac et à une mauvaise alimentation.

15)       Le renforcement du système de surveillance épidémiologique (veille et alerte précoce fiable) et arriver à un contrôle des épidémies, l’éradication de certaines maladies.

La continuité des actions entreprises dans le cadre de la Vision du secteur et de la Politique Nationale de Santé ainsi que la mise en œuvre de ces ENGAGEMENTS identifiés comme prioritaires seront des facteurs déterminants pour l’atteinte des objectifs fixés pour Haïti, pays émergeant en 2030 et, l’amélioration de l’accès et de la qualité des services de santé qui contribueront à une population en meilleure santé et plus productive.

DevHaiti