Développement durable

Haïti : le spectre de la faim se précise…

5 minutes lecture

Avec des taux d’inflation de 19,7 % et de 24,6 % enregistrés respectivement en novembre et en décembre 2021, si la tendance persiste, 4,6 millions d’Haïtiens pourraient se retrouver en situation d’insécurité alimentaire dès mars 2022. Autrement dit, la faim guette le pays si rien n’est fait, du moins à court terme. Cette alerte du responsable de la Coordination nationale de la sécurité alimentaire (CNSA), Harmel Cazeau, est compatible à celle lancée quelques jours auparavant par le directeur exécutif de l’ONG humanitaire de Food for the Poor, Mgr Ogé Beauvoir.

Les agents économiques, les acteurs, les décideurs ne mâchent plus leurs mots pour décrire la situation d’insécurité alimentaire dans le pays qui s’est aggravé après le séisme du 14 août 2021 et les actes grandissants d’insécurité enregistrés notamment dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Dans l’ensemble des zones non affectées par les derniers chocs, 35.1% des ménages estiment que leur situation dans les six prochains mois va s’empirer et 32% d’entre eux sont dans l’incertitude en choisissant la modalité «Ne sait pas», révèle une enquête de la CNSA titrée «Rapport d’analyse de la Sécurité Alimentaire et de Nutrition».

Pour la période allant de septembre 2021 à février 2022, 14 % de la population analysée (1, 301,546 personnes) est classé en phase 4 de l’IPC (Urgence) et 30% (2, 935,302 personnes) en phase 3 de l’IPC (Crise), soit 44% de la population en besoin d’une action urgente. De mars à juin 2021, 14% de la population analysée (1 307 135 personnes) est en phase 4 de l’IPC (Urgence) et 33% (3 160 304 personnes) en phase 3 de l’IPC (Crise), soit 47% de la population nécessitent une action urgente pour la période de projection.

Dans les zones non affectées par les chocs, la situa- tion est alarmante dans deux zones où un fort pour- centage de ménages a recours aux stratégies d’ur- gence: Nord-Ouest (53.7%) et le camp de bas Delmas (59.4%). Et les disparités sont aussi impor- tantes entre villes et zones rurales, à quelques exceptions près. Alors que dans les zones affectées par les aléas naturels (séisme/inondations), le recours aux stratégies d’urgence est préoccupant dans les zones Nippes (41.9%) et Grand-Anse (38.3%). L’enquête de la CNSA précisait déjà en décembre que 32.39% de la population à l’échelle nationale est en situation de sécurité alimentaire modérée et 16% en situation d’insécurité alimen- taire sévère.

La présente analyse de la CNSA comparée (septembre 2021 – février 2022), à celle conduite en août 2020, montre une détérioration de la situation de certaines zones notamment le bas Nord-Ouest, le Sud et les Nippes, et Cité Soleil qui étaient antérieurement classées en phase 3 de l’IPC (crise) sont passées en phase 4 de l’IPC (urgence). Au niveau des départements non affectés, le taux de la malnutrition aiguë globale (sévère + modérée) selon le PB est de 4.6% contre 3.6% dans les départements affectés. Ces taux sont acceptables (< 5%) selon les seuils de l’OMS.

Les chocs ont provoqué aussi des mouvements de population. Pour l’ensemble des zones non affectées, les trois principales raisons d’immigration sont respectivement le travail, les études et l’insécurité. L’analyse des données au niveau des zones affectées indique que, dans l’ensemble, les principales raisons de la migration des ménages étaient de retrouver la famille dans un autre lieu (50.2%), d’aller retrouver sa maison (19.3%) et l’obligation de quitter l’endroit actuel (11.2%).

L’enquête de la CNSA constate que dans les zones non affectées par les derniers chocs, plus de 80% des ménages ayant demandé un crédit durant les 12 derniers mois l’ont reçu, alors qu’au niveau des zones affectées seulement 35.7% de ceux qui ont demandé de crédit l’ont reçu. Quelle que soit la catégorie de dépenses alimentaires considérées (dépenses alimentaires au comptant et à crédit), les montants dépensés sont plus élevés dans les zones non affectées. Dans l’ensemble, les dépenses alimentaires mensuelles réalisées au comptant sont supérieures chez les ménages dirigés par les femmes.

Tout compte fait, les ravages causés par le séisme d’août 2021 dans la péninsule du Sud d’Haïti conjugués à une situation de siège de la capitale, ajoutés aux actes d’enlèvements en particulier et de l’insécurité en générale, font craindre le pire. Si en début de 2022, l’économiste Etzer Emile a fait allusion à un éclatement social dans le pays, Thomas Lalime de son coté, va jusqu’à comparer la situation socio-économique de mars 2008 à celle de fin d’année 2021, avant d’évoquer de probables troubles qui s’apparenterait aux émeutes de la faim.

DevHaiti

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *