Haïti : les besoins de financement de développement estimés à environ 44 milliards de dollars américains
Un panel de discussion, lors du dialogue multi-acteurs sur le financement des Objectifs de développement durable (ODD) organisé les 5 et 6 septembre 2023, a mis en lumière l’énorme déficit entre les besoins de financement du développement et l’insuffisante mobilisation aussi bien du financement public interne et externe que du financement privé interne et externe.
Quid de la mobilisation du financement public interne?
Le financement public interne se réfère aux ressources financières provenant de l’État et des collectivités territoriales, principalement sous la forme de prélèvements obligatoires tels que les impôts, les taxes et les cotisations, ainsi que d’emprunts. Il permet de financer les dépenses publiques liées au fonctionnement, aux investissements et à la redistribution des ressources.
Le financement public interne en Haïti est largement insuffisant par rapport aux normes internationales. La pression fiscale, qui mesure le rapport entre les recettes fiscales et le produit intérieur brut (PIB), s’élevait à 6,4 % en 2019, 6,2 % en 2020 et 5,9 % en 2021. On estime qu’elle atteindrait 5,4 % en 2022, et les projections prévoient une augmentation à 6,6 % en 2023, 6,9 % en 2024 et 7,3 % en 2025. Ces chiffres demeurent nettement inférieurs à la moyenne des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, qui se situe à 23 %. De plus, la part des ressources nationales dans le plan d’investissement public (PIP) reste faible, représentant seulement 28 % en 2011-2012 et 33 % en 2012-2013.
«Il y a des efforts entrepris pour améliorer le financement public interne en Haïti, tels que le renforcement de l’administration fiscale, la modernisation du système d’information, la simplification des procédures, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, la diversification des sources de revenus, la mobilisation des ressources internes non fiscales et la réforme du cadre juridique», a fait savoir Charles Cadet, Coordonnateur Réformes des Finances publiques, intervenant sur la mobilisation du financement interne public.
Comme contraintes persistantes qui entravent le financement public interne en Haïti, on peut citer : la faible capacité administrative, la faible assiette fiscale, la forte dépendance vis-à-vis des importations, le manque de culture fiscale, la corruption, l’instabilité politique et sociale, ainsi que les chocs externes.
De nouvelles possibilités à explorer existent afin d’accroître le financement public interne en Haïti. Parmi ces possibilités figurent l’élargissement de la base fiscale, l’intégration du secteur informel, l’amélioration de l’équité et de l’efficacité du système fiscal, l’accroissement de la transparence et de la reddition des comptes, l’amélioration de la qualité des dépenses publiques et l’optimisation de l’utilisation des ressources internes.
Analyse des défis de financement en Haïti
L’économie haïtienne est confrontée à d’importants défis en matière de financement, limitant ainsi sa capacité à financer adéquatement le développement du pays. Cette analyse examine divers aspects afin de mettre en lumière les enjeux essentiels.
Le financement public en Haïti repose principale- ment sur les ressources internes, telles que les taxes, ainsi que sur les ressources externes, qui représente près de 60 % des instruments financiers proviennent de sources extérieures. Toutefois, il est crucial de souligner que le pays doit maintenir un équilibre délicat entre les ressources internes et externes pour garantir sa stabilité financière.
Malgré ces ressources, Haïti fait face à un défi de taille : il dispose d’environ 1,4 à 1,5 milliard de dollars disponibles pour financer l’ensemble de son économie. Cela est nettement inférieur aux besoins de financement, estimés à environ 44 milliards de dollars pour couvrir tous les besoins de développement.
Face à cette contrainte financière, il est impératif de donner la priorité aux investissements. Cela signifie que le pays doit déterminer quelles sont les initiatives les plus cruciales pour son développement et allouer les ressources en conséquence.
Un nouveau mécanisme appelé “Total Official Support for System Development” (TOSSD) est en train d’émerger. Il vise à mesurer le soutien officiel total pour le développement. Ce mécanisme pourrait avoir un impact sur la manière dont les ressources financières sont allouées.
Les critères d’allocation des ressources financières sont en train de changer. Désormais, chaque activité financée devra contribuer directement à des objectifs de développement spécifiques (ODD). Cela renforce l’exigence de résultats concrets pour les investissements.
Une intégration étroite des activités financées dans le budget national est désormais nécessaire. Cela implique une coordination efficace entre les bailleurs de fonds, la programmation des activités et les ODD, afin d’optimiser l’utilisation des ressources.
Une tendance à la concentration géographique des financements au développement est observée, ce qui pourrait avoir un impact sur Haïti. Il est crucial pour le pays de rester compétitif dans l’obtention de ces ressources.
Haïti doit relever un défi complexe en matière de financement. La priorisation des investissements, l’adaptation aux nouveaux mécanismes de soutien et la coordination entre les parties prenantes sont essentielles pour surmonter ces défis. Le pays doit également continuer à rechercher des opportunités pour mobiliser des ressources supplémentaires et garantir un développement durable.
