André Lemercier Georges livre son « Guide du contribuable »

DevHaïti: Comment vous est venu l’idée de rédiger cet ouvrage de 327 pages? Auriez-vous quelques mots de plus que vous aimeriez ajouter pour les lecteurs de DevHaïti?
André Lemercier Georges (A.L.G): C’est un rêve vieux de plus de 30 ans. En laissant la direction générale de la DGI en 1991, des collègues (Joseph Paillant; Pierre Reynaud Julien; Maurice Jean Baptiste) et moi avions caressé l’idée de combler le vide de l’absence de références pour les textes fiscaux et leurs interprétations par l’administration fiscale. Nous avions donc décidé à l’époque de sortir un code fiscal annoté. Les évènements de septembre 1991 ne nous ont pas permis de finaliser notre projet. Entre temps, j’étais invité à animer des séminaires et des conférences sur la fiscalité pour tous les corps de métiers. Nourrie par ma pratique professionnelle, et les questions qui revenaient au cours de ces divers conférences et séminaires, l’idée d’écrire un livre à la portée des contribuables a germé, a fait son chemin, et aujourd’hui nous espérons, que le fruit en vaille la peine.
DevHaïti: Pouvez-vous, pour les lecteurs de DevHaïti, nous présenter brièvement ce livre? A qui s’adresse-t-il? Et en quoi se différencie-t-il des autres parutions?
A.L.G.: Ce livre comprend trois parties: La première partie se compose de: (i)- Cent Soixante Neuf (169) questions couvrant la fiscalité des particuliers (Impôt Sur le Revenu, Impôt Sur le Capital, les Taxes diverses); (ii)- La fiscalité des entreprises (Bénéfices Industriels et Commerciaux, Impôt sur les Sociétés, Taxe sur le Chiffre d’Affaires, fiscalité des sociétés etc..); (iii)- Le contrôle et le contentieux fiscal.
La deuxième partie est un condensé pour tous chefs d’entreprise ou professionnels, investisseurs et tous les contribuables généralement quelconques et inclut: (i)- Un résumé du système fiscal ‘’tableau comparé’’ du régime privilégié; (ii)- Un calendrier fiscal et, (iii)- Les principaux formulaires de la DGI, ainsi que des modèles de lettres à la DGI.
La troisième partie contient l’essentiel des textes de référence relatifs aux principales questions traitées sur l’Impôt Sur le Revenu, la Taxe sur le Chiffre d’Affaires, la Contribution Foncière des Propriétés Bâties, l’Enregistrement et la Conservation Foncière, et l’arrêté d’application du Code des Investissements relatif au développement immobilier.
Il ne s’agit pas exactement d’un manuel de fiscalité, ni d’une analyse ou d’un diagnostic du système fiscal d’Haïti. Ce livre se veut d’être le «Vade Mecum» du contribuable haïtien, répertoriant un ensemble de questions et de réponses concernant l’essentiel, le B-A BA de la fiscalité haïtienne.
Il s’adresse, aux professionnels de la fiscalité, aux chefs d’entreprise, aux professionnels, aux compatriotes de l’intérieur, ceux de la diaspora et aux étrangers qui veulent investir en Haïti et à tous ceux qui veulent investir ou qui ont investi dans ce pays, à tous les agents économiques, bref tous ceux qui cherchent une référence et/ou qui veulent savoir ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire en matière fiscale.
DevHaïti: Votre préfacier, l’ex-Premier ministre, Enex Jean Charles, nous dit que la fraude fiscale et la corruption sont les deux faces d’une même médaille; dans quelle mesure partagez-vous ou non une telle assertion?
