Développement durable

Faso dan fani : Des tisseuses burkinabè, entre profit et concurrence déloyale

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Nous publions in extenso ce reportage de Kattia Jean François produit dans le cadre d’un stage d’un mois au Burkina Faso offert par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) aux lauréats de son concours du Prix du jeune journaliste 2021. Kattia est sortie deuxième lauréate dans la catégorie presse écrite.

Reportage

Il est 10 heures ce mardi 1er février au quartier Cissin de Ouagadougou, la capitale burkinabè.

C’est une ambiance des jours ordinaires avec les bruits de cyclomoteurs et de véhicules. À quelques pas du Lycée Vénégré se trouve le siège de l’Association des tisseuses de Kadiogo (ATK). À l’entrée de cet espace de plus de 240 mètres carrés, depuis le portail, différents bruits attirent notre attention. À l’intérieur plusieurs longs fils très épais et de différentes couleurs sont reliés à des machines à tisser. À côté, un lot de gros sacs blancs contenant des rouleaux de fils traine au sol avec divers objets épar- pillés çà et là.

Sous un hangar, deux femmes, la trentaine bien sonnée assises côte à côte, chacune devant une machine à tisser, rient tout en travaillant. Ce sont les tisseuses de l’association qui confectionnent des pagnes traditionnels communément appelés Faso dan fani pour la célébration de la Journée internationale de la femme, le 8 mars prochain.

Esther Convolbo, 36 ans, mariée et mère de deux enfants, est tisseuse depuis 2008. Mme Convolbo, manie avec dextérité une navette de la main gauche vers la main droite le tout en harmonie avec des coups de pédales. Grâce à ce métier, elle parvient à faire face, aux côtés de son époux, aux charges familiales. «Cela me permet de contribuer aux dépenses du foyer comme payer la scolarité des enfants et la nourriture. L’association me paie 15 mille francs CFA par mois en plus, j’ai la possibilité d’avoir mes propres commandes. C’est un métier très rentable pour moi d’autant plus que c’est mon unique gagne-pain», confie-t-elle.

L’autonomie financière des femmes à travers l’apprentissage ou toutes autres activités génératrices de revenus est selon Mme Convolbo très importante.

Un métier féminin

« Malheureusement certaines d’entre nous ne veulent pas s’y mettre parce qu’elles ignorent toute la fierté que cela procure », dit-elle avec un sourire. Et ce n’est pas Marie Kaboré, tisseuse de l’ATK qui dira le contraire. « Cela fait 25 ans que je pratique ce métier. C’est ma principale source de revenus, et j’en suis fière », explique-t-elle. Chaque jour, tôt le matin, Mme Kabore parcourt plus d’une quinzaine de kilomètres de son domicile situé au quartier Nagrin à la sortie Sud de la capitale pour se rendre à son lieu de travail.

Le métier n’a plus de secret pour elle, étant capable de confectionner deux pagnes par jour. Cela demande une certaine concentration, car il vous faut un bon calcul pour pouvoir placer ces fils, souligne-t-elle. « Pour parvenir à avoir ce morceau de pagne de cette couleur, je mets le fil bleu 15 fois, le jaune 3 fois et le mauve 3 fois », précise-t-elle. Afin de profiter pleinement de leur savoir-faire, Esther et Marie lancent un appel aux bonnes volontés à travers un accompagnement en matière première. « Notre gros souci se trouve au niveau du manque de fil. Cela fait que nous sommes par moment en chômage technique », regrettent-elles.

Tout comme les tisseuses de l’association, Safi Kabore, née le 23 avril 1992, célibataire, mère d’une fille est piquée par l’amour du métier. Devant la concession familiale à moins d’une dizaine de kilomètres du siège de l’ATK se dresse son atelier. Assise sur une chaise placée devant sa machine à tisser, elle s’attèle à finir son premier pagne du jour.

« C’est cette activité qui me permet de nourrir ma fille et moi. Je tisse les pagnes Faso dan fani depuis 5 ans. C’est un métier qui est plus exercé par les femmes », avance-t-elle.

Puis de préciser qu’elle a appris le métier de sa mère qui était une tisseuse née. À son avis, elle peut réaliser un pagne et demi en une journée. Pour avoir ce produit fini, Safi Kaboré commande les fils à plusieurs couleurs sur le marché local.

Méthode de travail impressionnante

À proximité de la famille Kaboré, une experte dans le secteur de la teinture des fils force l’admiration de ses clients.es. Suzanne Nikiema/Convolbo, 54 ans, mariée et mère de 6 enfants, est tisseuse depuis sa tendre enfance. Aujourd’hui présidente de l’ATK, elle a plusieurs cordes à son arc: tisseuse, formatrice de tisseuses, spécialiste en teinture de fil, chef d’entreprise de commercialisation des fils et de pagnes Faso dan fani.

Son domicile, en cette mi-journée du mardi, présente une allure d’un atelier de fabrication et de teinture de pagnes traditionnels. Dans la cour, trois filles font d’interminables va-et-vient. Elles s’apprêtent à changer la couleur d’un lot de fil blanc, sous le contrôle de Mme Nikiema. «Aujourd’hui, nous voulons faire passer nos fils à la couleur mou- tarde», explique avec enthousiasme la plus jeune des filles, Ariane Jessica Nikiema.

