Gouvernance

À la rencontre de Xavier Michon, représentant résident du PNUD en Haïti

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Seconde partie

Pour sa première sortie médiatique, en marge de sa récente nomination en tant que représentant résident en Haïti pour le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), M. Xavier Michon était de passage, au début du mois de juin, à l’émission Investir, diffusée sur les ondes de Radio Métropole et en ligne sur la plateforme ProFin TV. Au cours de cette interview exclusive, M. Michon est revenu sur son parcours, les défis actuels de son pays d’accueil, la nécessité de changer le récit sur Haïti, le rôle du PNUD, ainsi que la communauté internationale dans le soutien aux efforts de développement d’Haïti. Nous publions in extenso la seconde partie de cette interview réalisée conjointement avec notre rédaction, l’équipe d’Investir et celle de ProFin TV.

DevHaiti (DH): La réalisation d’une paix durable implique de s’attaquer à la fois aux préoccupations de sécurité immédiates et aux causes sous-jacentes de la violence. Pouvez-vous élaborer sur l’approche multifacette nécessaire pour parvenir à une paix durable en Haïti, en commençant peut-être par la capitale, Port-au-Prince ?

Xavier Michon (XM): Je pense qu’au tout début, on doit se dire: qu’est-ce qu’on va faire? Nous, comme système des Nations Unies, je rappelle que le PNUD n’en est qu’une composante, nous faisons partie d’Haïti. Haïti est aujourd’hui dans notre conseil de direction et les autorités haïtiennes et les autres pays décident sur l’orientation et nous leur rendons compte. Donc, nous rendons compte aujourd’hui aux Haïtiens de notre travail. Ça, c’est la première chose.

Deuxième chose pour moi, c’est un thème d’alignement et donc il s’agit d’accompagner les directions, les orientations, les stratégies, les plans tactiques dont dispose Haïti actuellement à travers ses autorités pour un retour à une situation sécuritaire acceptable. Actuellement, on parle de l’arrivée de la Mission multinationale d’appui à la sécurité qui travaillera avec la PNH et les différents acteurs qui travaillent dans ce domaine. Et donc nous, on s’inscrit dans cette dynamique d’apporter ce qui est nécessaire dans le cadre des besoins qui ont été exprimés par la PNH, dont des équipements. Il y a juste 5 jours, un avion a atterri à l’aéroport international Toussaint Louverture avec des équipements pour la PNH. On les remercie pour la confiance.

On a apporté des équipements de protection qui sont nécessaires pour les policiers aujourd’hui qui sont exposés, qui sont vulnérables physiquement à des actes de violence orchestrés par des gangs. Donc, on s’inscrit dans cette logique-là.

On est aujourd’hui dans un cadre d’opportunités et d’un regain de sécurité. Je pense que la conversion doit aller au-delà de cette dimension, de comment y arriver, qu’est-ce qu’on fait après. Comment faire en sorte que l’État revienne dans ces zones aujourd’hui qui sont sous le contrôle d’autres forces? Comment faire en sorte que l’État soit l’articulateur d’une réactivation de la vie sociale? Et je pense qu’à partir de là ce n’est pas simplement un regain de la sécurité, c’est revenir à une dynamique et enclencher sur une dynamique sociale et de développement. Nous avons accompagné dans cette démarche, dans une logique de regain de sécurité, les autorités, notamment les autorités locales. Un jour on nous donnera le signal de retourner dans un quartier quelconque de la ville pour nous dire que les actions de sécurisation seront posées et qu’on peut accompagner les autorités dans leur travail.

DH: Vos discussions mettent l’accent sur l’importance d’un développement économique stratégique et l’autonomisation de la jeunesse haïtienne. Quelles stratégies spécifiques croyez-vous être essentielles pour exploiter le potentiel d’Haïti en matière de croissance économique durable et de prospérité ?

XM: Je pense qu’on devrait commencer à partir du scénario qu’il y aura un regain sécuritaire dans la capitale. Je pense que c’est ça qui nous motive, c’est là-dessus, je pense, que les autorités de transition sont en train de construire des actions sur du court terme, une réponse rapide, sur le moyen et le long terme. Je pense que c’est un thème qu’il faut considérer. Supposons que la Croix-des-Bouquets soit libérée et qu’on donne le signal qu’on peut revenir à une vie normale. Je pense que la conversation passe sur comment se préparer à être le plus présent et efficace le moment venu.

Je pense qu’il faut donc anticiper ; dans une première phase, il s’agit d’évaluer les besoins. Aujourd’hui, on a une structure sécuritaire qui a été détruite. On a une structure économique qui a été détruite. Donc, il y a toute une logique d’infrastructures détruites. Il faut voir aussi quels sont les appréhensions de la population, leurs besoins, leurs attentes, et aussi leurs nécessités.

Je pense qu’il y a tout un travail à faire en amont de façon que le jour venu on puisse accompagner les autorités, le secteur privé pour que la vie revienne à la normalité dans un court délai.

Moi, je parle de la responsabilité que je prends pour cette organisation, ce que j’espère, c’est que le moment venu les autorités nous interpelleront et nous diront: «Écoutez, on doit intervenir dans cette zone». Ma première réponse sera: «On doit faire une évaluation».

