Jean Baden Dubois : « On est en dépression économique. Même pas en récession, mais en dépression économique »

Le Gouverneur de la Banque de la République d’Haïti (BRH), Jean Baden Dubois, a dressé un tableau sombre de la situation économique du pays lors de son intervention à l’émission Le Rendez-vous Économique animée par l’économiste Kesner Pharel sur la Radio Télé-Métropole, le 2 janvier 2023.
«C’est clair et net, on est en dépression économique. Même pas en récession, on est en dépression économique», a-t-il déclaré mettant en exergue l’environnement extrêmement difficile avec des zones sous l’emprise des gangs armés empêchant la circulation des personnes et des biens, affectant de manière négative l’économie.
Le contexte économique est marqué notamment par une inflation à 47,2 % selon l’IHSI, une croissance non au rendez-vous et des déséquilibres à la fois internes et externes qui certainement agissent sur l’inflation. Des déséquilibres qui s’élargissent, des déficits budgétaires liés au financement monétaire et au niveau des balances des paiements et sans oublier la variable d’anticipation.
Financements monétaires non profitables
Au niveau des déséquilibres internes, le finance- ment monétaire, à savoir la création monétaire, est certainement très nocif pour l’économie parce qu’il induit l’inflation et certainement la dépréciation au niveau du marché de changes, à en croire M. Dubois.
On est proche de 50 milliards de gourdes par année en moyenne de financement monétaire. Le pays a connu pas moins de quatre années consécutives au cours desquelles l’année se termine avec des financements monétaires extraordinaires. «Quand on a des créations monétaires faites à partir de finance- ment monétaire, la masse monétaire augmente», regrette le responsable de la BRH.
La masse monétaire augmente de plus de 30 %. Du 1er octobre 2021 où l’on avait, 98 milliards de gourdes de monnaie en circulation, on est passé au 30 septembre 2022 à 128 milliards de gourdes de monnaie en circulation. En décembre 2022, on était déjà à 132 milliards de gourdes de monnaie en circulation.
«Quand on met toutes ces monnaies en circulation, c’est normal qu’il influe sur le taux de change et ait des effets sur l’inflation», admet Jean Baden Dubois.
Balance des paiements déficitaires
L’autre déséquilibre externe est lié à la balance des paiements, avance M. Dubois, ajoutant que nos importations (biens et services) s’élèvent à 5,4 milliards de dollars américains alors que les exportations se situent seulement à 1,35 milliard. «Donc, quand on considère la différence, notre balance commerciale déficitaire est à 4 milliards de dollars», dit-il.
À cause de la guerre (en Ukraine) et de l’inflation dans les autres pays, il y a une partie de cette inflation que nous importons. Notre importation a augmenté alors qu’on achète moins de biens. Parce que les biens deviennent plus chers, clarifie M. Dubois.
Au niveau des investissements privés, la situation n’est pas reluisante. 39,4 milliards de dollars d’investissements directs entre 2021 et 2022 pour Haïti alors qu’après la Covid-19, on était à 50 milliards.
«Ce n’est probablement pas de nouveaux investissements, mais des réinvestissements qui viennent essentiellement des deux grandes compagnies de télécommunications. Ce sont les dividendes qui sont réinvestis. Ce ne sont pas véritablement de nouveaux fonds».
Ainsi, selon lui, il y a de l’espace pour que les Haïtiens puissent faire du business dans le pays pour au moins substituer à l’importation. Mais il faut avoir l’environnement des affaires propice pour cela.
«Quand on a une situation socio politique telle qu’elle, vous avez un autre phénomène qui se développe, les gens veulent beaucoup plus garder leurs dollars. Ce qui agit sur les facteurs de marché. Cette anticipation devient très forte», informe Jean Baden Dubois.
Fuite de capitaux…
Par ailleurs, les transferts sans contrepartie qu’on savait recevoir de la diaspora ont diminué de 5 %. En 2021, ils étaient à 3,9 milliards de dollars. On a fini l’année 2022 avec 3,7 milliards de dollars. Pour ce qui constitue actuellement la principale source de devises dans l’économie haïtienne.
Les transferts expédiés à l’étranger – à peu près 606 millions de dollars en 2021 – sont passés à 755 millions de dollars en 2022. «Est-ce que c’est une fuite de capitaux? Oui, c’est évident. Il y a beaucoup d’argents qui ont quitté le pays. La majorité de ce montant va en République dominicaine dépassant les États-Unis et tous les autres pays», a fait savoir le numéro un de la BRH, rappelant que les SPIH (transferts d’argent sur des comptes) en dollars ont augmenté de plus de 300%.
«Beaucoup de gens se rendent en République dominicaine au lieu de rester en Haïti. Toutes les universités se plaignent que leur nombre d’étudiants diminue drastiquement. Il y a même des universités qui se retrouvent en difficultés de pouvoir payer leurs professeurs parce qu’ils n’ont pas suffisamment d’étudiants payants», dévoile M. Dubois.
Entre 37 à 40% de cet argent va en République dominicaine.
Quelles perspectives ?
Pour Jean Baden Dubois, c’est la solidité et la crédibilité de la Banque centrale qui font que le change n’explose pas comme le pensent les gens rappelant qu’il y a des facteurs qui ont joué en notre défaveur au niveau des déséquilibres comme celui de la balance des paiements qui dépasse 500 millions de dollars américains.
La Banque centrale veille farouchement à la stabilité du taux de change.
«Il faut qu’il y ait l’équivalent d’un plan Marshall qui attaque les problèmes de pauvreté», encourage-t-il. Car, selon lui, les gangs ne surgissent pas comme ça. Ils ont pris naissance parce qu’on n’a pas créé suffisamment d’emplois. Ainsi, même si on parvenait à résoudre le problème de l’insécurité, mais si on ne crée pas d’emploi, si on ne permet pas la substitution à l’importation, si on ne priorise pas l’agriculture, l’éducation, la santé, les services de base, on ne pourrait rien changer.
«La gouvernance et la transparence peuvent résoudre la moitié des problèmes du pays», soutient-il.

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