A.L.G.: La fraude fiscale prive l’état d’une bonne partie des ressources dont elle a besoin pour couvrir les dépenses nécessaires au développement de la collectivité. La corruption, elle aussi, prive l’état de ses moyens, en ce sens que les ressources qui devraient servir à la distribution de biens et de services publics pour générer les richesses sont captées et détournés par un groupe d’individus, au détriment de l’intérêt et du bien-être collectif. Les deux constituent, comme il l’a si bien dit, un frein au développement. Chaque gourde, chaque centime détourné par la fraude fiscale et/ou la corruption est une gourde ou un centime de moins dans la fourniture des services de bases tels: la santé; l’éducation; la justice; la sécurité, éléments essentiels au développement d’une collectivité. De plus, l’un des meilleurs outils de lutte contre la corruption est la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale.
DevHaïti: Voulez-vous revenir sur le mode de calcul de la CFPB?
A.L.G.: La CFPB. Contribution Foncière des Propriétés Bâties, ci-devant impôt locatif, est un impôt dont le revenu va aux communes et qui est perçu sur toutes les propriétés bâties. L’assiette de l’impôt, donc la base taxable, est la valeur locative de la maison. C’est à dire la valeur à laquelle la maison est louée ou peut être louée. Il s’agit d’un impôt réel sur le patrimoine immobilier, et l’assiette est sur la rente. Il aurait été préférable, et plus équitable, que l‘assiette soit la valeur vénale de l’immeuble. Ce qui permettrait d’avoir des valeurs de références pour le m2 de propriété non bâtie, et une valeur estimative reconnue pour le mètre carré construit. Sous certains aspects, ce mode de taxation peut paraître, mais à court terme, rentable financièrement, mais il n’est pas économiquement rentable, n’est pas transparent, ni équitable. Il représente un frein au développement de l’immobilier et de l’hôtellerie. Ex:
1) Quelle est la valeur locative d’un hôtel de 600 chambres, dont 350 chambres standard, 200 cents juniors suites et 50 suites, avec le prix moyen de 300 dollars la nuit par chambre et un taux d’occupation annuelle de 60% ?
a)Le prix de la nuitée de chaque chambre multiplié par 365
b)Le prix moyen de la nuitée des 600 chambres multiplié par 365
c)Le prix auquel on estime que chaque chambre
2) Qui va décider de la base?
DevHaïti: Dans la troisième partie de l’ouvrage vous gratifiez le lecteur de textes légaux. Pensez-vous que l’arsenal juridique haïtien est suffisamment garni pour répondre aux besoins du fisc?
A.L.G.: Je me suis gardé dans ce livre de faire une analyse du système fiscal haïtien. Mais il est évident qu’il y a beaucoup à faire au niveau de la législation pour améliorer notre système fiscal. Certains de nos textes sont tout simplement désuets, (les concepts; les barèmes); d’autres sont tout à fait inadaptés aux besoins actuels ou à la situation actuelle, d’autres encore sont en retard par rapport à l’évolution du droit ou de la société; et finalement il nous faudrait un Code Général des Impôts et un Code de Procédure Fiscale.
Il faut réformer et moderniser le système fiscal; de manière spécifique, cette réforme pourrait permettre entres autres, de: (i) généraliser la TCA et la transformer en une véritable Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA), (ii) moderniser le système de gestion et l’Impôt Sur le Revenu (ISR) de manière à le rendre rentable et équitable en tenant compte de l’existence d’une multitude de micro entreprises et de PME; (iii) avoir un Impôt sur les Propriété Bâties et Non Bâties assis sur leur valeur vénale, permettant ainsi aux municipalités d’améliorer leur plan de développement; (iv) supprimer les taxes de nuisance; (v) mettre à jour certains impôts locaux dont les tarifs datent de plus de 50 ans; (vi) Renforcer et moderniser l’administration fiscale pour qu’elle soit en mesure d’administrer un système fiscal moderne et efficace. De manière générale mettre en place un système fiscal qui soit socialement juste, économiquement rentable, et politiquement transparent.