Pour obtenir cette couleur, poursuit la jeune fille de 22 ans, il faut arranger les fils de sorte à faire un mouvement circulaire. « On les trempe par la suite dans de l’eau oxygénée afin qu’ils deviennent plus blancs pour que l’opération réussisse », assure-t-elle. De façon pratique pour obtenir la couleur moutarde pour un paquet de fil, il nous faut 10 litres d’eau chaude, 3 cuillérées de bicarbonate, 3 cuillérées de teinture jaune moutarde, 1 cuillérée de teinture marron et 1 millilitre de soude caustique, détaille-t-elle.

Le mélange est remué jusqu’à ce qu’il devienne homogène avec une mousse qui indique déjà la couleur souhaitée. Ensuite, on plonge le paquet de fil dans la composition pendant 30 minutes au minimum, explique la professionnelle Ariane. Une fois le fil bien coloré et séché, il est prêt à être Dame Nikiema a ouvert une boutique à cet effet pour la vente  d’une  gamme  de  couleurs  de  fils  aux tisseuses qui à leur tour vont se charger de les transformer en pagnes avec divers motifs

Une activité économique au ralenti

L’Association des tisseuses de Kadiogo offre dans leur boutique une variété de pagnes traditionnels. La responsable de vente, Jocelyne Ouédraogo, 31 ans, célibataire et mère d’une fillette, indique que le prix du pagne Faso dan fani varie entre 5 mille et 10 mille FCFA. Tout dépend de la consistance du tissu et des modèles, indique-t-elle.

Concernant la vente, Mlle Ouédraogo avoue que le marché est relativement satisfaisant. Au regard de la situation nationale difficile, la vente de nos produits se fait à pas de tortue, relève Suzanne Nikiema-Convolbo. «L’un des plus grands défis auxquels nous faisons face est l’augmentation du prix du fil sur le marché alors que la demande est en baisse», regrette, la présidente de l’ATK.

En plus, d’autres firmes chinoises copient nos modèles, les confectionnent ailleurs et reviennent les vendre à vil prix ici entre 1 000 à 2 mille FCFA, fulmine-t-elle. Puis de préciser que ces pagnes importés sont de mauvaise qualité, parce que faits à base du Nylon. «Nous, nous proposons du coton pur. Les prix ne peuvent pas être les mêmes. Le bal de coton nous a coûté 85 mille FCFA pour 30 pagnes. Le prix minimum du pagne si nous voulons réaliser des bénéfices est de 5 mille francs CFA. C’est pourquoi la plupart des clients.es jugent nos prix très élevés, mais ce sont des pagnes de bonne qualité», se justifie-t-elle.

D’où, le cri de cœur de l’association qui invite les autorités à prendre des mesures protectionnistes en faveur des produits locaux contre la concurrence déloyale.

Faso dan fani entre tradition et mystère

Le pagne traditionnel ou Faso dan fani est de plus en plus utilisé par les différentes couches sociales du Burkina Faso. Bon nombre de Burkinabè y trouvent un lien avec la tradition et par conséquent travaillent à perpétuer ces valeurs culturelles. La responsable de vente de l’ATK, Jocelyne Ouédraogo explique que pour les cérémonies de mariage, il est recommandé de porter un modèle de pagne Faso dan fani, car cela est porteur de chance aux jeunes mariés.

« Certaines personnes déterminent même des jours fixes pour en porter. Le pagne traditionnel noir est souvent recommandé aux femmes qui accouchent », précise-t-elle. Aujourd’hui des citadins, des intellectuels n’hésitent pas à porter des vêtements Faso dan fani pour manifester leurs attachements aux idéaux du leader de la révolution burkinabè Thomas Sankara, qui avait fait de la promotion du pagne Faso dan fani, son combat personnel.

Cependant, d’autres Burkinabè se montrent toujours réticents à l’utilisation de ces pagnes pour diverses raisons liées parfois à des superstitions. Selon Mlle Ouédraogo, certains maris interdisent même à leurs femmes de tisser le pagne traditionnel, car ce métier constituerait un blocage à la prospérité du conjoint.

Métier de tissage

Dans la famille Nikiema, la confection du pagne traditionnel est presque devenue une question d’héritage puisque le métier est transmis de génération en génération.

La quinquagénaire de la famille, Suzanne Nikiema a appris le métier à bas âge avec sa mère. Aujourd’hui, c’est à son tour de transmettre son savoir à ses trois filles. « Nous sommes une famille de tisseuse. Nous le faisons avec beaucoup de passion et d’amour », explique Ariane Jessica Nikiema, une étudiante. Pour elle, étude et apprentis- sage d’un métier sont compatibles. « Même si tu es à l’université, connaître un métier est un avantage. Avec cette activité, j’ai de petites économies pour mes besoins et j’invite mes sœurs à faire de même », conseille-t-elle.

Cette activité a permis à la mère de Jessica d’assurer son autonomie financière. Les produits sont vendus à Ouagadougou, à l’intérieur du pays, au Bénin, en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Du 6 au 20 décembre 2021, Mme Nikiema a participé à la 29e édition de la foire internationale de Dakar où elle a pu exposer ses articles. À l’image de la famille Nikiéma, plusieurs tisseuses apprennent le métier à leurs filles qui nourrissent à leur tour une ambition de

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