La Couverture sanitaire universelle (CSU) en Haïti, inaccessible?
DevHaiti a rencontré Dr Garnel Michel sur la question de la Couverture sanitaire universelle (CSU) en Haïti. Les différents indicateurs du secteur sanitaire sont au rouge. L’accès aux soins laisse à désirer. Le taux de mortalité infantile est alarmant. La protection financière s’avère quasi-inexistante. La gouvernance du système des soins est pour le moins critique. Dans un tel contexte, atteindre la CSU peut se révéler être un vrai parcours du combattant.
DevHaiti (DH): La Couverture sanitaire universelle (CSU) — c’est quoi exactement?
Garnel Michel (GM): Depuis quelque temps, un groupe assez large de professionnels d’horizons divers, sous l’étiquette de AYITI ANSANTE, réfléchit sur la thématique de la Couverture universelle en Santé (CUS). Plus globalement, nous parlons de la Protection sociale en Santé. Étant donné que votre question est directement liée à la CSU, nous pouvons citer l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui prône cette stratégie qui consiste à veiller à ce que l’ensemble de la population ait accès aux services préventifs, curatifs, palliatifs, de réadaptation et de promotion de la santé dont elle a besoin et à ce que ces services soient de qualité suffisante pour être efficaces, sans que leur coût n’entraîne des difficultés financières pour les usagers. Il faut comprendre que, classiquement, la Couverture universelle en Santé poursuit un objectif fondamental, celui de s’assurer que toute personne ait accès aux services de santé de qualité dont elle a besoin sans être exposée à des difficultés financières.
DH: C’est quoi l’état des lieux de la Couverture sanitaire universelle en Haïti ?
GM: Si la Couverture universelle en Santé est considérée comme une grande vision pour garantir que toute personne ait accès aux services de santé de qualité dont elle a besoin sans encourir à des dépenses catastrophiques, nous pouvons comprendre facilement que nous sommes très loin de parler de ce concept en Haïti. D’ailleurs, les chiffres officiels sur nos indicateurs de santé sont très alarmants. Prenons-en quelques exemples:
a) En relation aux objectifs de développement durable (ODD) que sont les taux de mortalité maternelle (TMM) et de mortalité des enfants de moins 5 ans (TM5), les résultats d’Haïti sont très mauvais.
b) Les taux de couverture des services de base sont faibles en Haïti. Par exemple, selon l’EMMUS VI (Enquête Mortalité, Morbidité et Utilisation des Services) de 2016 en Haïti, la couverture des accouchements institutionnels est de 42% (contre 70,5% pour la moyenne des pays à faible revenu (PFR) (BM, 2017), et le pourcentage d’enfants âgés entre de moins de 24 mois ayant reçu les trois doses de vaccin contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche (DiTePer/Pentavalent) est de 55 % (EMMUS VI, 2017) (contre 80% en moyenne pour les Pays à Faible Revenu).
c) L’accès aux soins pour la population est catastrophique: 40% de la population n’a pas accès aux services de santé du système formel (EMMUS VI, 2016) en raison des barrières géographiques, économiques et culturelles. 125 sections communales n’ont pas de structures sanitaires. La mauvaise qualité des soins disponibles est patente. Pas de contrôle de qualité pour les médicaments.
d) La protection financière de la population est quasiment inexistante: 25% de la population encoure des risques de dépenses de santé catastrophiques chaque année dans le pays (BM, 2017) pour un système de santé financé à hauteur de 31% par les ménages (BM, 2017). Seul 4% de la population a une assurance de santé (3% par OFATMA et 1% par le secteur privé).
e) La Gouvernance nationale actuelle du système de soins est catastrophique. Des grèves à répétition dans les institutions publiques, une mauvaise répartition du personnel à travers le pays, un volume exagéré de personnels contractuels dans les hôpitaux publics dus à l’instrumentalisation politique du processus de recrutement dans ces institutions, en plus d’une centralisation à outrance de la gestion administrative et financière. Une mauvaise politique dans les interventions sanitaires des partenaires financiers et opérationnels; une faible coordination des actions des intervenants…
f) L’échec de la coopération internationale est criant. Des ONG tant nationales qu’internationales et une dispersion des ressources influent sur l’efficience et l’efficacité du système de santé et ont conduit à empirer au lieu de faire évoluer positivement le système malgré les sommes astronomiques dépensées.
DH: Pourquoi la question de la CSU en Haïti présente un tel visage?
GM: Je suis certain de pouvoir répondre à cette question en une seule phrase : la situation est ainsi présentée par manque de volonté politique. J’ajouterais tout simplement que tous les scénarios ont été analysés, et c’est possible de mettre en œuvre un système de Protection sociale de santé en Haïti. Il faut justement une grande vision, pour que
«Toute personne se trouvant sur le territoire Haïtien soit protégée à travers un système de santé performant, qui cherche à restaurer la justice sociale en universalisant l’accès aux soins de qualité à toutes les catégories de la population, sans recourir à des dépenses catastrophiques individuelles».