DevHaïti: C’est une mine d’informations que vous offrez aux lecteurs à travers ce «Guide pratique du contribuable», avez-vous l’intention d’explorer d’autres domaines, puisque vous avez plusieurs cordes à votre arc? Est-ce que d’autres ouvrages de la même facture sont en préparation
A.L.G.: Pourquoi pas? C’est dans l’ordre des choses possibles. Je m’intéresse beaucoup au développement de l’économie réelle, au tourisme ou à d’autres secteurs porteurs; je réfléchis souvent à l’élaboration d’un véritable énoncé de politique économique. Je rêve souvent à l’émergence d’une autre Haïti, celle qu’elle pourrait être ou plutôt celle qu’elle devrait être. Cela passe nécessairement par la prise en compte du poids et de l’importance d’une bonne politique fiscale. Donc, pour le moment, je vais me concentrer sur la vulgarisation et la familiarisation avec les notions de fiscalité, de manière à susciter l’éveil d’une conscience citoyenne.
DevHaïti: Expliquez-nous votre approche didactique qui consiste notamment à répondre à des questions sur la fiscalité des particuliers, celle des entreprises, contrôle et contentieux?
A.L.G.: Nous parlons de changer ou de moderniser le système, mais on oublie souvent le principal, l’essentiel, c’est à dire le contribuable lui-même. Le meilleur système est celui qui est bien compris par les assujettis. Au cours de ces trente dernières années, à chaque fois que j’en avais l’opportunité, je me suis évertué à vulgariser les notions de budget et de fiscalité. Donc je n’ai pas seulement voulu faire un manuel de fiscalité, mais j’ai aussi voulu répondre à certaines questions et permettre aux contribuables d’être en mesure de mieux comprendre et de dialoguer avec l’administration, tout en étant en mesure de mieux comprendre et de dialoguer avec leurs conseillers fiscaux.
DevHaïti: En matière de cotisation à la sécurité sociale, certaines obligations sont faites à l’employé comme à l’employeur, selon vous, n’y-a-t-il pas lieu de mettre à jour la loi qui concerne cette question?
A.L.G.: La réforme fiscale doit nécessairement être accompagnée et/ou soutenue par une réforme du système de sécurité sociale. Il est évident que l’on doive aujourd’hui revoir entièrement notre système de sécurité sociale et aussi revoir les cotisations à la sécurité sociale. Vous savez, ce barème date de plus de 50 ans, Il n’est plus adapté. Il nous faut avoir une fiscalité qui protège l’emploi et soit incitative à la création d’emplois. Par exemple la Taxe sur la Masse Salariale n’est pas une taxe incitative à la création d’emplois. Elle pourrait par contre intégrer le système de sécurité sociale. ie: (Couvrir une assurance chômage, et/ou la formation professionnelle, et/ou la subvention des transports etc..). Mais je pense qu’on ne devrait pas taxer l’emploi alors que tous les politiques parlent de création d’emplois.
DevHaïti: En tant que haut fonctionnaire qui connait les collectivités et la fiscalité du pays, que savez-vous du circuit de la finance locale? Avez-vous des recommandations concernant ce secteur?
A.L.G.: Il faut donner un sens aux concepts. Beaucoup de collectivités locales (départements, arrondissements, communes) ont été créées uniquement pour des raisons politiques (des Sénateurs en plus; des Députés, des Maires, des Délégués en plus), sans aucunes considérations géographiques, sociales, culturelles, financières ou économiques. On se retrouve ainsi avec des collectivités qui n’ont ni les ressources humaines, ni les ressources financières et économiques nécessaires à leur épanouissement et leur développement. De plus, celles qui en ont les moyens se retrouvent à mettre la pression ou à harceler leur administré pour les mêmes champs de taxation, avec des révisions permanentes de la valeur locative des maisons, par exemple, des fois en violation des lois en vigueur. Les programmes d’aide et de support qu’on leur propose sont tout aussi inadaptés et ne visent qu’à renforcer un système inique qui ne marche pas. Les collectivités doivent innover et chercher d’autres sources de revenus. Il faut mettre à jour la fiscalité actuelle, mais surtout avoir des plans directeurs. Des plans d’aménagement et des schémas directeurs doivent être produits pour se donner ainsi les moyens de générer les ressources adaptées aux besoins des collectivités et nécessaires à leur épanouissement.
DevHaiti