Comptes nationaux de santé, les éclaircissements du Dr Jean Patrick Alfred
Suite à la publication récemment par le ministère de la Santé publique et de la population (MSPP) des Comptes nationaux de santé, le Dr Jean Patrick Alfred, directeur de l’Unité d’Études et de Programmation (UEP) au MSPP, apporte volontiers quelques éclaircissements sur la portée d’un tel document, les principaux enseignements à tirer ainsi que sur la méthodologie utilisée pour l’élaboration de ce rapport-phare. Nous publions ici, in extenso, la première partie de cette entrevue riche en informations.
Dev Haïti (DH): Pourquoi publier les comptes nationaux de santé ? À quel besoin cette publication répond-elle?
Dr. Jean Patrick Alfred (JPA) La publication des Comptes Nationaux de Santé fournit aux décideurs politiques des informations financières pertinentes et fiables qui permettra de faire une meilleure allocation des ressources du secteur santé.
Cette publication permet de :
• évaluer le niveau des fonds mobilisés par les Sources de financement, par les agents de financement, par centre de coût et par fonction pour les dépenses de santé en Haïti au cours des exercices fiscaux 2016-2017, 2017-2018 et 2018-2019
• analyser les dépenses des agents de financement qui participent à la gestion des fonds ainsi que leur répartition entre les catégories de prestataires et les domaines au cours de la même période.;
• estimer les dépenses des prestataires par Fonction dans l’offre des soins et services aux bénéficiaires;.
• dégager les informations pertinentes de l’étude pouvant permettre aux décideurs de faire une meilleure gestion de leurs interventions.
DH: Quels sont les principaux enseignements des derniers comptes nationaux de santé récemment publiés?
JPA: Malgré leur manque d’exhaustivité, l’analyse a montré que le financement de la santé en Haïti évolue en dents de scie et que, comparé à l’exercice 2012-2103, la valeur en dollars des dépenses totales de santé en 2018-2019 a connu une réduction d’environ 12%.
• 97% des dépenses totales de santé étaient consacrés aux dépenses courantes de santé. Les investissements en santé, apportés exclusivement par l’Administration publique et le Reste du Monde, n’étaient pas bien importants au cours de la période, ce qui suggère que les capacités de réponse du système de santé étaient très peu renforcées au cours de la période.
• Le financement de la santé repose principalement sur les ménages avec 43% en 2018-2019 alors que l’International atteignait 42% et l’Administration publique 10%. La différence, moins de 5%, était couverte par les Entreprises et les ISBLSM (Institutions Sans But Lucratif au Service des Ménages).
• La contribution du Reste du Monde (Organisations bilatérales et multilatérales) au financement de la santé a montré une nette tendance à la baisse: de 52% en 2012-2013 à 44% en 2018- 2019, confirmant la mise en place du processus de transition en Haïti comme c’est le cas dans presque tous les pays bénéficiant de l’aide internationale. Cependant, contrairement à l’esprit du processus, cette réduction n’est pas accompagnée d’une augmentation des fonds publics. Le poids de la transition retombe donc sur les ménages, seule entité dont la contribution dans les dépenses en santé a suivi une courbe ascendante depuis 2012.
• La gestion de plus de 70% des dépenses courantes de santé a été assurée par le Secteur privé. L’équivalent de 76% des montants confiés à ce secteur était administré directement par les Ménages et les Sociétés d’assurance commerciales, traduisant le caractère payant des soins de santé en Haïti.
• Les principaux prestataires qui ont utilisé ces fonds étaient les Détaillants et autres prestataires de biens médicaux (environ 30%) et les Hôpitaux (environ 23%). Le faible taux des DCS ayant transité à travers les Prestataires de services auxiliaires et les Hôpitaux spécialisés est la preuve que les piliers Produits et Technologie médicaux et Prestation de services du système de santé haïtien ne sont pas très développés.
• Les fonctions qui ont absorbé le plus fort pourcentage des Dépenses courantes ont été les Soins curatifs (35%), les Biens médicaux non spécifiés par fonction (30%) et la Gouvernance (19% moyenne). Les soins préventifs n’ont bénéficié que d’une moyenne de 9% l’an.
• L’analyse de l’évolution des agrégats généraux faite sur la période de 2012-2013 à 2018-2019 révèle la tendance à la baisse des principaux indicateurs tant ceux parlant de l’économie nationale que ceux traduisant l’évolution du système de santé. En effet, alors que le budget national, la proportion de celui-ci accordée au MSPP et le PIB ont connu une variation à la baisse, la contribution des Ménages aux DTS a substantiellement augmenté durant la période ce pourcentage équivaut plutôt aux 43.19% qu’ils ont cotisés dans les DCS.
