Combien de temps durera la dépression économique d’Haïti ?
Le blocage du terminal de Varreux entre le 12 septembre et le 7 novembre de cette année rappelle les événements des 6 et 7 juillet 2018, car ils sont tous deux causés par l’annonce d’augmentation des prix des carburants. Ces deux épisodes, tout comme l’assassinat du Président Moïse, mettent en évidence l’effondrement de l’Etat, sa totale dysfonctionnalité, son inexistence même. Si la variation du PIB d’Haïti a été très volatile en 2010 et 2017 en épousant la forme d’un zigzag avec une tendance à la baisse, elle n’a jamais été négative. Cependant, il semble que les événements de juillet 2018 avaient annoncé la dépression qu’expérimente l’économie du pays, entendons par là une croissance négative de plus de trois ans. En effet, les pillages de 2018 ont été suivi de longues périodes de manifestations entre 2019 et 2022 auxquelles s’est ajoutée l’insécurité comme étant deux facteurs ayant totalement paralysé les activités économiques. Il en résulte une période de croissance négative continue entre 2019 et 2021. En toute évidence, l’année 2022 sera aussi une année perdue comme les trois antérieures, car le pays a été totalement bloqué, spécialement entre septembre et novembre. La prévision de la Banque mondiale pour l’économie d’Haïti est une croissance négative de 1.5%.
Les conséquences de cette crise économique sont multiples et variées. Tout d’abord, les investisseurs haïtiens ont commencé à s’établir en République dominicaine. En 2021, les transferts officiels d’Haïti vers le pays voisin ont été estimés à 111 millions de dollars américains mais peuvent atteindre jusqu’à 185 millions si on tient compte des transactions informelles. Parallèlement, les investissements directs étrangers qui étaient déjà insignifiants se sont réduits considérablement en passant de 375 millions en 2017 à 25 millions en 2020 avec une nette tendance à la baisse, alors que la République dominicaine a pris le chemin contraire avec une attraction telle que même pendant l’année 2020 paralysée par la pandémie du Covid-19, elle a reçu 2.6 milliards de dollars en terme d’investissements directs étrangers. Au regard de ces données, les investissements haïtiens en République dominicaine ressemblent à un malade déjà anémique et gravement blessé mais qui donne du sang à des individus vigoureux. Mais, aucun investisseur ne peut jeter son argent par la fenêtre. Tout le débat reste dans la construction d’Haïti qui dépasse la portée de cette courte analyse.
Le coût de la vie, mesuré par l’inflation, a considérablement augmenté. L’inflation a eu une tendance ascendante entre 2018 et 2021 avec une moyenne de 20%. En septembre 2022, le niveau des prix en glissement annuel a augmenté de 38.7%. La cherté des produits s’est traduite par une réduction soute- nue du pouvoir d’achat des ménages et donc de la détérioration de leurs conditions de vie. Quant à la monnaie locale, elle perd de plus en plus sa valeur face au dollar américain, tandis que les envois de fonds de la diaspora ont réduit leur rythme et que le déficit budgétaire est épongé par la création monétaire. Pour 2022, nous avons estimé une décroissance de 1%, laquelle pourrait se maintenir en 2023 si la conjoncture internationale dominée par le conflit russo-ukrainien reste inchangée. Comme il est bien connu dans le pays, une bonne partie de l’inflation (plus de 50%) est dite importée, car elle provient de nos achats à l’étranger. Cette situation demeurera pour longtemps, car son remède est la production nationale et les exportations, lesquelles n’étaient d’ailleurs pas notre fort mais se sont réduites considérablement à cause de la fermeture du pays par le climat d’insécurité. A court terme, le déficit budgétaire doit être réduit et son monétisation éliminée, car il alimente tant l’inflation que la dépréciation de la gourde.
A la question de départ, à savoir, «Combien de temps durera la dépression économique d’Haïti?», je répondrai: autant que durera l’insécurité qui paralyse toutes les activités économiques. S’il est certain que la sortie de ce climat de terreur ne conduira pas ipso facto à une croissance robuste (on n’en a jamais enregistrée d’ailleurs pour les statistiques disponibles, à part la décennie des années 70 où l’économie s’est accrue en moyenne de 5.2%), mais elle est une condition nécessaire à la fin de la dépression dont les conséquences futures seront plus d’insécurité, plus de misère, plus d’enlaidisse- ment d’Haïti à l’échelle internationale, plus d’éclate- ment social et donc – le plus important – plus d’efforts et de sacrifices pour remonter la pente. Il est donc urgent de trouver une réponse à l’insécurité pour la survie de la nation.
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