Haïti dans le collimateur d’une grave crise alimentaire en 2022
Depuis tantôt quelques années, le pays prend la route sans retour vers une série de crises. De la politique à la culture, en passant par la sécurité, la gouvernance, la structure sociale, les institutions etc. Et comme un ouragan de catégorie quatre, arrive à grand pas vers nous une grave crise alimentaire, où la majorité de la population se trouvera peut-être face à face avec une situation de famine.
Selon un rapport publié par les Nations unies le 7 décembre 2021, on a enregistré en 2021 la plus grande augmentation du niveau de la faim dans la région Caraïbe depuis 2000, avec une augmentation de près de 10%. Et pour 2022, les nouvelles ne sont pas très rassurantes. L’économiste Etzer Emile, dans son émission « Education économique » du 23 Janvier 2022, sur les défis et les opportunités dans le secteur agricole haïtien, expose quatre à cinq raisons pour lesquelles les prix des produits alimentaires devraient augmenter durant cette année.
Comme premier facteur évoqué, l’augmentation du prix du pétrole sur le marché international qui devrait affecter non seulement la production des denrées agricoles, mais aussi la transportation et la commercialisation des produits alimentaires. Et, comme nous dépendons en grande partie du marché international pour l’acquisition de nos produits alimentaires, cette augmentation des prix devrait normalement nous affecter et ceci très fort.
Le pétrole étant un produit transversal, comme deuxième facteur, nous avons l’augmentation des engrais, des semences et des intrants, due non seulement à l’augmentation du prix des produits pétroliers mais aussi à la suspension des subventions plus précisément sur les engrais. Ce qui va fragiliser encore plus le secteur agricole haïtien, quand nous considérons les difficultés qu’il y avait déjà dans la production agricole dans le pays : problème du morcellement des terres, le problème de l’irrigation, le problème des méthodes et des outils de production, problème de main-d’œuvre lié migration soit vers les grandes villes ou vers un pays étranger, problème du manque d’investissements publiques et privés dans l’agriculture, problème de la prolifération des constructions sur les terres arabes, problème lié aux changements climatiques (sécheresse, inondations etc.), problème des voies de communication entre les lieux de production et les lieux de vente, c’est-à-dire problème de routes agricoles, problème d’usines de transformation etc. A rappeler que l’agriculture à elle seule est responsable de près de 40% des produits de consommation alimentaire du pays (Dernier rapport de la BRH en 2016, 45%)
Comme troisième facteur, nous avons l’augmenta- tion des prix de transport maritime encore liée à l’augmentation des produits pétroliers et aussi aux nouvelles exigences liées à la Covid-19. Puisque la voie maritime est la plus utilisée dans le transport des produits alimentaires, l’augmentation des prix des transports devrait du même coup entraîner l’augmentation des prix des produits alimentaires aussi.
En quatrième lieu, nous avons l’augmentation du dollar par rapport à la gourde. Deux aspects à consi- dérer: le dollar affecte directement le prix des produits importés puisqu’ils sont achetés en dollar, mais aussi avec la dévalorisation de la gourde, la valeur réelle des revenus a carrément baissé. Ce qui signifie que le montant en gourde qu’une personne percevait quand le dollar était à 75 gourdes par exemple va subir deux pressions quand le dollar passe 80 gourdes. Il ne faut pas oublier que près de 30% du PIB du pays est absorbé par les transferts venus de l’étranger, sans oublier aussi les dérives qui existent sur le marché d’échange. En résumé, l’augmentation du dollar par rapport à la gourde va exercer une grande influence sur les prix des produits alimentaires et ceci que ce soit ceux qui sont produits dans le pays, puisque la valeur réelle des revenus va baisser, que ce soit ceux qui sont importés puisque le dollar va directement affecter les prix du marché.
Et comme cinquième et dernier facteur, nous avons la fameuse question de l’instabilité politique et de l’insécurité dans le pays. Ce facteur à lui seul prendrait tout un livre et en plus de plusieurs tomes. Nous avons la situation de l’insécurité à Martissant qui scinde le pays en deux. Le Sud reste au Sud et le Nord au Nord. Pour conséquences, Port-au-Prince est privé des denrées qui provenaient du Grand Sud et le Grand Sud a perdu un de ses plus grands marchés d’écoulement qui est Port-au-Prince et vice versa, puisque la majorité des produits importés sont débarqués généralement à Port-au-Prince pour être transportés dans les villes provinces. Sans mentionner les diverses usines de la zone métropolitaine qui ne peuvent pas livrer leurs productions dans le Grand Sud. C’est pratiquement le même cas à la Croix-des-Bouquets, situation qui rend difficile et coûteux le transport de Port-au-Prince à la zone frontalière et inversement.
Les autres régions du pays ne sont pas non plus épargnées par cette situation, nous pouvons faire mention des cas de manifestations et de banditisme dans les zones de Cabaret, de l’Arcahaie, de Mirebalais, Saint-Marc, Gonaïves etc. Tout ceci a déjà affecté la hausse des prix des produits alimentaires et va sûrement continuer, puisque la solution à ces problèmes n’existe pas encore. Nous pouvions aussi parler de la frustration, du découragement, des doutes que créent aussi ces situations tant chez les producteurs que chez les importateurs. Ce qui va nous conduire sûrement à des situations de rareté, et quand il y a rareté, la hausse des prix n’est pas loin. Et quand nous nous rappelons que la crise politique ne facilite pas la réponse aux différents défis pré cités, ceci nous ramène à croire que l’année 2022 ne sera pas meilleure que les années précédentes.
Mais, il n’y a pas seulement les défis, il y a aussi des opportunités même au milieu de ce tableau sombre. Rappelez-vous que même avec toutes ces difficultés, le pays reste l’un des premiers exportateurs d’huiles essentielles dans la région, nous exportons encore du cacao, des fruits notamment la mangue etc. Rappelez-vous que nous sommes une île avec environ 1700 kilomètres de côte, ce qui rend le pays propice à la pêche. Rappelez-vous aussi que les usines de transformation manquent dans le pays, que la population aura toujours besoin de quoi se nourrir.

DevHaiti