Gouvernance

Insécurité : les appels pour un appui psychosocial se multiplient…

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Le 13 avril 2022, la Cellule d’Intervention psycho- thérapeutique d’urgence d’Haïti (CIPUH), mise sur pied par l’Association haïtienne de Psychologie (AHPSY), célèbre ses deux ans d’existence. Nous publions in extenso cette interview de Pascal Nery Jean-Charles, psychologue clinicien, président de l’AHPSY, accordée au média en ligne Enquet’Action dans laquelle il fait le point sur les réalisations et perspectives de la CIPUH qui offre des services de santé mentale à la population.

La cellule d’intervention psychothérapeutique d’urgence d’Haïti (CIPUH) a été créée le 13 avril 2020 par l’Association haïtienne de Psychologie (AHPSY) en pleine période de Covid-19. Cette initiative a été lancée dans le but de fournir à la population haïtienne des soins psychothérapeutiques. De son existence à nos jours, la CIPUH a déjà reçu beaucoup d’appels venant des personnes qui présentent des symptômes liés surtout à l’anxiété et à la dépression.

Pour sa première année d’existence, la CIPUH a reçu 2 395 appels et de mai à décembre 2021, pas moins de 2 796 appels. Au total, plus de 5 200 appels en 2 ans. «Les appels augmentent par rapport à la crise que traverse le pays», soutient Pascal Nery Jean-Charles, président de l’AHPSY. Le climat sécuritaire du pays en est la cause

«Nous avons une hausse des appels par rapport à des événements qui surviennent à l’entrée sud de Port-au-Prince, Martissant et d’autres zones dites de non-droit. Nous recevons beaucoup plus d’appels que l’année dernière. Les appels viennent beau- coup plus de femmes que d’hommes. Les motifs des appels sont variés. Il y a des personnes qui appellent dans le cadre de violences faites aux femmes, il y en a celles qui appellent pour la dépression, il y a des parents qui appellent pour leurs enfants parce qu’ils présentent des comportements inhabituels qui affectent leurs rendements à l’école, etc.», informe-t-il. La situation est alarmante.

Question (Q): D’où était venue l’idée de mettre sur pied CIPUH?

Pascale Nery Jean-Charles (PNJC): L’idée de la CIPUH est venue par rapport aux besoins de doter la population de services en santé mentale accessibles et gratuits. La situation sanitaire, sociale et sécuritaire a activé la mise en place de la ligne grâce au soutien de certains partenaires, dont la Digicel et l’engagement bénévole de nos membres.

Q: À quel moment recevez-vous le plus d’appels à CIPUH ? De quelle zone recevez-vous plus d’appels?

PNJC: Les appels varient en fonction des différents moments et événements dans le pays. Par exemple, après le tremblement de terre d’août 2021, c’était dans la zone sud du pays. Nous recevons les appels de partout, majoritairement dans la zone de Port-au-Prince et ses environs, et dans la zone des plaines. Mais nous recevons des appels de partout.

Q: En moyenne, combien d’appels recevez-vous par jour et quelles sont les différentes causes majeures?

PNJC: Les causes majeures sont liées à l’angoisse et la peur de l’insécurité, plus de 28 % des appels. Ensuite, nous trouvons des cas liés à la violence conjugale, sexuelle. Ça varie en fonction des moments de la journée. Pendant deux ans, nous avons reçu plus de 5 200 appels. Ce qui fait en moyenne 12 appels par jour.

Q: Suivant les appels liés à l’insécurité en général, le kidnapping en particulier, quelle est votre appréciation de la santé mentale de gens sollicitant ? Comment est la situation si on tient compte de toutes les histoires liées à celles-ci?

PNJC: La situation est très critique, les gens présentent des signes de stress post-traumatique. Leurs familles aussi sont énormément affectées psychologiquement. Les survivants revivent les scènes vécues. Elles peuvent perdre la concentration, développer de l’anxiété à sortir et à reprendre leurs activités. Certaines personnes peuvent devenir irritables. En outre, certains développent des troubles du sommeil (cauchemars, etc.), des troubles alimentaires (perte d’appétit), des conséquences physiques, une hausse du rythme cardiaque, des difficultés respiratoires, des douleurs thoraciques.

Q: Que risque une personne victime de kidnapping qui n’a pas reçu d’appui psychologique?

PNJC: Les risques sont multiples. Risque d’avoir des séquelles tout le reste de sa vie qui auront un impact significatif sur son bien-être psychosocial. Cette personne risque de développer des comportements qu’elle n’avait pas avant ainsi que des difficultés dans ses rapports avec les autres. Une baisse de productivité et de rendement dans son travail. Et bien d’autres pathologies physiques qui sont liées au stress peuvent impacter sa vie.

Q: Quel appui recevez-vous de l’État?

PNJC: Aucun appui. L’État sait qu’on existe, mais nous n’avons pas reçu de financement. Nous sommes en négociation avec eux pour une collaboration.

Q: À votre avis, quel est l’impact réel de votre travail depuis vos deux ans d’existence?

PNJC: Ça a permis à des personnes, qui générale- ment n’auraient pas été auprès d’un psychologue, de trouver un service accessible et gratuit. Ça a permis aussi d’avoir une idée de l’impact de la situation actuelle sur la santé mentale. Et de prendre connaissance que des personnes en Haïti aient des idées suicidaires et d’autres maladies mentales et/ou un sentiment de profond mal-être. Ça a permis à des femmes de la classe moyenne victimes de violence de toutes sortes de pouvoir aussi appeler.

Q: Comment voyez-vous la santé mentale des Haïtiens en ces temps de trouble invoqués, caractérisés par l’insécurité en général, le kidnapping?

PNJC: La santé mentale des Haïtiens et Haïtiennes est très affectée en ce sens et nous organisons un événement le 11 avril pour en parler. Nous invitons donc toutes les personnes qui sont dépressives ou qui présentent d’autres troubles psychologiques d’appeler au numéro 2919 9000.

Fabiola Fanfan

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