Je pense qu’aujourd’hui ce qu’il faut faire, c’est anticiper et c’est cette réflexion, je pense, que les autorités sont en train de faire pour préparer des actions de réactivation économique, de développement social, de structuration, de restructuration. Ce sont des choses qu’on peut identifier. On sait que si un commissariat a été détruit, on peut plus ou moins estimer quelles sont les actions requises, combien cela coûte, avec qui le faire, et le moment venu, on doit être prêt à intervenir, naturellement la main dans la main avec les autorités haïtiennes.

DH: Enfin, quel rôle voyez-vous pour le PNUD, et peut-être la communauté internationale, dans le soutien aux efforts de développement d’Haïti ? Comment les partenaires internationaux peuvent-ils mieux contribuer au parcours d’Haïti vers un avenir plus radieux ?

XM: Là vous touchez un thème qui m’intéresse particulièrement. Je pense que c’est un aspect fondamental ; je viens du monde de l’investissement avec impact, et dans les pays où j’étais, la première idée c’était ce qu’offre l’écosystème de ce pays, quelle est la maturité de ce marché, où est-ce qu’il évolue, qui sont les acteurs. Cette clarté est importante parce que lorsqu’on parle aujourd’hui, il est aussi question d’attirer du capital, du capital national, certes, mais également du capital venant au-delà des frontières. Aujourd’hui on doit, comme je vous le dis, changer ce narratif, car malgré les déficits, les problèmes auxquels le pays fait face, il y a une volonté, il y a une vision, il y a des opportunités. Moi, il y a de cela quelques mois, c’était une des premières choses que j’ai faites. J’ai visité de jeunes entreprises et aujourd’hui on voit qu’il y a des jeunes qui recrutent, qui travaillent dans l’économie digitale, qui innovent, qui paient leurs impôts, qui recrutent d’autres jeunes qui ont cette vocation sociale.

Peut-être ce sont ces acteurs aujourd’hui qu’il faut mettre en avant, qu’il faut appuyer. Ce sont des acteurs de changement ; il y a des messages qui me disent qu’il y a une économie qui malgré tout s’adapte, qui réussit à créer, qui réussit à apporter quelque chose à la société. Il y a des entreprises intéressantes et peut-être il faudrait identifier cet écosystème d’entreprises et au-delà de ça, justement, voir quelles sont les nouvelles industries, et comme je vous le disais, en termes de «call centers», il y a beaucoup d’initiatives qu’on va prendre avec le digital ; vous avez beaucoup d’Haïtiens qui parlent l’anglais, qui sont même polyglottes, c’est un capital et aujourd’hui on peut travailler dans son pays. Il y a une série d’industries qui sont potentiellement visibles. Nous, de notre côté, on est en train de penser, de voir comment ça sera sur la base des orientations qu’on aura.

On veut travailler avec le secteur haïtien sur le thème d’appui à des petites et moyennes entreprises qui ont la vocation d’innover. Je pense qu’il y a des opportunités et cela commence par la base.

DH: Avant de conclure, Monsieur Michon, y a-t-il un dernier message que vous aimeriez partager avec nos auditeurs (lecteurs, ndlr) ?

XM: Je veux commencer sur un rôle ; nous courons avec Haïti et nous voulons qu’Haïti ait cette conviction, ce dynamisme. Notre rôle c’est d’accompagner, d’écouter. Je veux insister là-dessus : je ne suis qu’un maillon d’une équipe qui est d’ailleurs haïtienne. Le PNUD en Haïti, c’est à peu près 200 personnes et 90% de l’équipe est composée d’Haïtiens passionnés pour le pays et pour le développement. Et donc ce n’est pas simplement une relation qu’on peut résumer à une donation financière. Vous avez ici des techniciens qui ont un savoir-faire unique et qui ont cette ambition, dans le cadre de leurs fonctions, d’effectuer leur travail, mais aussi de transformer le pays. Et donc je pense que c’est cette disposition qu’on a, au-delà de notre contribution en termes financiers.

Et mon message final serait d’accompagné les agents de changement étatiques, privés et des groupes de jeunes dans cette transformation. On pense qu’il y a beaucoup de choses extrêmement positives dans ce pays, mais ce sont des potentiels qui ont besoin de petits apports. Des apports plutôt catalytiques qui permettent de révéler les potentiels, créer cette conscience, mettre autour d’une table les différents acteurs qui vont créer cette différence, qui vont prendre cette dynamique. Je pense que notre rôle est justement de pouvoir accompagner, mais s’il n’y a pas de conditions, s’il n’y a pas cet enthousiasme, on ne pourra pas atteindre tous les objectifs. Je le dis avec beaucoup d’humilité, sachant que nous appartenons à Haïti. Haïti fait partie des membres du conseil de direction, et je pense que le développement commence avec cette dynamique. C’est d’être à l’écoute et justement décider de partager un peu son rêve, cette ambition, cette vision. Vous avez en nous un partenaire dévoué. Je reviens un peu sur le thème passion. Le développement d’Haïti fait partie un peu de notre passion. On fera de tout notre mieux pour appuyer les secteurs, dans la mesure du possible, avec nos capacités, dont nos financements.

Je reviens sur ce message de potentiel que les choses sont possibles, qu’Haïti a tous les atouts et qu’il suffit de poser certaines bases, et peut-être que cela pourrait se résumer à quelques phrases. Je m’excuse pour mon créole. ” Wi, Ayiti kapab”.

Suite et fin.
Propos recueillis par Patrick Saint-Pré
Transcription : Jean Rony Poito Petit Frère

DevHaiti

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