Ce qu’il faut savoir de la nouvelle décote de la gourde par rapport au dollar

Depuis ces trois derniers exercices fiscaux, la stabilité de la gourde échappe au contrôle des autorités haïtiennes. L’instabilité de la gourde nuit grandement au calcul et prévisions des agents économiques nationaux et internationaux. Entre politiques économiques inefficaces/ineffectives et une absence structurelle de production, la valeur de la gourde par rapport au dollar s’est effondrée.
Entre août 2017 et août 2020, la monnaie locale est passée de 62.6 à 119.6 gourdes pour un dollar, soit une chute de 91.05%. À partir du mois d’août 2020, elle allait connaitre une remontée spectaculaire de 36.78% en glissement mensuel.
Toutefois, ce regain de force de la monnaie nationale n’a pas suivi une tendance durable. Au second trimestre de l’exercice fiscal 2020-2021, la gourde est repartie à la baisse. En effet, depuis novembre 2020, il est constaté une variation mensuelle positive du taux de change de la gourde par rapport au dollar, avec parfois des pics supérieurs à 6%. Entre octobre 2020 et juin 2021, la gourde est passée de 63.98 à 90.89 pour un dollar soit une chute de 42.06%.
Comment expliquer cette nouvelle tendance baissière d’une monnaie qui a fait état d’une performance extraordinaire huit mois plus tôt ? Cette tendance est-elle corrélée avec les résultats au niveau de l’économie réelle et monétaire haïtienne et la situation des finances publiques ?
Si la masse monétaire est essentiellement un déterminant de la santé interne (inflation) d’une monnaie nationale, elle peut, dans certains cas, avoir des impacts directs et indirects sur ses résultats externes. Cette relation est bien documentée dans la théorie économique. Les statistiques entre août 2020 et février 2021 ont, en effet, montré que la tendance de la variation des agrégats monétaires M3 et M1, est quasiment la même avec celle du taux de change. Toute chose étant égale par ailleurs, l’agrégat M3 a connu une baisse de 36.23% entre août et octobre 2020, qui est temporellement corrélée avec une montée de la valeur de la gourde de 46.5%. Après le mois d’octobre 2020, les deux indicateurs sont repartis avec une tendance similaire et positive. Cela laisse prétendre qu’à mesure que l’agrégat M3 part à la hausse, cela n’a pas uniquement des conséquences inflationnistes, mais aussi en termes de taux de change.

Une investigation plus approfondie des possibles causes de la nouvelle décote de la gourde par rapport au dollar ne peut s’arrêter que sur les possibilités monétaires. La dynamique de l’économie réelle doit être aussi analysée particulièrement pour la même période. Si le pays est structurellement dans une crise de production, l’analyse des variations des indicateurs de l’économie réelle peut nous mettre sur une meilleure piste de compréhension de la nouvelle décote monétaire.
Au niveau du secteur externe, les données préliminaires de la Banque de la République d’Haïti (BRH) ont fait état d’une détérioration importante de la balance commerciale et de l’augmentation des transferts privés sans contrepartie. Le solde commercial entre octobre 2020 et février 2021 a atteint -1 495.6 millions de dollars contre -948.4 millions sur la même période de l’exercice précédent. Ces résultats sont constatés malgré une reprise de l’économie mondiale.
Les importations sur les cinq premiers mois de l’exercice fiscal 2020-2021 ont crû de 37,7 % pour un niveau annualisé de 1 884.3 millions de dollars.
Cette fuite de devise n’a pas pu être compensée par les transferts sans contrepartie qui ont même reculé de 6.3% entre les premier et deuxième trimestres de l’exercice fiscal 2020-2021. Dans un pays qui ne connaît quasiment pas d’Investissements Direct Étrangers (IDE), ces résultats nous laissent avec une position extérieure globale défavorable qui a des impacts sur la décote de la gourde.
Du côté des finances publiques, la capacité de l’État à mobiliser des ressources domestiques au cours du deuxième trimestre 2021 s’est affaiblie à cause d’un climat d’affaires et d’une conjoncture sociopolitique troublés. Les ressources collectées par l’État sur les six premiers mois de l’exercice ont été chiffrées à 130 464,06 MG dont 47 946,3 MG de recettes fiscales. Ces dernières ont été insuffisantes pour couvrir les décaissements totalisant 154 032,10 MG dont 90 235,87 MG de dépenses budgétaires effectuées par l’État sur la période. Par conséquent, les opérations financières de l’État se sont soldées par un déficit du Trésor financé, en partie, par la BRH à hauteur de 33 108,50 MG. Cet exercice de monétisation a nécessairement des impacts sur le cours de la gourde à l’interne et à l’externe.
En somme, après avoir connu une montée spectaculaire, la gourde est repartie à la baisse par rapport au dollar depuis le mois de novembre dernier. Cette baisse s’accélère durant le second trimestre de l’exercice fiscal 2020-2021, marqué par des résultats négatifs au niveau de l’économie réelle, monétaire et des finances publiques. Il est d’une importance majeure pour l’État haïtien et les autorités monétaires en particulier de stabiliser la valeur externe de la gourde. Sa chute et sa volatilité ont non seulement des conséquences néfastes pour l’économie, car nuisible au calcul rationnel des agents, mais aussi sociales, dans le sens qu’elles favorisent la vie chère.
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