Éditorial

A qui profite le décret budgétaire record adopté par le gouvernement Jouthe / Moïse ?

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L’absence d’un Parlement fonctionnel a donné lieu à la mise en place pour le deuxième exercice fiscal consécutif d’un décret budgétaire par l’administration Moïse / Jouthe. L’incapacité du pays à organiser des élections de façon régulière explique cet état de fait qui aura des répercussions négatives sur les conditions de vie de la population à moyen et à long terme. En effet, la participation de différents acteurs publics et non publics dans l’établissement d’une Loi initiale des Finances constitue un facteur fondamental pour favoriser une meilleure contribution des citoyens au budget national mais aussi assurer une allocation équitable des ressources entre les différents groupes sociaux au niveau des différentes régions du pays.

Disposant de ressources extrêmement limitées et d’une gestion publique pas trop efficiente, le pays ne peut pas faire l’économie de fonctionner sans une Loi des finances impliquant le plus grand nombre d’acteurs dans le débat budgétaire.

Les chocs importants subis par l’économie haïtienne au cours des deux derniers exercices fiscaux (2019 et 2020) ont grandement affecté la capacité des autorités fiscales à mobiliser des ressources domestiques. Ce qui rend le pays de plus en plus dépendant de l’assistance financière internationale et particulièrement du financement interne de l’économie, causant de fortes pressions sur la dette publique. Un montant record de 254.7 milliards de gourdes est prévu par les autorités financières pour l’exécution du budget.

L’instabilité politique influençant négativement l’environnement des affaires a causé une chute substantielle des recettes fiscales du pays, ce qui place la pression fiscale à moins de 10%, un niveau inférieur à celui des pays à faibles revenus comme Haïti. En fait, la pression fiscale a atteint le très faible niveau de 6.5% en 2020 et le gouvernement haïtien espère atteindre le niveau de 8.4% pour l’exercice fiscal 2020-2021.

 A noter que des pays aussi fragiles qu’Haïti affichent, malgré le choc Covid-19, une pression fiscale en moyenne de plus de 11% pour 2020. 

 La faiblesse de la pression fiscale et la réduction des dons dans le nouveau décret budgétaire en raison de l’absence d’un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) ont poussé le gouvernement à accroître de façon considérable le financement du budget national. Les dons sont estimés à quelque 30 milliards de gourdes contre 37.1 milliards pour l’exercice 2019-2020. A près de 18 milliards de gourdes dans le précédent budget, l’appui budgétaire espéré par le gouvernement pour l’exercice fiscal en cours serait de 10 milliards de gourdes.  Plus de 90 milliards de gourdes seront nécessaires pour compléter les voies et moyens pour la concrétisation du budget au cours de l’exercice fiscal 2020-2021. Avec moins de 10 milliards de gourdes d’emprunts externes, le gouvernement recherchera plus de 80 milliards de gourdes d’emprunts internes : 25 milliards provenant de Bons du Trésor, 37.1 milliards d’emprunts de la Banque centrale et plus de 16 milliards à partir des banques commerciales.

Le niveau de dépenses courantes prévu est estimé à 136.1 milliards de gourdes contre des ressources domestiques de 132.6 milliards. Ceci provoque un déficit budgétaire de base de plus de 3 milliards de gourdes. Un tel déficit réduit considérablement la capacité du gouvernement à allouer des fonds pour les investissements publics indispensables pour la réduction de la pauvreté et l’extrême pauvreté dont les taux ont progressé au cours des dernières années avec la nette instabilité politique et l’enregistrement des désastres naturels. Moins de 25 milliards de gourdes seront allouées aux dépenses d’investissement par le Trésor public. Le faible niveau d’investissements publics hypothèque l’avenir des jeunes Haïtiens qui ne bénéficient pas ainsi d’une éducation de qualité et de services de santé pour renforcer le capital humain du pays de façon à améliorer la productivité et la compétitivité.

Des facteurs indispensables pour se retrouver sur la voie de la prospérité. L’important financement du budget décidé par le gouvernement à partir d’emprunts internes devrait augmenter les pressions sur la dette publique dont le service représente actuellement la principale allocation du budget national, soit 49 milliards de gourdes, au détriment des dépenses sociales comme l’éducation, la santé, le support aux ménages vulnérables, etc.      Les choix à court terme effectués par le gouvernement, avec des dépenses courantes élevées, montrent bien la nécessité d’une plus grande participation des acteurs non publics dans le processus budgétaire pour influencer les décisions. L’implication des organisations de la société civile et des médias facilitera une plus grande transparence dans l’élaboration du document budgétaire ainsi qu’un solide système de reddition de comptes beaucoup plus crédible.

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