DH: En quoi cette situation impacte-t-elle la population du pays?
GM: Selon une méthode de mesure internationale, le Coefficient de Gini, Haïti accuse le plus triste taux d’inégalités sociales dans la région des Amériques. Ce n’est pas sans raison. En Haïti, ce sont les ménages qui paient pour leur santé, donc des dépenses catastrophiques qui appauvrissent les familles. L’inégalité sociale engendrerait la colère, la frustration et la violence.
DH: Quel serait le coût réel de la CUS en Haïti?
GM: Il faudrait une étude actuelle pour assurer l’évaluation et la cotation des risques économiques, financiers, assurantiels et sociaux. Ce que nous n’avons pas fait en Haïti. Cependant, la méthode appelée Branchmarking nous permettrait d’aller voir ailleurs en nous comparant aux meilleurs pour améliorer nos performances et nos capacités dans une démarche de progrès. Un calcul que l’on fait en général dans la région est estimé à une cotisation d’environ 5 dollars USD par habitant par mois. Donc ce serait environ 800 gourdes par 12 millions d’Haïtiens par 12 mois… 115 milliards de gourdes, ce qui équivaudrait à quelque 720 millions de dollars USD. Ce qu’il faut dire, c’est que je suis presque certain que cette somme d’argent circule annuellement dans le secteur de la santé, soit à travers l’État, ou les ONG, ou autres dons. Cet argent peut être mobilisé de manière endogène. Un détail qui pourrait être utile c’est de comprendre que cette simulation de cotisation est basée sur un modèle de solidarité nationale c’est-à-dire celui qui n’est pas malade contribue pour l’autre qui l’est actuellement, en attendant éventuellement son tour. Des études prouvent qu’en général, sur une base annuelle, 10% de la population va tomber malade.
DH: Quelles sont les différentes options de CUS existantes? Laquelle est la plus adaptée à Haïti et pourquoi?
GM: Théoriquement il existe plusieurs modèles de systèmes sanitaires, sans être totalement exclusif l’un a l’autre. Les modèles les plus classiquement connus seraient:
• Système Bismarckien
• Système d’assurance sociale. Caisse d’Assurance Maladie, multiples assureurs. Accès lié à un statut d’emploi. Financement par des cotisations sociales obligatoires (patron et ouvrier). Prestations proportionnelles aux assurances détenues. Exemple : France, Allemagne.
• Système Beveridgien
• Financement assuré par l’État à partir des taxes et impôts. Un seul assureur: l’État. Principe d’universalité: couverture comme un droit pour l’ensemble de la population. État propriétaire de toutes les installations de soins de santé. Accès en fonction des besoins, peu importe la contribution. Professions médicales et professionnels de santé et salariés. Mode de gestion centralisée: Grande-Bretagne, Canada
• Système libéral
• Assurance volontaire. Préséance des libertés individuelles. Guidée par une logique économique: offre et demande. Couverture publique restreinte. Paiement volontaire d’une prime à des assureurs. Financement privé important provenant des individus. États-Unis.
• Le modèle cubain (que j’adore) lui est propre. Il est lié au système politique du pays aussi. On pourra en parler davantage…
Pour conclure avec cette question, je me permets d’être CATÉGORIQUE. Je m’en excuse, mais mous devons socialiser la santé en Haïti. L’État doit prendre ce bien commun en charge, et organiser la solidarité nationale nécessaire.
DH: Vous aimeriez ajouter quelque chose? Faites-le!
GM: Avant de finir, je voudrais relater la notion du «Système de Protection sociale en santé» considérée comme l’ensemble des mesures prises par un État pour permettre un accès universel aux soins de santé essentiels abordables, disponibles et de bonne qualité, et apporter une protection financière pour prévenir la maladie, promouvoir, améliorer, maintenir ou restaurer la santé de toutes les catégories de sa population.
Au sein de la plateforme AYITI ANSANTE, nous avons proposé un vaste programme de «TPS: Tous pour la Santé/Toute la Population en Santé». Nous croyons fermement qu’il est nécessaire, urgent, mais aussi tout à fait possible d’implémenter un système de Ticket de Protection sociale (PPS) en Haïti. Ceci pour- rait absolument corriger les certaines inégalités sociales existantes dans notre société.
La Protection sociale en santé (PSS) contiendrait deux (2) éléments essentiels pour sa réalisation: l’assistance sociale et l’assurance sociale.
• L’Assistance sociale: C’est l’approche non contributive et doit être privilégiée en vertu du principe d’équité dans un contexte où la pauvreté monétaire est répandue et la vulnérabilité à la pauvreté monétaire importante.
• Pour autant, l’Assurance sociale, c’est l’approche contributive que certaines écoles appellent Sécurité sociale. Elle doit être effective pour la santé de tous les travailleurs et travailleuses salariés.
DevHaiti

