Économie

Décryptage de la structure des prix des produits pétroliers en Haïti

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Depuis plusieurs années, la gestion des prix du carburant fait l’objet de vives discussions en Haïti. C’est un sujet politique majeur que les gouvernements ont souvent eu du mal à gérer, en raison notamment de l’aspect politique de la question et son impact sur la société en général.

On se rappelle les deux journées de tensions (6 et 7 juillet 2018) causées par la tentative d’ajustement à  la  hausse  des  prix  du  carburant  par l’administration Moïse-Lafontant. Des journées de troubles, d’ampleurs considérables, ont précédé et succédé celles des 6 et 7 juillet 2018. Le carburant reste un véritable terrain d’affrontements politiques, où certains acteurs, selon leur appartenance, peuvent tirer profit ou non de la situation.

Si la question des prix du carburant est souvent prise en tenailles dans des objectifs politiques, elle pose des problèmes d’ordre financier et économique pour le trésor public en particulier, et pour la société en général. En effet, le carburant est subventionné par l’Etat pour un montant très significatif. Le 7 décembre 2021, le ministre de l’Economie et des Finances, Michel Patrick Boisvert, a souligné dans son intervention que de 2010 à nos jours, les subventions de l’Etat au carburant sont évaluées à 150 milliards de gourdes. En 2020, ces subventions ont été de l’ordre de 30 milliards de gourdes, soit près de 30% des recettes fiscales de l’Etat. De très fortes subventions pourraient être bénéfiques pour le pays dans la mesure où elles ont été allouées suivant des objectifs sociaux ou en termes de compétitivité. De tels objectifs ne sont pas clairs et nous pouvons même penser que les subventions du pétrole ne correspondent à aucun critère d’efficience et d’équité.

Les prix du carburant à la pompe ont été maintenus très en-deçà de la normale jusqu’à l’élimination des subventions début décembre de l’année écoulée par l’administration d’Ariel Henry. Pour une meilleure compréhension de la situation, DevHaiti se propose de faire un décryptage de la structure des prix des produits pétroliers, particulièrement le gasoil afin de mieux saisir l’impact fiscal des subventions et le risque financier auquel l’Etat est exposé dans la mesure où les subventions n’ont aucun effet multiplicateur sur l’économie nationale. Nous illustrons un exemple chiffré en 2018 pour mieux comprendre la structure.

Suivant le tableau suivant extrait du Ministère de l’Economie et des Finances (MEF), nous pouvons observer la structure complète des prix du gasoil avant qu’il soit disponible à la pompe. Cette structure commence avec le prix CIF (Cost, Insurance and Freight en anglais) qui désigne le coût, l’assurance et la cargaison, incluant le transport de la marchandise jusqu’à sa livraison. Après la livraison du pétrole à l’Etat haïtien, pour trouver la valeur totale en douane, il faut ajouter les frais financiers. Cette valeur correspond au prix du gasoil hors taxe. Soumis à l’administration douanière d’Haïti, le pétrole doit subir des frais de vérification, des droits de douanes et des frais portuaires.

Ensuite, viennent les droits d’accise, qui, dans le système fiscal haïtien, couvrent une vaste gamme de produits, dont les hydrocarbures, les véhicules de plus de 2200 cc, l’alcool, le tabac et les allumettes, les boissons gazeuses, ainsi qu’une multitude de produits alimentaires. La base taxable est la valeur CIF dans le cas des importations et la valeur ex-usine dans le cas de la production intérieure. Dans le cas de certains produits, la base taxable peut être aussi la valeur en douane (CIF + Droits de douanes).

Si dans la majorité des cas s’applique une méthodologie ad valorem pour trouver les droits d’accise, dans le cas des produits pétroliers, c’est un peu plus complexe. En effet, les produits pétroliers sont assujettis à deux taxes, les droits d’accise et l’accise variable. Cette dernière étant ajustée afin de limiter l’évolution du prix des hydrocarbures sur le marché local. En fonction du prix d’importation et de la structure des prix et marges arrêtés pour le précédent arrivage de produits pétroliers, il est déterminé que le nouveau prix du brut entraînera une variation de plus de 5% du prix de détail. Dans la négative, l’accise variable est ajustée à la hausse ou à la baisse afin de garder le prix de détail identique au niveau courant, de tels ajustements pouvant entraîner une taxe négative. Si la hausse du prix de détail est de plus de 5%, l’accise variable n’est pas ajustée, permettant au prix de s’ajuster au prix mondial. Un tel système repose sur un ensemble de marges d’importation et de distribution fixes et sujets à des renégociations fréquentes entre le gouvernement, les importateurs et les distributeurs.

Ainsi, les droits d’accise appliqués aux produits pétroliers en Haïti ne sont pas fixes, ils dépendent du contexte des prix à l’échelle mondiale et des négociations en plusieurs acteurs dans l’arène politique du pétrole. Dans l’exemple de la structure des prix du gasoil en 2018 que nous considérons dans le cadre de la présente, pour un prix CIF de 175.1724 gourdes, correspondent des accises de

23.486 (23.0460 + 0.44) gourdes, soit 13.4% du CIF. Les droits d’accise ajoutés à tous les autres prix que nous venons de citer donnent le prix ex-douane. Ce prix correspond au prix d’importation plus les coûts auxquels est assujetti le gasoil par le système douanier haïtien.

Ces prix qui sont d’ordre fiscal et d’importation étant comptés, il faut prendre en compte les marges des entreprises qui entrent dans la chaîne de services pétroliers, à savoir les compagnies et les distributeurs. Tous ces prix, plus le transport donnent un sous-total auquel si nous ajoutons les accises variables (déjà compté dans le calcul de notre accise total) donneraient le prix à la pompe du gallon de gasoil. Toutefois, comme nous pouvons le lire dans le tableau, il y a les fameuses marges de stabilisation qui correspondent aux totales des subventions par gallon de gasoil de l’Etat haïtien. Dans notre exemple, en tenant compte de ces marges dans la structure des prix, le prix à la pompe (173.1724) devient inférieur au prix CIF (175.1724). Ce qui signifie que l’État haïtien n’appliquait en réalité aucune taxe ou aucun droit sur le gasoil, faisant même face à une perte sèche.

Ce décryptage est élaboré dans le double objectif de comprendre la dynamique de la structure des d’observer le processus d’appel d’offres pour l’octroi du marché des produits pétroliers, d’exiger un rapport mensuel au ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI) sur les contrôles portant sur la qualité des produits pétroliers en vente sur le prix du carburant en Haïti et d’avoir une idée sur l’impact financier/économique des subventions. Ces subventions, rappelons-le, n’ont pas été allouées dans un objectif social ou de compétitivité. Elles ne s’alignent à aucun des deux grands critères microéconomiques des subventions qui sont l’efficience et l’équité. Déjà en 2018, selon une étude conjointe de la Banque Mondiale et du MEF, 20% des plus riches consomment 93% de la gazoline et du diesel. Avec les ajustements quasi réussis des prix du pétrole par l’actuelle administration, nous espérons que cette décision aidera le pays financièrement et que les fonds récupérés seront utilisés dans des secteurs à plus grand bénéfice marginal social.

DevHaiti

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