• Les sous-comptes des deux Programmes prioritaires de santé analysés, le Programme de lutte contre le VIH et le Programme de Santé de la reproduction, ont absorbé plus du tiers des DCS.
DH: Un mot sur la méthodologie utilisée dans des comptes nationaux?
JPA: Un outil de suivi systématique, cohérent et exhaustif des flux financiers du système de santé d’un pays. Reconnue à l’échelle internationale, la méthodologie standardisée permet de faire des comparaisons internationales. Elle fournit des informations sur:
– Le montant total du financement de la santé
– La participation des acteurs principaux
– Les services qui sont produits
– Les prestataires qui offrent ces services
– Les régimes de financement
– Les fonctions qui absorbent ces financements
Base de sondage (nombre du dernier rapport):
– Les bailleurs ou donateurs bilatéraux (7)
– Les bailleurs ou donateurs multilatéraux (9)
– Les bailleurs privés (Initiatives privées, ONG internationales, fondations et firmes internationales) (127)
– Les sociétés d’assurances commerciales (10)
– L’assurance sociale du gouvernement (OFATMA) (1) ;
– Le Ministère de la Santé Publique (1)
– Les prestataires de soins de santé (réf. enquête des ménages et les dix hôpitaux départementaux)
– Les ménages (enquête ménage de l’IHSI/Banque Mondiale actualisée
Un questionnaire adapté à chacune des entités pour la collecte des données élaboré pour inclure les informations pertinentes du questionnaire standard inséré dans l’outil de production des Comptes de Santé
Pour le traitement des données:
– Logiciel «National Health Account Production Tools»:
– Données secondaires comparées aux données primaires pour vérifier l’exactitude de la dépense effectuée et éviter le double comptage
– Codification et préparation des tableaux
– Un consultant pour appuyer l’étape des analyses et la rédaction du rapport
DH: Comment expliquer ce fossé existant entre les dépenses courantes et les dépenses d’investisse- ment dans le secteur ? Quel en sont les impacts?
JPA: Les Dépenses d’investissement de santé (DIS) traduisent les efforts consentis pour renforcer un système de santé. Aussi, plus elles sont importantes et bien utilisées, plus le système de santé offrira une meilleure couverture aux citoyens, plus il sera à même de prendre en charge les cas compliqués et spécialisés et de répondre aux urgences médicales tout en offrant des soins et services de qualité.
97% des Dépenses totales de santé ont été consacrés aux dépenses courantes de santé. Les investissements en santé, apportés exclusivement par l’Administration publique et le Reste du Monde, n’ont donc pas été bien importants au cours de la période ce qui suggère que les capacités de réponse du système de santé ont été très peu renforcées au cours de la période.
Les résultats des dépenses d’investissement de santé par source de financement du dernier rapport derniers CNS montrent que l’Administration publique et le Reste du Monde ont été les deux contributeurs aux DIS pendant les trois exercices à hauteur de 12% et de 88% respectivement la première année, de 38% et de 62% respectivement la deuxième année et de 2% contre 98% la dernière année. La contribution l’Administration publique aux DIS a été de 1 715 197 USD en 2016-2017, de 5 804 744 USD en 2017-2018 et de 404 313 USD en 2018-2019. Quant au Reste du Monde, il a investi 12 286 566 USD en 2016-2017, de 9 545 421 USD en 2017-2018 et de 21 909 192 USD en 2018-2019, soit 6 fois plus que l’Administration publique la première année et 53 fois plus la dernière année
De plus, la faiblesse des infrastructures sanitaires nationales et celle du pourcentage des investissements pour son amélioration en appellent à un changement de stratégie: puisque le système n’est pas en mesure de répondre aux urgences sanitaires et à la prise en charge des cas sévères de maladies, il serait bénéfique d’investir davantage dans la prévention.
Aussi, tant que les coûts catastrophiques seront aussi élevés, la situation économique de la population aussi précaire et l’apport de l’Etat à la santé aussi faible, il sera difficile d’améliorer de manière significative les indicateurs sanitaires.
Le MSPP poursuivra donc un plaidoyer soutenu auprès des autres entités du Gouvernement afin de porter l’Etat à s’impliquer davantage dans le financement de la santé et auprès de ses partenaires pour qu’une plus large part de leur contribution aux Dépenses de santé soit dédiée aux activités de prévention et au renforcement du système de santé haïtien. Ces deux démarches devraient s’initier par la budgétisation des documents de Politiques afin de disposer d’un outil de référence pour non seulement entreprendre les activités de plaidoyer mais encore pour orienter les bailleurs vers une utilisation des ressources disponibles qui soit conforme aux orientations et stratégies du MSPP.
(La suite de l’interview au prochain numéro)
DevHaiti