Cette analyse met en évidence la nécessité pour Haïti de repenser son approche du financement du développement et de s’adapter aux nouvelles réalités du paysage financier mondial.
Evaluation du financement du développement durable (EF2D) d’Haïti
Une évaluation du financement du développement durable (EF2D) d’Haïti est réalisée. Gabriel Oscar, du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), expose les principales politiques de financement public externe, les besoins de financement pour atteindre les ODD, et les mécanismes de coordination et de suivi de l’aide officielle au développement durable (TOSSD).
L’intervenant analyse les besoins de financement pour réaliser la vision de l’Émergence d’Haïti en 2030, traduite dans le PSDH. Il se base sur l’approche SDSN, qui estime le coût total des ODD à 44,4 milliards de dollars américains pour la période 2023-2030, soit une moyenne annuelle de 5,5 milliards de dollars. Il compare ensuite les ressources disponibles, provenant des sources publiques et privées, nationales et internationales, et identifie un gap de financement de 8%, soit 3,5 milliards de dollars. Il propose des mesures pour mobiliser davantage de ressources, notamment en améliorant l’efficacité fiscale, en renforçant le secteur privé, et en diversifiant les partenaires financiers.
L’intervention poursuit en examinant le lien entre les ODD et l’APD, et en présentant le TOSSD comme un nouveau mécanisme de suivi des flux de ressources mondiales en faveur du développement durable. Il explique que le TOSSD vise à capturer à la fois les flux transfrontaliers et les biens publics internationaux, incluant le soutien concessionnel et non concessionnel des bailleurs bilatéraux et multilatéraux, traditionnels et émergents, ainsi que les financements privés mobilisés par les interventions officielles. Il présente les principaux résultats du TOSSD pour l’année 2021, qui couvrent les activités de 106 répondants, pour un montant total de 436 milliards de dollars. Il souligne que le TOSSD est l’une des sources de données pour l’indicateur 17.3.1 des ODD, qui mesure le volume des flux financiers destinés aux pays en développement.
En conclusion, il analyse l’allocation du TOSSD aux ODD, en fonction du nombre d’objectifs déclarés par chaque activité et du total des décaissements nets associés. Il montre que près de la moitié des flux (49%) ne sont liés qu’à un seul ODD ou cible d’ODD, et que 72% n’en listent que deux. Il indique également la répartition des flux par ODD, en mettant en évidence que les ODD 8 (travail décent et croissance économique), 9 (industrie, innovation et infrastructure) et 17 (partenariats pour la réalisation des objectifs) sont les plus financés, tandis que les ODD 14 (vie aquatique) et 15 (vie terrestre) sont les moins financés.
Dialogue au sujet du financement privé externe
Une analyse des avantages et des inconvénients des investissements directs étrangers (IDE) pour Haïti est présentée par Raulin Lincifort Cadet, s’appuyant sur des données statistiques et des études de cas. Il est souligné que les IDE ont le potentiel de contribuer à la création d’emplois, à la diversification économique, à l’amélioration de la productivité et au transfert de technologies. Les risques inhérents aux IDE, tels que la dépendance aux marchés étrangers, la concurrence déloyale envers les entreprises locales, la fuite des capitaux et les répercussions négatives sur l’environnement et la société, sont également reconnus. Il est conclu que des politiques publiques appropriées doivent accompagner les IDE afin d’en maximiser les avantages et d’en minimiser les coûts.
L’accent est mis sur le rôle de la diaspora haïtienne dans le financement du développement du pays. Il est rappelé que les transferts de fonds de la diaspora représentent environ 20% du PIB d’Haïti et sont principalement utilisés pour la consommation des ménages et l’éducation. Des suggestions sont formulées pour orienter ces transferts vers des investissements productifs, notamment dans les secteurs agricole et immobilier, qui présentent un fort potentiel de croissance et de création de valeur ajoutée. Il est également proposé de faciliter l’accès de la diaspora au marché haïtien en simplifiant les procédures administratives et en proposant des produits financiers et d’assurance adaptés à ses besoins.
Diverses mesures concrètes sont présentées afin de renforcer le financement privé externe de l’économie haïtienne. Ces mesures comprennent notamment la mise en place de réformes visant à réduire les barrières à l’entrée et les monopoles, favorisant ainsi l’ouverture du marché haïtien à de nouveaux investisseurs. Il est également recommandé d’élaborer en collaboration avec le secteur privé un plan d’action visant à stimuler la croissance des IDE, de réévaluer les accords relatifs aux IDE et les accords de protection des investissements pour adopter les meilleures pratiques des pays émergents, de créer un programme d’incitation à la diaspora pour qu’elle investisse dans la création de nouvelles entreprises axées sur l’exportation, de faciliter les démarches administratives de création d’entreprises pour la diaspora à partir des pays d’accueil, de développer des produits financiers visant à formaliser la collaboration entre la diaspora et les acteurs économiques résidant en Haïti, notamment dans la construction de logements et la création d’entreprises, ainsi que de proposer des produits d’assurance adaptés à la diaspora, tels que l’assurance immobilière.

DevHaiti

