Banj : le laboratoire d’innovation qui réinvente l’entrepreneuriat en Haïti
Dans un pays marqué par les crises successives et les fragilités structurelles, l’innovation et l’entrepreneuriat apparaissent comme des leviers essentiels pour redonner espoir à la jeunesse. Depuis 2018, Banj s’est imposé comme l’un des acteurs clés de cette dynamique. En même temps espace de coworking, incubateur et catalyseur d’écosystème, cette initiative a contribué à transformer l’imaginaire entrepreneurial en Haïti, tout en attirant l’attention de la diaspora et des partenaires internationaux.
Un contexte difficile, mais une jeunesse en quête d’avenir
Haïti reste le pays le plus pauvre de la Caraïbe, avec un PIB par habitant de 1 694 dollars en 2023 et une économie marquée par cinq années consécutives de récession. Le chômage des jeunes dépasse 37 % et l’analphabétisme touche encore 40 % de la population adulte. Dans ce contexte, l’entrepreneuriat est souvent la seule voie pour créer son emploi et imaginer des solutions locales.
Mais, entreprendre en Haïti est difficile. Les infrastructures défaillantes, la fuite des cerveaux et l’instabilité politique limitent l’essor des initiatives privées. Pourtant, le numérique apparaît comme un secteur porteur, car il requiert peu de barrières à l’entrée, s’appuie sur la créativité et ouvre la voie à des opportunités internationales. C’est sur ce constat que Marc Alain Boucicault, fondateur de Banj, a bâti son projet : offrir aux jeunes un lieu, des ressources et une communauté pour transformer leurs idées en entreprises.
La « recette Banj » : commencer petit, grandir ensemble
À ses débuts, Banj n’était qu’un pari audacieux, soutenu par une vision puissante et symbolisé par un modeste T-shirt floqué de son logo. Son créateur a misé sur la force d’une marque inspirante et sur les réseaux sociaux pour mobiliser une première communauté de jeunes innovateurs.
L’espace de Delmas, aujourd’hui un bâtiment moderne de 800 m² sur cinq niveaux, est devenu le plus grand coworking d’Haïti. On y trouve des bureaux partagés, des salles de réunion et de conférence, mais surtout un écosystème vivant où se croisent développeurs, designers, formateurs, investisseurs et partenaires. L’objectif est clair : tout mettre sous le même toit pour stimuler la collaboration, le mentorat et l’innovation.
Un carrefour d’opportunités pour les jeunes entrepreneurs
Banj ne se limite pas à fournir des espaces de travail. La structure orchestre une multitude de programmes et d’événements qui nourrissent l’écosystème entrepreneurial haïtien. Parmi les plus marquants :
- Haiti Start, lancé en partenariat avec Google for Startups, qui accompagne de jeunes porteurs de projets.
- Creative Tech Lab, avec la Banque interaméricaine de développement, qui rassemble développeurs et artistes pour créer des prototypes innovants.
- D-Clic, avec l’Organisation internationale de la Francophonie, qui forme des jeunes aux métiers du numérique.
- Boussole, avec le PNUD, qui stimule l’employabilité et l’entrepreneuriat des jeunes.
- Idéathon communautaire, en partenariat avec l’International Republican Institute, qui développe le leadership local par l’innovation sociale.
Ces initiatives ont permis à près de 3 000 personnes de bénéficier de formations spécialisées, à 122 projets d’être incubés et à plus de 500 événements d’être organisés depuis 2018.
Résilience face aux crises et aux épreuves
Comme toute aventure entrepreneuriale en Haïti, Banj a dû faire face à des épreuves. L’incendie et le pillage de ses locaux en 2019 ont failli mettre fin au projet. Mais, grâce à la mobilisation de la communauté et au soutien de partenaires comme la Sogebank, l’incubateur a su renaître. La pandémie de COVID-19 a également incité Banj à se réinventer, en développant des offres hybrides et en ligne, ce qui lui a permis d’élargir son rayonnement au-delà de Port-au-Prince.
Aujourd’hui, Banj est reconnu comme un acteur incontournable à la fois en Haïti, et dans la région caribéenne, grâce à ses programmes menés en Jamaïque, au Honduras ou à Trinidad.
Une stratégie fondée sur le numérique et l’économie du savoir
Le pari de Banj a été de miser sur le numérique comme porte d’entrée privilégiée pour la jeunesse haïtienne. Ce choix s’explique par plusieurs raisons : un secteur dynamique à l’échelle mondiale, des cycles d’innovation rapides, une ouverture à la diaspora et une accessibilité relative grâce aux formations en ligne.
Au-delà du numérique, Banj s’inscrit dans une vision plus large : celle de l’économie du savoir, où la créativité, la collaboration et le partage de compétences deviennent des leviers de croissance. Le fondateur insiste sur l’importance de former des jeunes capables de coopérer et de produire des solutions adaptées aux réalités locales.
L’impact : chiffres et vies transformées
Les résultats parlent d’eux-mêmes. En six ans, Banj a mobilisé plus de 100 000 personnes, distribué 500 000 dollars en financement de démarrage et contribué à la création d’environ 300 emplois directs et 5 000 emplois indirects. Mais au-delà des chiffres, ce sont des vies qui ont changé : des jeunes qui se découvrent entrepreneurs, des femmes qui prennent confiance en leurs capacités, des équipes qui transforment une idée en startup.
Comme le résume un participant : « Banj, c’est ma deuxième maison. Ici, je trouve du leadership, de la motivation et une communauté qui croit en moi. »
Les enseignements d’une expérience singulière
Le cas Banj livre plusieurs leçons utiles pour les pays en développement :
- Commencer petit mais fort : une marque distincte et une communauté engagée suffisent pour initier un mouvement ;
- Miser sur le numérique : accessible et porteur, il ouvre des opportunités même dans des environnements fragiles ;
- Rester agile et résilient : s’adapter aux crises est vital ;
- Construire un écosystème : rassembler partenaires, mentors et jeunes sous un même toit crée un effet multiplicateur ;
- Mettre l’humain au centre : la confiance et la collaboration sont les véritables moteurs de l’innovation.
Un modèle inspirant, mais pas une recette universelle
Banj ne prétend pas avoir trouvé une formule magique. Son succès repose sur une combinaison de vision, de pragmatisme et de mobilisation collective. La question reste ouverte : ce modèle est-il duplicable ailleurs ? Peut-il s’étendre à d’autres secteurs que le numérique ?
Ce qui est certain, c’est que l’expérience de Banj inspire bien au-delà des frontières haïtiennes. Dans un monde où les jeunes cherchent des espaces pour s’exprimer et innover, ce laboratoire d’entrepreneuriat démontre qu’il est possible, même dans un pays fragile, de bâtir un écosystème porteur d’avenir.

DevHaiti

