Décret budgétaire 2021-2022, entre controverses et inopérabilité
L’opinion publique est partagée quant à l’opérationnalité du Budget 2021-2022, promulgué le 16 mai 2022, par le gouvernement haïtien via le ministère de l’Economie et des Finances. Si pour Michel Patrick Boisvert, ministre de l’Economie et des Finances, le Budget cadre avec la réalité économique du pays, pourtant les réactions contraires se multiplient. La promulgation tardive de ce budget ne joue pas en sa faveur, sans parler des recettes prévisionnelles et estimations de dépenses, qui pour certains, sont très irréalistes. Il faut se rappeler qu’un budget national est un outil de gestion et reflète les priorités d’un gouvernement.
Le montant du Budget de l’exercice fiscal 2021-2022 s’élève à 210.5 milliards de gourdes dont 120.1 milliards de recettes courantes, soit 57 % de la totalité de l’enveloppe. De ces 120.1 milliards, 59.3% (71.2 milliards) proviennent des recettes internes et 40.7% (48.8 milliards) de recettes douanières, selon le ministre Michel Patrick Boisvert. Les 43 % restants seraient financés à la fois par des partenaires extérieurs (24.3 milliards de gourdes), des émissions de bons de trésor estimées à (12.48 milliards de gourdes), et de 46.47 milliards de gourdes au titre de financement monétaire par la Banque de la République d’Haïti (BRH), a précisé le ministre de l’Economie et des Finances. Cette Décret budgétaire, a poursuivi Michel Patrick Boisvert, garantira, entre autres, le rétablissement d’un climat politique et sécuritaire serein pour faciliter la tenue des élections en vue du renouvellement du personnel politique , le financement du Plan de Relèvement Intégré de la Péninsule Sud (PRIPS) ravagée par le séisme du 14 août 2021, la mobilisation des ressources domestiques de manière à être moins dépendantes de l’aide externe et aussi rétablir l’équilibre budgétaire.
Des acteurs de la société civile, des économistes et d’autres personnes avisées prennent le contre pied de l’argumentation du ministre et croient fermement que le Budget doit être soumis aux débats publics. Les Associations Patronales et les Chambres de Commerce expriment quelques considérations relatives au budget pour l’exercice 2021-2022. La rédaction de DevHaïti n’a pas pu trouver l’un des représentants de cette structure pour des explications clarifiant leurs positions. Dans une correspondance adressée au ministre de l’Economie et des Finances, Monsieur Michel Patrick Boisvert, les APCC ont présenté en 8 points leurs préoccupations par rapport au Budget. Ils sont les suivants:
1. Le budget 2021-2022 prévoit des recettes publiques de 120.1 milliards de gourdes, soit une augmentation de 24.6 % par rapport aux recettes de l’exercice 2020-2021 de 96.4 milliards de gourdes.
2. Sur la base des performances des 7 premiers mois de l’exercice et d’un taux de change de
106 gourdes pour un dollar, les recettes douanières en 2021-2022 n’excéderont pas $ 452 millions, en nette diminution par rapport aux déjà maigres recettes de 2020-2021 qui avaient atteint $ 476 millions.
3. Alors que les recettes douanières vont diminuer en 2021-2022, les dépenses courantes (141.9 milliards de gourdes) augmentent de 17.2 %.
4. Nous constatons que pour augmenter les recettes publiques, le gouvernement intérimaire, introduit sans débats publics, des modifications du tarif douanier, des droits d’accisses, du code des investissements ainsi que d’autres taxes et impôts divers. Ce faisant, le gouvernement modifie de façon arbitraire un ensemble de dispositif fiscal et légal qui a un caractère permanent et qui ne saurait être assujetti à des considérations conjoncturelles.
5. Nous pensons que la diminution des recettes de l’Etat est due en grande partie, au fait que l’Administration générale des douanes (AGD) est non performante et n’applique pas le code et el tarif douaniers avec la rigueur nécessaire. Cela, au bénéfice exclusif d’un petit groupe et au détriment du commerce formel
6. Une application sans complaisance du tarif et du code douaniers par des fonctionnaires compétents et honnêtes encore nombreux à l’AGD, bénéficiant de l’appui indéfectible des Autorités, peut en quelques mois:
a) démultiplier les recettes de la douane
b) faciliter en aval de la DGI dans la perception de la TCA et des impôts générés par la vente des marchandises importées
7. Il est naturel que le gouvernement mobilise des ressources internes. Cela ne peut pas se faire au détriment de l’investissement productif. En appliquant les modifications au Budget publié le 16 mai dernier, le gouvernement contribue à éloigner des investisseurs à un moment difficile pour l’économie haïtienne.
8. Pour réduire les manques à gagner ainsi que les déficits budgétaires récurrents et arriver à un budget équilibré, nous croyons qu’il serait plus judicieux de supprimer progressivement les subventions et de garantir la disponibilité du carburant en pratiquant la vérité des prix à la pompe.
Le Budget 2021-2022 suscite des controverses qui ne sont des moindres. Les signataires de cette correspondance dont Monsieur Laurent St Cyr, président de la Chambre de Commerce et d’Indus- trie d’Haïti (CCIH), insistent sur le fait que ce Budget tardivement publié pourrait ne pas donner de résultats concrets susceptibles d’améliorer la situation économique du pays. Les indicateurs macroéconomiques sont déjà en rouges particulièrement cette année, mais depuis plusieurs exercices fiscaux précédents. Le débat autour du Budget 2021-2022 s’impose déjà dans les médias, sur les réseaux sociaux et dans les universités et au niveau des groupes de réflexion. Le moment est décisif, et les décisions publiques pour redresser la barre devraient tenir compte de la gravité de la situation sans écarter la nécessité d’encourager des investissements porteurs d’espoir et capables de réduire le taux chômage déjà explosif.

DevHaiti